Anne d'Este/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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'''''''''[I,69] ANNE D'EST OU DE FERRARE, DUCHESSE DE Guyse et de Nemours.'''
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[I,69] '''ANNE D'EST OU DE FERRARE, DUCHESSE DE Guyse et de Nemours.'''
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Le genereux et magnanime Hercule II. du nom Duc de Ferrare, eut de sa femme Renée de France fille puisnée de nostre Roy Louis XII. six enfans, trois fils et trois filles. L'aisnée des filles est cette belle et vertueuse Princesse, laquelle fut nommé Anne au sacrement de Baptéme, en memoire de son ayeule maternelle Anne de Bretagne Reine de France. Elle fut soigneusement nourrie et élevée en la crainte de Dieu, et aux bonnes moeurs par le Duc de Ferrare son pere, lequel comme Prince sage et avisé, voyant que la Duchesse sa femme s'estoit laissée tromper par une fille de Ferrare, nommée Olympe Fulvie Morat, fort docte et sçavante, entachée de l'heresie de Calvin (qui fut luy méme voir la Duchesse Renée pour la persuader d'embrasser son opinion, et laisser l'ancienne et vraye creance de ses peres) prit un soin particulier de l'instruction de ses enfans, dont les trois fils ont été tres-zelez defenseurs de la sainte foy, entre autres Louis Cardinal d'Est ou de Ferrare Archevéque d'Auch et Protecteur de France en Cour de Rome, duquel le temps qui efface tout n'effacera jamais la memoire, mais elle demeurera à jamais glorieuse et florissante pour ses vertus, particulierement pour ses courtoisies et sa bonté, lequel méme des Ecrivains Espagnols ont appellé Prince TRES-LIBERAL: aussi on peut dire sans vanité, mais bien avec verité, qu'il a esté le plus liberal Prince et Cardinal de son temps, [70] qui a merité d'estre appellé ainsi que Tite les delices du genre humain, ayant esté le thresor des pauvres, la splendeur du sacré College, et l'ornement de la Cour Romaine. Entre les filles il cherit et affectionna Anne son aisnée, laquelle il detourna de voir et de frequenter la susnommée Fulvie Olympe Morat, fille dont les moeurs estoient assez bonnes et la conversation honeste; mais si fort zelée et attachée aux erreurs du Calvinisme, qu'elle quitta pour ce sujet l'Italie et l'agreable sejour de la Cour des Ducs de Ferrare avec un sien frere nommé Emile plus jeune qu'elle, et se retira en Alemagne, où elle épousa André Gruntler Medecin, et mourut à Hildeberg ville capitale du Palatinat l'an 1555. estant âgée de 29. ans. Ceux qui ont leu les lettres Latines d'Olympe fille du sçavant Fulvie Peregrin Morat natif de Mantouë, qui ont esté imprimées à Basle par le soin de Celio Secundo Curione natif de S. Chirico prés de Thurin (lequel avoit aussi quitté l'Italie pour faire librement profession de l'heresie de Calvin) n'ignorent pas les artifices et les charmes dont cette Dame Ferraroise se servoit pour faire embrasser les nouvelles erreurs, et renoncer la foy Catholique à Anne d'Est Duchesse de Guyse, sa lettre est datée d'Hildeberg le premier de Juillet de l'an 1554. mais cette sçavante Princesse qui avoit appris fort facilement les langues Grecque et Latine avec Olympe, méprisa les douces paroles, et boucha ses oreilles aux charmes de cette Syrene, ayant vécu et rendu ses derniers soûpirs dans la vraye Eglise, hors de laquelle il n'y a point de salut, et y ayant soigneusement fait instruire tous ses enfans, comme la France sçait et l'a veu, et nous le rapporterons en cet Eloge.<br />
 
Le genereux et magnanime Hercule II. du nom Duc de Ferrare, eut de sa femme Renée de France fille puisnée de nostre Roy Louis XII. six enfans, trois fils et trois filles. L'aisnée des filles est cette belle et vertueuse Princesse, laquelle fut nommé Anne au sacrement de Baptéme, en memoire de son ayeule maternelle Anne de Bretagne Reine de France. Elle fut soigneusement nourrie et élevée en la crainte de Dieu, et aux bonnes moeurs par le Duc de Ferrare son pere, lequel comme Prince sage et avisé, voyant que la Duchesse sa femme s'estoit laissée tromper par une fille de Ferrare, nommée Olympe Fulvie Morat, fort docte et sçavante, entachée de l'heresie de Calvin (qui fut luy méme voir la Duchesse Renée pour la persuader d'embrasser son opinion, et laisser l'ancienne et vraye creance de ses peres) prit un soin particulier de l'instruction de ses enfans, dont les trois fils ont été tres-zelez defenseurs de la sainte foy, entre autres Louis Cardinal d'Est ou de Ferrare Archevéque d'Auch et Protecteur de France en Cour de Rome, duquel le temps qui efface tout n'effacera jamais la memoire, mais elle demeurera à jamais glorieuse et florissante pour ses vertus, particulierement pour ses courtoisies et sa bonté, lequel méme des Ecrivains Espagnols ont appellé Prince TRES-LIBERAL: aussi on peut dire sans vanité, mais bien avec verité, qu'il a esté le plus liberal Prince et Cardinal de son temps, [70] qui a merité d'estre appellé ainsi que Tite les delices du genre humain, ayant esté le thresor des pauvres, la splendeur du sacré College, et l'ornement de la Cour Romaine. Entre les filles il cherit et affectionna Anne son aisnée, laquelle il detourna de voir et de frequenter la susnommée Fulvie Olympe Morat, fille dont les moeurs estoient assez bonnes et la conversation honeste; mais si fort zelée et attachée aux erreurs du Calvinisme, qu'elle quitta pour ce sujet l'Italie et l'agreable sejour de la Cour des Ducs de Ferrare avec un sien frere nommé Emile plus jeune qu'elle, et se retira en Alemagne, où elle épousa André Gruntler Medecin, et mourut à Hildeberg ville capitale du Palatinat l'an 1555. estant âgée de 29. ans. Ceux qui ont leu les lettres Latines d'Olympe fille du sçavant Fulvie Peregrin Morat natif de Mantouë, qui ont esté imprimées à Basle par le soin de Celio Secundo Curione natif de S. Chirico prés de Thurin (lequel avoit aussi quitté l'Italie pour faire librement profession de l'heresie de Calvin) n'ignorent pas les artifices et les charmes dont cette Dame Ferraroise se servoit pour faire embrasser les nouvelles erreurs, et renoncer la foy Catholique à Anne d'Est Duchesse de Guyse, sa lettre est datée d'Hildeberg le premier de Juillet de l'an 1554. mais cette sçavante Princesse qui avoit appris fort facilement les langues Grecque et Latine avec Olympe, méprisa les douces paroles, et boucha ses oreilles aux charmes de cette Syrene, ayant vécu et rendu ses derniers soûpirs dans la vraye Eglise, hors de laquelle il n'y a point de salut, et y ayant soigneusement fait instruire tous ses enfans, comme la France sçait et l'a veu, et nous le rapporterons en cet Eloge.<br />
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Tandis que Jaque Duc de Nemours employoit ainsi tout son temps, ou à donner des avis pour le bien de l'Estat, ou aux estudes des lettres, ou en ses bastimens et jardinages, ou aux exercices honnestes de la chasse, la Duchesse sa femme venoit souvent à la Cour du Roy Henry III. pour soliciter les affaires de leur maison, trouver les moyens de fournir aux frais de la dépense que faisoit ce Prince magnifique, et se faire payer des debtes qui leur estoient deuës; estant bien venuë et honorée des grands et des petits, tant pour ses merites que pour estre la petite fille du Roy Louis le Pere du Peuple; entre autres des premiers Prelats de ce Royaume, comme ils firent voir luy ayans donné entrée en leur assemblée qui se tint à S. Germain des Prez lés Paris l'an 1580. comme j'ay appris de Guillaume de Taix Doyen de S. Pierre de Troye (qui fut aussi Abbé de Basse-Fontaine aprés ce grand homme d'Estat Sebastien de Laubespine Evéque de Limoges) en ses ''Memoires des affaires du Clergé de France''.
 
Tandis que Jaque Duc de Nemours employoit ainsi tout son temps, ou à donner des avis pour le bien de l'Estat, ou aux estudes des lettres, ou en ses bastimens et jardinages, ou aux exercices honnestes de la chasse, la Duchesse sa femme venoit souvent à la Cour du Roy Henry III. pour soliciter les affaires de leur maison, trouver les moyens de fournir aux frais de la dépense que faisoit ce Prince magnifique, et se faire payer des debtes qui leur estoient deuës; estant bien venuë et honorée des grands et des petits, tant pour ses merites que pour estre la petite fille du Roy Louis le Pere du Peuple; entre autres des premiers Prelats de ce Royaume, comme ils firent voir luy ayans donné entrée en leur assemblée qui se tint à S. Germain des Prez lés Paris l'an 1580. comme j'ay appris de Guillaume de Taix Doyen de S. Pierre de Troye (qui fut aussi Abbé de Basse-Fontaine aprés ce grand homme d'Estat Sebastien de Laubespine Evéque de Limoges) en ses ''Memoires des affaires du Clergé de France''.
 
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''Durant ce temps Madame de Nemours, qui estoit en ladite Eglise de S. Germain, se disposoit de venir en nostre Assemblée, et par l'organe de l'Advocat Versoris nous faire entendre comme justement la somme de six vingts tant de mille livres qu'elle demandoit au Clergé luy estoit deuë, ledit Versoris en fit une belle et longue Harangue, remonstrant la source et l'origine de ce debt, creé sur le Roy, premierement par loyal prest, et puis pour dot de mariage,'' [79] ''pensions et recompenses de services, tant de Monsieur de Nemours, que de la posterité de ladite Dame, entendant et remarquant par cette posterité Messieurs ses enfans les Ducs de Guyse et de Mayenne, et depuis assigné sur le Clergé par bons contracts, desquels il faisoit apparoir, passez par les Sindics et tournez'' in rem Cleri, ''ayant déduit cela richement, comme il est grand'' ''Orateur. Monsieur de Lyon s'adressa à ladite Dame, qui comme petite fille d'un Roy de France, estoit assize entre luy et Monsieur de Bourdeaux, lieu le plus eminent de la compagnie, et luy dit que la compagnie estoit marrie de ce qu'elle avoit pris la peine de venir là, et qu'il eust suffy que Monsieur Versoris y fust venu, et qu'incontinent que l'on auroit mis fin aux affaires que l'on avoit à traiter avec sa Majesté, l'on luy feroit réponse, et toute raison et justice.''
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Durant ce temps Madame de Nemours, qui estoit en ladite Eglise de S. Germain, se disposoit de venir en nostre Assemblée, et par l'organe de l'Advocat Versoris nous faire entendre comme justement la somme de six vingts tant de mille livres qu'elle demandoit au Clergé luy estoit deuë, ledit Versoris en fit une belle et longue Harangue, remonstrant la source et l'origine de ce debt, creé sur le Roy, premierement par loyal prest, et puis pour dot de mariage,[79] pensions et recompenses de services, tant de Monsieur de Nemours, que de la posterité de ladite Dame, entendant et remarquant par cette posterité Messieurs ses enfans les Ducs de Guyse et de Mayenne, et depuis assigné sur le Clergé par bons contracts, desquels il faisoit apparoir, passez par les Sindics et tournez ''in rem Cleri'', ayant déduit cela richement, comme il est grand Orateur. Monsieur de Lyon s'adressa à ladite Dame, qui comme petite fille d'un Roy de France, estoit assize entre luy et Monsieur de Bourdeaux, lieu le plus eminent de la compagnie, et luy dit que la compagnie estoit marrie de ce qu'elle avoit pris la peine de venir là, et qu'il eust suffy que Monsieur Versoris y fust venu, et qu'incontinent que l'on auroit mis fin aux affaires que l'on avoit à traiter avec sa Majesté, l'on luy feroit réponse, et toute raison et justice.
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''Jacques de Savoye Duc de Nemours, duquel Ronsard décrit la valeur et la beauté en l'un de ses Sonnets, deceda à Annessy au Comté de Foucigny le 19. de Juin 1583. estant plus accablé de maladies que d'années, laissant Anne de Ferrare veuve pour la seconde fois, non sans regret de survivre à ce courageux Prince; mais elle eut cette consolation en sa perte, qu'elle le voyoit revivre en deux beaux enfans, et genereux comme leur pere, Charles Emanuel Duc de Nemours né au Chasteau de Nanteuil le Haudouin le 7. de Fevrier 1567 lequel dés l'âge de quatre ans se fit admirer pour son adresse et sa hardiesse à la Cour d'Emanuel-Philibert Duc de Savoye, et estant encore jeune durant nos guerres plus que civiles soustint le siege de Paris, non contre un Prince foible d'experience, mais contre le plus grand Roy et le plus brave Capitaine de la terre. Ce Prince le plus suivy et caressé des honnestes gens qui ait esté de son âge, et qui le meritoit aussi, digne d'une plus longue et heureuse vie, estant decedé à l'âge de vingt-huit ans, au grand regret de la Duchesse de Nemours sa mere, eut pour successeurs aux Duchez de Genevois, et de Nemours son frere Henry de Savoye Marquis de Saint-Sorlin, né à Paris à l'Hostel de Nemours, le trentiéme d'Octobre 1572. Prince vaillant et sçavant, duquel un Prelat de nostre France, disoit de son vivant, que l'Europe nourrissoit peu de Princes qui luy [80] fussent conferables pour l'intelligence de la delicatesse de la Prose et de la mignardise des Vers, les deux poles et les sources de la parfaite eloquence. Ce Prince dernier fils d'Anne d'Est Duchesse de Nemours (qui est decedé au mois de Juillet 1632.) a eu d'Anne de Lorraine Duchesse d'Aumale sa femme, (fille de Charles de Lorraine Duc d'Aumale, Comte de saint Valier, Seigneur d'Annet, et Grand Veneur de France, et de Marie de Lorraine d'Elbeuf son épouse) decedée à Paris le dixiéme Fevrier 1638. quatre enfans: à sçavoir:<br />
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Jacques de Savoye Duc de Nemours, duquel Ronsard décrit la valeur et la beauté en l'un de ses Sonnets, deceda à Annessy au Comté de Foucigny le 19. de Juin 1583. estant plus accablé de maladies que d'années, laissant Anne de Ferrare veuve pour la seconde fois, non sans regret de survivre à ce courageux Prince; mais elle eut cette consolation en sa perte, qu'elle le voyoit revivre en deux beaux enfans, et genereux comme leur pere, Charles Emanuel Duc de Nemours né au Chasteau de Nanteuil le Haudouin le 7. de Fevrier 1567 lequel dés l'âge de quatre ans se fit admirer pour son adresse et sa hardiesse à la Cour d'Emanuel-Philibert Duc de Savoye, et estant encore jeune durant nos guerres plus que civiles soustint le siege de Paris, non contre un Prince foible d'experience, mais contre le plus grand Roy et le plus brave Capitaine de la terre. Ce Prince le plus suivy et caressé des honnestes gens qui ait esté de son âge, et qui le meritoit aussi, digne d'une plus longue et heureuse vie, estant decedé à l'âge de vingt-huit ans, au grand regret de la Duchesse de Nemours sa mere, eut pour successeurs aux Duchez de Genevois, et de Nemours son frere Henry de Savoye Marquis de Saint-Sorlin, né à Paris à l'Hostel de Nemours, le trentiéme d'Octobre 1572. Prince vaillant et sçavant, duquel un Prelat de nostre France, disoit de son vivant, que l'Europe nourrissoit peu de Princes qui luy [80] fussent conferables pour l'intelligence de la delicatesse de la Prose et de la mignardise des Vers, les deux poles et les sources de la parfaite eloquence. Ce Prince dernier fils d'Anne d'Est Duchesse de Nemours (qui est decedé au mois de Juillet 1632.) a eu d'Anne de Lorraine Duchesse d'Aumale sa femme, (fille de Charles de Lorraine Duc d'Aumale, Comte de saint Valier, Seigneur d'Annet, et Grand Veneur de France, et de Marie de Lorraine d'Elbeuf son épouse) decedée à Paris le dixiéme Fevrier 1638. quatre enfans: à sçavoir:<br />
 
François de Paule de Savoye Prince de Genevois, mort à l'âge de huit ans.
 
François de Paule de Savoye Prince de Genevois, mort à l'âge de huit ans.
 
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(2) Le Roy Henry le Grand l'a achetée de cette Princesse pour le donner à Henriette de Balsac Marquise de Verneuil, dont il a eu deux enfants, Monseigneur l'Evéque de Mets et Marquis de Verneuil, et feue la Duchesse de la Valete première femme de Mr le Duc d'Espernon, et y a fait bâtir la belle Chapelle.<br />
 
(2) Le Roy Henry le Grand l'a achetée de cette Princesse pour le donner à Henriette de Balsac Marquise de Verneuil, dont il a eu deux enfants, Monseigneur l'Evéque de Mets et Marquis de Verneuil, et feue la Duchesse de la Valete première femme de Mr le Duc d'Espernon, et y a fait bâtir la belle Chapelle.<br />
 
(3) Henry II avoit choisi pour tenans avec sa Majesté au Tournoy de la ruë de S. Antoine ou des Tournelles, trois Princes les plus adroits et vaillans, qui estoient le frere et les deux maris de cette Princesse Anne d'Est.
 
(3) Henry II avoit choisi pour tenans avec sa Majesté au Tournoy de la ruë de S. Antoine ou des Tournelles, trois Princes les plus adroits et vaillans, qui estoient le frere et les deux maris de cette Princesse Anne d'Est.
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Version actuelle en date du 8 mai 2011 à 16:48

[I,69] ANNE D'EST OU DE FERRARE, DUCHESSE DE Guyse et de Nemours.

Le genereux et magnanime Hercule II. du nom Duc de Ferrare, eut de sa femme Renée de France fille puisnée de nostre Roy Louis XII. six enfans, trois fils et trois filles. L'aisnée des filles est cette belle et vertueuse Princesse, laquelle fut nommé Anne au sacrement de Baptéme, en memoire de son ayeule maternelle Anne de Bretagne Reine de France. Elle fut soigneusement nourrie et élevée en la crainte de Dieu, et aux bonnes moeurs par le Duc de Ferrare son pere, lequel comme Prince sage et avisé, voyant que la Duchesse sa femme s'estoit laissée tromper par une fille de Ferrare, nommée Olympe Fulvie Morat, fort docte et sçavante, entachée de l'heresie de Calvin (qui fut luy méme voir la Duchesse Renée pour la persuader d'embrasser son opinion, et laisser l'ancienne et vraye creance de ses peres) prit un soin particulier de l'instruction de ses enfans, dont les trois fils ont été tres-zelez defenseurs de la sainte foy, entre autres Louis Cardinal d'Est ou de Ferrare Archevéque d'Auch et Protecteur de France en Cour de Rome, duquel le temps qui efface tout n'effacera jamais la memoire, mais elle demeurera à jamais glorieuse et florissante pour ses vertus, particulierement pour ses courtoisies et sa bonté, lequel méme des Ecrivains Espagnols ont appellé Prince TRES-LIBERAL: aussi on peut dire sans vanité, mais bien avec verité, qu'il a esté le plus liberal Prince et Cardinal de son temps, [70] qui a merité d'estre appellé ainsi que Tite les delices du genre humain, ayant esté le thresor des pauvres, la splendeur du sacré College, et l'ornement de la Cour Romaine. Entre les filles il cherit et affectionna Anne son aisnée, laquelle il detourna de voir et de frequenter la susnommée Fulvie Olympe Morat, fille dont les moeurs estoient assez bonnes et la conversation honeste; mais si fort zelée et attachée aux erreurs du Calvinisme, qu'elle quitta pour ce sujet l'Italie et l'agreable sejour de la Cour des Ducs de Ferrare avec un sien frere nommé Emile plus jeune qu'elle, et se retira en Alemagne, où elle épousa André Gruntler Medecin, et mourut à Hildeberg ville capitale du Palatinat l'an 1555. estant âgée de 29. ans. Ceux qui ont leu les lettres Latines d'Olympe fille du sçavant Fulvie Peregrin Morat natif de Mantouë, qui ont esté imprimées à Basle par le soin de Celio Secundo Curione natif de S. Chirico prés de Thurin (lequel avoit aussi quitté l'Italie pour faire librement profession de l'heresie de Calvin) n'ignorent pas les artifices et les charmes dont cette Dame Ferraroise se servoit pour faire embrasser les nouvelles erreurs, et renoncer la foy Catholique à Anne d'Est Duchesse de Guyse, sa lettre est datée d'Hildeberg le premier de Juillet de l'an 1554. mais cette sçavante Princesse qui avoit appris fort facilement les langues Grecque et Latine avec Olympe, méprisa les douces paroles, et boucha ses oreilles aux charmes de cette Syrene, ayant vécu et rendu ses derniers soûpirs dans la vraye Eglise, hors de laquelle il n'y a point de salut, et y ayant soigneusement fait instruire tous ses enfans, comme la France sçait et l'a veu, et nous le rapporterons en cet Eloge.
Hercule Duc de Ferrare ne se contenta pas d'élever à la pieté Catholique et és bonnes moeurs la Princesse Anne d'Est ou de Ferrare sa fille aisnée: mais il voulut la marier hors d'Italie à quelque grand Prince. Son premier dessein fut de luy donner pour mary le Prince Sigismond Auguste Jagellon fils unique de Sigismond I. Roy de Pologne (qui estoit lors veuf d'Anne d'Austriche Infante de Hongrie sa premiere femme) et de faire épouser au Prince Alfonse son [71] fils aisné l'une des filles du Roy de Pologne. Sur ces entrefaites nostre Roy Henry II. envoya visiter Renée de France Duchesse de Ferrare sa tante maternelle, et luy fit dire qu'il desiroit que la Princesse Anne sa fille fust mariée au Duc d'Aumale fils aisné de Claude I. Duc de Guyse. Renée qui avoit tousjours le coeur tourné à la France d'où elle estoit sortie, aima mieux ce mariage que celuy que le Duc son mary avoit proposé avec le fils du Roy de Pologne, lequel ne faisoit que d'entrer en son regne aprés la mort du grand Sigismond son pere, qui advint la Feste de Pasques de l'an 1548. Hercule Duc de Ferrare aussi ayant tousjours eu de l'inclination au party François (comme tous les autres Princes de cette tres-honorable Maison) se laissa aller aisément au desir de la Duchesse sa femme, et ce qui luy fit prendre la derniere resolution, fut que sa fille seroit toûjours en la compagnie d'Antoinette de Bourbon Duchesse de Guyse sa belle mere, qui avoit la reputation d'estre et estoit veritablement la plus vertueuse et la plus Catholique Princesse de la France et de la Chrestienté, et qui ne permettroit jamais que pas une des Dames et des Demoiselles de la Princesse Anne sa fille fist profession et favorisast les nouvelles opinions de Luther et de Calvin. Ce Duc voulant obliger le Roy Tres-Chrestien, mena luy méme sa fille à la Cour de France, et accompagna le Roy Henry II. de Turin à Chambery, puis à Grenoble et à Lyon.
Le Roy Henry II. estant à Moulins l'an 1548. fit celebrer les fiançailles de sa cousine germaine Anne d'Est ou de Ferrare avec le fils aisné du Duc de Guyse, et la méme année estant à S. Germain en Laye elle épousa ce vaillant Prince François de Lorraine Duc d'Aumale, et depuis II. Duc de Guyse, l'honneur et la gloire de la tres-ancienne Maison de Lorraine, de laquelle comme d'une pepiniere sont sortis de braves Princes qui ont planté en diverses contrées du monde les palmes et les lauriers de leur valeur et de leur pieté. Ce ne fut pas un petit bon-heur à cette Princesse d'avoir pour mary un Prince, lequel a acquis la reputation d'estre l'un des plus vaillans et des plus heureux Capitaines de son siecle, qui a fait paroistre sa valeur aux [72] plaines de Renty et de Dreux, et aux assauts de Calais et de Thionville, qu'il osta aux Anglois et aux Espagnols; et à la garde de Mets, où il arresta les conquestes de ce grand Empereur Charles V. et luy borna son plus outre, et pour parler avec un grand homme d'Estat tres-fidele serviteur de nos Rois. C'est un Prince auquel la France confesse par tout librement qu'elle luy doit son honneur et sa grandeur, et la Chrestienté sa conservation. Ce ne fut pas aussi un petit honneur à ce Prince d'avoir pour femme une Princesse petite fille, niece et cousine de nos Rois, extraite du costé maternel des fleurs de Lis Royales, et du paternel de l'Aigle d'Est ou Este, et des Lis de Ferrare: Maison si ancienne et si illustre que les Historiens en font voir l'extraction de Caius Atius fils de Gaius, et Martia Decution et Prince d'Est l'an de nostre salut 402. Les curieux qui en desireront apprendre les particularitez, auront recours à Jean Baptiste Pigna, qui a écrit en Italien l'Histoire des Princes Atestins ou d'Est, laquelle a esté mise en Latin par Jean Barone Jurisconsulte, et dediée au Duc Alfonse II. Dame si honneste et si belle, qu'elle a emporté le prix de beauté accompagnée d'une bien-seante gravité sur plusieurs Princesses et Dames de son temps, de laquelle le Prince de nos Poëtes chantoit fort bien.

Venus la sainte en ses graces habite,

Tous les amours logent en ses regards,
Pource à bon droit telle Dame merite

D'avoir esté femme de nostre Mars (1).

Elle eut de ce Prince Lorrain sept enfans, une fille unique nommée Caterine Marie, qui fut la seconde femme de ce tres-genereux et tres-Catholique Prince Louis de Bourbon Duc de Montpensier: lequel pour son grand zele à la vraye Religion, au service de nos Rois, et au bien de l'Estat, a merité ce beau titre et surnom de BON, et six fils, dont trois sont decedez en jeunesse, François âgé de 15. ou 16. ans en opinion de sainteté: et trois sont celebres et renommez dans l'Histoire, Louis Hypolite Cardinal et Archevéque de Reims, premier Pair de France, et les deux autres ont esté Henry I. du nom et III. Duc de Guyse, [73] né à Joinville l'an 1550. trois mois devant la mort de son ayeul Claude I. Duc de Guyse, qui s'est fait signaler au siege de Ziget en Hongrie, et à celuy de Poitiers qu'il soûtint contre les Protestans ou Huguenots, avec pareil honneur que son pere celuy de Mets contre les Espagnols et Allemans, et aux défaites des Reistres. Charles Hercule né au chasteau de Meudon lés Paris le 25. de Mars 1554. I. Duc de Mayenne, qui a esté chercher des palmes en la Grece, et a servy avec une louable fidelité le Roy Charles IX. à la Rochelle et à Brouage, le Roy Henry III. contre les Heretiques rebelles de Guyenne et de Daufiné, et le Roy Henry le Grand au siege d'Amiens, le Roy Louis le Juste la premiere année de son regne, lequel par le malheur du temps ayant esté le Chef de la Ligue, il a empesché sagement durant cette saison miserable les souslevemens populaires, et la dissipation de l'Estat, et rompu en cela les desseins des Estrangers et des mauvais François.
Anne d'Est Duchesse de Guyse porta un grand amour et respect au Duc François son premier mary, auquel elle rendit de bons services aprés qu'il fut blessé au siege d'Orleans, l'assistant et servant continuellement jusques à son heure derniere, à laquelle ce Prince un peu devant que mourir, dit ces paroles pour marque de l'affection qu'il luy portoit, et l'estime qu'il faisoit de sa vertu, de ses merites, et de sa sagesse, comme j'ay appris de Lancelot de Carles, Bourdelois, Evéque de Riez en Provence, dans la lettre qu'il écrivit au Roy Charles IX. sur la mort de ce Duc de Guyse.
Nous avons ma chere et bien-aimée compagne longuement esté conjoints ensemble par le sainct lien de foy et d'amitié avec une entiere communion de toutes choses. Vous sçavez que je vous ay tousjours aimée et estimée autant que femme peut estre, sans que nostre mutuelle amitié ait receu aucune diminution en tout le temps de nostre mariage, et je me suis tousjours mis en devoir de le vous faire connoistre, et vous à moy, nous donnans tous les contentemens que nous avons peu. C'est pourquoy je vous prie maintenant que je vais rendre mon esprit à Dieu, que pour son amour et pour l'affection que m'avez tousjours témoignée, vous preniez un grand soin [74] de nourrir nos enfans en l'amour et crainte de Dieu, pour obeïr à ses commandemens, et suivre le chemin de la vertu, de les entretenir en l'obeïssance du Roy, de la Reine, et de Messieurs ses enfans, sans reconnoistre que leurs Majestez et mesdits Seigneurs. Estant asseuré de vostre fidelité et de vostre bonté, c'est la seule et unique demande que je vous fais à mon depart de ce monde.
Aprés que ce genereux Prince vray François de nom, de nation, et d'affection, fut passé de cette vie à l'autre, cette magnanime Duchesse porta la perte de ce grand Duc avec une ferme constance: elle fut se jetter avec ses enfans et ses beaux freres par plusieurs fois aux pieds du Roy Charles IX. pour avoir justice des autheurs de l'assassinat de son mary, dont elle soupçonnoit Gaspar de Colligny Seigneur de Chastillon sur Loin Admiral de France, qui se vouloit d'un costé purger, et de l'autre se tenoit sur ses gardes, et donnoit ordre de se defendre par le moyen des Huguenots, qu'il avoit presque tous à sa devotion. Ce que prevoyant le Roy Charles et la Reine sa Mere, commanderent à la Duchesse Douairiere de Guyse et à ses enfans d'attendre le temps et l'occasion. Cependant leurs Majestez donnerent au fils aisné d'Anne l'estat de Grand-Maistre de France, et les Gouvernemens de Champagne et de Brie, et au puisné la dignité de Grand Chambellan, dont le feu Duc de Guyse leur pere avoit esté honoré par nos Rois pour ses fideles services.
Un jour entre autres cette Princesse (qui estoit la generosité méme) se jetta aux pieds de ce jeune Monarque portant son grand deuil, estant assistée d'Antoinette de Bourbon Duchesse Douairiere de Guyse, de Louis de Lorraine Cardinal de Guyse Archevéque de Sens, de Claude Duc d'Aumale, et de René Marquis d'Elbeuf, et presenta les trois fils du defunt, et demanda avec sa belle-mere, ses beaux-freres, et ses enfans, justice de la mort du mary, du fils, du frere et du pere, avec des larmes et des plaintes qui donnoient aux uns de la commiseration et de la pitié, et allumoient aux coeurs des autres l'indignation et la vengeance contre ceux qui estoient soupçonnez d'avoir commandé ce coup-là. Elle ne voulut pas que l'on nommast [75] l'Admiral, mais elle et tous les parens du defunt vouloient bien que le Roy Charles sceust qu'autre que luy n'en estoit cause. Elle demanda avec eux un Parlement pour en connoistre envers tous et contre tous: la Cour de Parlement de Paris qui est la Cour des Pairs en eut la connoissance, et ordonna les Grand' Chambres du Conseil et de la Tournelle assemblées, que cette Princesse veuve de ce Lieutenant de Roy, et Pair de France, et tous les parens joints à elle seroient ouis sur ce qu'ils entendoient remonstrer à la Cour: cette forme de demander justice publiquement et en pleine Audience fut trouvée fort extraordinaire, mais la qualité des personnes qui se plaignoient et l'enormité du crime duquel on demandoit justice en ostoit l'estonnement à ceux qui n'ignoroient pas que le Roy Charles VI. avoit commandé que l'excés commis sur Olivier de Clisson son Connestable fust traité publiquement. Pierre Versoris Advocat de cette Princesse, et l'un des plus celebres du Parlement, plaida la requeste, et aprés avoir representé les services de Claude et de François Ducs de Guyse à la Couronne de France, les vertus et les merites de celuy qui avoit esté assassiné, ses exploits de guerre, la cruauté et l'inhumanité de ceux qui avoient porté l'assassin à commettre ce lasche et detestable forfait, il conclud à ce que la requeste et celle qui estoit presentée à la Cour fust enregistrée, et que faisant droict sur icelle, il pleust à la Cour de commettre deux Conseillers, tant pour informer que pour rapporter les informations et autres pieces servans à la cause. L'Admiral qui craignoit le Parlement de Paris comme trop Catholique, faisoit tous ses efforts pour evoquer l'affaire au Grand Conseil, disant que la pluspart des Conseillers du Parlement s'estoient declarez ses ennemis, et de ses freres, le Cardinal de Colligny ou de Chastillon, et le Seigneur d'Andelot. Anne d'Est Duchesse de Guyse n'en demeura pas là, ne voulant point plaider devant d'autres Juges, alleguant que ce Grand Conseil ne connoissoit des causes criminelles. Les Huguenots partizans de l'Admiral ne vouloient pas paroistre qu'au Grand Conseil, et les Catholiques amis et serviteurs de cette Duchesse avoient leur recours au Parlement.
[76] Cette Princesse ne témoigna pas seulement l'affection qu'elle portoit à la memoire de son premier mary, par la peine qu'elle prit de demander justice des autheurs de l'assassinat commis en sa personne, mais aussi par le soin qu'elle eut de luy faire rendre les derniers devoirs par de magnifiques pompes funebres, comme j'ay remarqué en l'Eloge de ce genereux Prince et vaillant Capitaine dans le Traité des Gouverneurs de Daufiné. Les curieux qui en voudront apprendre les particularitez auront recours à l'Histoire de Beaucaire Evéque de Mets, du President de Thou, de Myles Pyguerre, de Mathieu, auxAnnales de Belleforest, aux Lettres de Pasquier, et à la Gaule Chrestienne de Robert.
L'assemblée des notables qui se tint à Moulins en Bourbonnois, où les Maisons de Guyse et de Chastillon se reconcilierent, sinon en effet au moins en apparence, estant finie, Anne d'Est Duchesse Douairiere de Guyse se remaria avec ce beau et vaillant Prince Jaque de Savoye Duc de Nemours et de Genevois l'an 1566. au chasteau de saint Maur lés Fossez prés Paris, en presence du Roy Charles, de la Reine Caterine sa mere, et de toute la Cour.
Anne de Ferrare comme Dame sage et avisée, ne voulut point épouser le Duc de Nemours, qu'aprés que le Pape Pie V. eut declaré nulle la promesse que Françoise de Rohan, qui faisoit profession du Calvinisme disoit avoir de ce Prince de la Maison de Savoye, dont elle avoit un fils nommé Henry, qu'elle faisoit appeller le Prince de Genevois, et que le grand procés commencé depuis plusieurs années entre ce Duc de Nemours et la susnommée Françoise fille de René Vicomte de Rohan, depuis appellée la Duchesse de Lodun, et la Dame de la Garnache, eust esté entierement finy et terminé.
Dieu benit le mariage de Jaque de Savoye Duc de Nemours et de Genevois, et d'Anne d'Est ou de Ferrare sa femme, qui eurent trois enfans, deux fils et une fille nommée Marguerite, née à Paris au mois de Juillet de l'an 1568. laquelle sa marraine Marguerite de France Duchesse de Savoye fit venir en Piémont, où elle mourut à l'âge de trois [77] ans. Anne Duchesse de Nemours véquit en grande paix et amitié avec ce beau Prince son second mary, lequel a rendu de signalez services à cette Couronne, tant en France qu'en Italie, par ses armes et ses bons conseils, sous les regnes des Rois Henry II. François II. Charles IX. et Henry III. entre autres lors qu'il fut d'avis que le Roy Charles se retira en sa ville de Paris, quand on découvrit l'entreprise de Meaux, et que les rebelles de la Religion pretenduë reformée voulurent surprendre sa Majesté au chasteau de Monceaux.
Ce Prince illustre surgeon de la Maison de Savoye (de laquelle la valeur et la generosité est connuë par l'Univers) estant fils de Philippe Duc de Nemours et Comte de Geneve, et de Charlote d'Orleans de la Maison de Longueville, se voyant incommodé des gouttes qui le travailloient grandement sur la fin de ses jours, luy qui avoit esté en sa jeunesse le plus dispos Prince de son temps, s'adonna pour se divertir parmy ses douleurs aux belles et subtiles operations qui paroissent dans la fonte des metaux et dans la separation de leurs principes, comme aussi à la Poësie, à la lecture des bons Livres, (car il parloit fort aisément Latin, François, Espagnol et Italien) à la Peinture, à la Sculpture, à l'Agriculture, et à l'Architecture, faisant bâtir avec magnificence le beau chasteau de Verneuil, entre Senlis et Creil sur Oyse, estant assisté en ses estudes et exercices de la Duchesse Anne d'Est sa femme, qui n'ignoroit pas les belles lettres et les sciences, comme j'ay remarqué cy-dessus.
Ceux qui par une louable curiosité alloient se promener à Verneuil, recevoient un grand contentement et satisfaction de voir ce chasteau, que le Duc et la Duchesse de Nemours faisoient bastir en ce lieu là, qui est l'une des belles maisons de France et de l'Europe (2), tant en assiete qu'en architecture, et en autres singulieres commoditez qui l'accompagnent: comme eaux vives, un Parc de cinq cens arpens, embelly d'une infinité de routes, d'allées, de cabinets ombrageux, de Jardins beaux et spacieux, et une plaine d'un costé s'estendant deux ou trois lieuës; le tout à la [78] verité admirable: mais ils estoient encore plus ravis de voir le Duc de Nemours en ce qu'il sembloit n'ignorer rien des Sciences et des Langues, et qu'il prenoit un singulier plaisir à composer plusieurs belles choses et rares (qui ne cedoient point aux ouvrages de ce sçavant Prince Napolitain Mathieu d'Aquavive Duc d'Atrie) et vaquer jour et nuit à l'estude dans sa vie sedentaire, à laquelle sa maladie l'obligeoit; sinon lors que le beau temps le convioit d'aller à la chasse, où il se faisoit souvent mener en une litiere découverte, pour avoir le plaisir de voir courre un cerf, un chevreuil, un lievre, un renard, ou bien de voir voler un heron, un canard, une perdrix, une pie, fuyant suivant les saisons toute oisiveté.
Tandis que Jaque Duc de Nemours employoit ainsi tout son temps, ou à donner des avis pour le bien de l'Estat, ou aux estudes des lettres, ou en ses bastimens et jardinages, ou aux exercices honnestes de la chasse, la Duchesse sa femme venoit souvent à la Cour du Roy Henry III. pour soliciter les affaires de leur maison, trouver les moyens de fournir aux frais de la dépense que faisoit ce Prince magnifique, et se faire payer des debtes qui leur estoient deuës; estant bien venuë et honorée des grands et des petits, tant pour ses merites que pour estre la petite fille du Roy Louis le Pere du Peuple; entre autres des premiers Prelats de ce Royaume, comme ils firent voir luy ayans donné entrée en leur assemblée qui se tint à S. Germain des Prez lés Paris l'an 1580. comme j'ay appris de Guillaume de Taix Doyen de S. Pierre de Troye (qui fut aussi Abbé de Basse-Fontaine aprés ce grand homme d'Estat Sebastien de Laubespine Evéque de Limoges) en ses Memoires des affaires du Clergé de France.
Durant ce temps Madame de Nemours, qui estoit en ladite Eglise de S. Germain, se disposoit de venir en nostre Assemblée, et par l'organe de l'Advocat Versoris nous faire entendre comme justement la somme de six vingts tant de mille livres qu'elle demandoit au Clergé luy estoit deuë, ledit Versoris en fit une belle et longue Harangue, remonstrant la source et l'origine de ce debt, creé sur le Roy, premierement par loyal prest, et puis pour dot de mariage,[79] pensions et recompenses de services, tant de Monsieur de Nemours, que de la posterité de ladite Dame, entendant et remarquant par cette posterité Messieurs ses enfans les Ducs de Guyse et de Mayenne, et depuis assigné sur le Clergé par bons contracts, desquels il faisoit apparoir, passez par les Sindics et tournez in rem Cleri, ayant déduit cela richement, comme il est grand Orateur. Monsieur de Lyon s'adressa à ladite Dame, qui comme petite fille d'un Roy de France, estoit assize entre luy et Monsieur de Bourdeaux, lieu le plus eminent de la compagnie, et luy dit que la compagnie estoit marrie de ce qu'elle avoit pris la peine de venir là, et qu'il eust suffy que Monsieur Versoris y fust venu, et qu'incontinent que l'on auroit mis fin aux affaires que l'on avoit à traiter avec sa Majesté, l'on luy feroit réponse, et toute raison et justice.
Jacques de Savoye Duc de Nemours, duquel Ronsard décrit la valeur et la beauté en l'un de ses Sonnets, deceda à Annessy au Comté de Foucigny le 19. de Juin 1583. estant plus accablé de maladies que d'années, laissant Anne de Ferrare veuve pour la seconde fois, non sans regret de survivre à ce courageux Prince; mais elle eut cette consolation en sa perte, qu'elle le voyoit revivre en deux beaux enfans, et genereux comme leur pere, Charles Emanuel Duc de Nemours né au Chasteau de Nanteuil le Haudouin le 7. de Fevrier 1567 lequel dés l'âge de quatre ans se fit admirer pour son adresse et sa hardiesse à la Cour d'Emanuel-Philibert Duc de Savoye, et estant encore jeune durant nos guerres plus que civiles soustint le siege de Paris, non contre un Prince foible d'experience, mais contre le plus grand Roy et le plus brave Capitaine de la terre. Ce Prince le plus suivy et caressé des honnestes gens qui ait esté de son âge, et qui le meritoit aussi, digne d'une plus longue et heureuse vie, estant decedé à l'âge de vingt-huit ans, au grand regret de la Duchesse de Nemours sa mere, eut pour successeurs aux Duchez de Genevois, et de Nemours son frere Henry de Savoye Marquis de Saint-Sorlin, né à Paris à l'Hostel de Nemours, le trentiéme d'Octobre 1572. Prince vaillant et sçavant, duquel un Prelat de nostre France, disoit de son vivant, que l'Europe nourrissoit peu de Princes qui luy [80] fussent conferables pour l'intelligence de la delicatesse de la Prose et de la mignardise des Vers, les deux poles et les sources de la parfaite eloquence. Ce Prince dernier fils d'Anne d'Est Duchesse de Nemours (qui est decedé au mois de Juillet 1632.) a eu d'Anne de Lorraine Duchesse d'Aumale sa femme, (fille de Charles de Lorraine Duc d'Aumale, Comte de saint Valier, Seigneur d'Annet, et Grand Veneur de France, et de Marie de Lorraine d'Elbeuf son épouse) decedée à Paris le dixiéme Fevrier 1638. quatre enfans: à sçavoir:
François de Paule de Savoye Prince de Genevois, mort à l'âge de huit ans.
Louis de Savoye Duc de Nemours, Prince de grande esperance, fort courtois et affable, decedé Chrestiennement à Paris dans son Hostel de Nemours, estant âgé de vingt ans, le 16. Septembre 1641. peu de jours aprés estre de retour du siege et prise d'Arras, où il avoit bien servy le Roy Louis XIII.
Charles Amedée de Savoye, Prince bien né, premierement Duc d'Aumale, aujourd'huy Duc de Nemours par la mort de son frere, a épousé le vingtiéme de Juillet mil six cens quarante trois, Isabelle de Vendosme fille unique de Cesar Duc de Vendosme, d'Estampes, et de Beaufort, et de Françoise de Lorraine Duchesse de Mercoeur, Princesse de Martigues et d'Annet, et soeur des Ducs de Mercoeur et de Beaufort, de laquelle il a eu trois enfans, deux filles et un fils. Ce Prince a servy dignement nostre jeune Monarque Louis Dieu-donné aux sieges de Graveline, et du Fort de Mardick, sous l'Altesse Royale de Monseigneur le Duc d'Orleans oncle du Roy.
Henry de Savoye Duc d'Aumale, et Marquis de saint Sorlin, jeune Prince qui nous fait esperer qu'il ne degenerera pas de ses ancestres; mais qu'il suivra leurs traces et leurs inclinations, en ayant desja donné de bonnes preuves dans le College de Clermont, ou des Jesuites, où il a estudié, et soustenu des Theses en Philosophie, et en Theologie avec l'admiration des assistans.
Anne d'Est Duchesse de Chartres, de Guyse, de Gene-[81]vois et de Nemours, digne mere de tant de braves Princes des tres-illustres et tres-genereuses Maisons de Lorraine et de Savoye, femme de deux grands Capitaines, fille et soeur des magnifiques Ducs de Ferrare, ausquels nul defaut ne se trouvoit sinon en leur bonté, leur generosité, et leur liberalité, passa le reste de ses jours par l'espace de 23. ans en viduité, pendant lesquels elle receut de grandes afflictions et déplaisirs, qu'elle porta avec une grande constance. Elle vit mourir deux de ses fils, le Duc et le Cardinal de Guyse à Blois. Deux des autres, à sçavoir le Duc de Nemours Charles Emanuel, et le Duc de Mayenne ne vivre pas en bonne paix et amitié, et méme durant leur meilleure intelligence unir plutost leurs forces que leurs volontez à l'avancement de leur cause. Elle vit celuy-là arresté deux fois prisonnier à Blois et à Lyon, et celuy-cy avoir esté plus malheureux qu'heureux en ses desseins et entreprises. Elle supporta durant l'absence du Duc de Mayenne de Paris, l'insolence des Seize aprés la mort du President Brisson, avec une grande patience accompagnée d'une louable discretion et prudence pour dissimuler sa douleur. Elle fut aussi quelques jours arrestée prisonniere à Blois et à Amboise. Deux Historiens modernes ont remarqué que cette Princesse estant embarquée sur la riviere de Loire pour aller de Blois à Amboise, se retourna vers le chasteau de Blois où estoit la statue du Roy Louis XII. son ayeul maternel, et s'écria la larme à l'oeil et les mains au Ciel disant ces paroles: Ah! grand Roy, avez-vous fait bastir ce chasteau pour y faire mourir les enfans de vostre petite fille? Elle vid sa Maison et sa race la tres-illustre et tres-ancienne famille des Atestins ou d'Est, qui avoit duré plus de sept cens ans, et que les Ferrarois croyoient devoir durer eternellement, prendre le chemin de ces illustres Maisons de Milan, de Montferrat, de Sanseverin, de Malateste, de Saluces, de Seve et autres, jadis si celebres et si renommées dans l'Italie qui sont parmy les cendres, par la mort de son frere aisné Alfonse II. du nom V. et dernier Duc de Ferrare, decedé sans enfans au grand regret de ses sujets, particulierement des peuples du Ferrarois, et des habitans [82] de la ville capitale, qui disoient que leurs Marquis et puis leurs Ducs qui portoient le nom D'EST, Nel mistero di quel nome, promettono l'eternità d'il gouverno, c'est à dire, dans le mystere de ce nom ils se promettent l'eternité du gouvernement.
Si est-ce que les accidens nouveaux qui leur sont survenus depuis quelques années, les ont contraints d'adjouster, Quanto pero d'eternità puo dar' ne il mondo, qui veut dire autant toutesfois d'eternité que le monde en peut donner. Veu qu'outre les tremblemens de la terre, particulierement celuy de l'an 1570. qui ont autrefois secoué bien rudement leur ville, et la riviere du Pau qui gaste tous les jours une grande partie de leur territoire; le defaut de mâles (parce que Ferrare est un fief de l'Eglise) a donné occasion au Pape Clement VIII. qui estoit lors Lieutenant de Dieu en terre, leur ayant osté la ville et Estat de Ferrare, de leur faire avouer qu'il n'y a que Dieu seul qui est au Ciel qui puisse porter en effet le nom D'EST: non pas que ce ne soit encore et autant que jamais une tres-grande et illustre famille, et qui de tout temps, et méme à present a eu de grands et notables personnages, les Cardinaux d'Est et les Ducs de Modene: mais c'est pour monstrer que la vraye Maison D'EST est celle de Dieu, comme la seule qui se peut glorifier de jouir de l'Eternité.
Par la mort d'Alfonse d'Est Duc de Ferrare, qui n'avoit point eu d'enfans de ses trois femmes, le Pape Clement VIII. (comme je viens de remarquer) reunit ce beau Duché au domaine de l'Eglise. La reverence que cette grande Princesse fille d'une fille de France portoit au S. Siege, fit qu'elle ny ses enfans et petits enfans les Ducs de Guyse, de Mayenne, et de Nemours, ne contesterent pas ce Duché avec sa Sainteté, comme fit Cesar d'Est fils d'Alfonse d'Est Marquis de Montecchio fils naturel d'Alfonse I. Duc de Ferrare, qui fut contraint de quitter ce beau et riche Duché, et se contenter de ceux de Modene et de Rege, et de la Principauté de Carpy.
Ce Prince Cesar d'Est (qui avoit esté institué heritier par son cousin Alfonse deuxiéme Duc de Ferrare en une par-[93 [83]]tie de ses biens, avec Anne de Ferrare ou d'Est Duchesse de Nemours soeur du Ferrarois) voulut aussi prendre la qualité de Duc de Chartres, mais cette Princesse ne le voulut jamais permettre; pour raison de quoy il y eut un grand procés et differend entre Anne et Cesar d'Est, agité par quatre matinées en la Cour de Parlement de Paris, par Antoine et Isaac Arnauld Advocats: car Anne de Ferrare Duchesse de Nemours pretendoit le Duché de Chartres et les villes de Montargis et de Gisors avec les engagemens sur les Vicomtez de Caen, de Bayeux et de Falaise luy appartenir par la loy d'Aubaine et en vertu du contract de mariage de Renée de France Duchesse de Ferrare sa mere. Cesar Duc de Modene au contraire soustenoit, que l'aubaine estant du droict positif et civil des François, il ne pouvoit pas obliger les Princes souverains, mémement Etrangers, qui ne sont point astraints les uns aux autres que par le droit des gens, universel par toute la terre, qui n'est reputée qu'une grande Cité, de laquelle tous les peuples doivent estre reputez Citoyens, et nul Forain et Etranger. Neantmoins la Duchesse de Nemours fondée en un droict plus apparent et certain, obtint ce Duché et les autres biens par un Arrest celebre donné au mois de May de l'an 1601. comme remarquent le President de Thou et les freres de sainte Marthe, et que l'on peut voir dans les Plaidoyez de Louis Servin Advocat general du Roy en la Cour de Parlement, qui donna ses conclusions en faveur de cette Princesse, qui est louée pour sa douceur, sa bonté, sa liberalité, sa constance, sa generosité, et ses autres vertus par plusieurs de nos Historiens, entre autres par le President de Thou, qui n'en parle jamais sans Eloge dans tous les V. Tomes de l'Histoire de son temps, et souvent l'appelle HEROINE. Guillaume Cambden Anglois en fait aussi honorable mention en son avis au Lecteur de son Histoire d'Elizabet Reine d'Angleterre, mortelle ennemie des enfans de cette Duchesse de Guyse et de Nemours, laquelle tant pour son extraction tres-illustre que pour ses perfections et merites a esté honorée par nos Roys Henry II.(3) François II. Charles IX. et Henry IV. Ce dernier la pria d'aller à Mar-[84]seille recevoir la Reine Marie sa femme, et assista aux entrées que fit sa Majesté dans les villes de Marseille, d'Aix, d'Avignon, de Montlimart, de Valence, de Vienne et de Lyon.
En recompense de sa liberalité et de ses autres vertus, Dieu l'a fait vivre plusieurs années, et a eu cette faveur du Ciel de parvenir à une heureuse vieillesse, estant decedée à son Hostel de Nemours à Paris le 17. de May de l'an 1607. âgée de 76. ans, aprés avoir exhorté ses enfans et petits enfans de vivre et suivre la vertu, la pieté et Religion de leurs peres, et leur avoir donné sa derniere benediction, et receu dignement et devotement les saints Sacremens de l'Eglise, en presence de Charles Loppé Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, Grand-Maistre du College de Navarre, et Curé de S. André des Arcs, des Peres Alexandre George et Menage, Jesuites, et de plusieurs Religieux Augustins qui l'ayderent à bien mourir. Son corps fut porté à l'Eglise de Nostre-Dame d'Annessy en Savoye proche de celuy de Monsieur de Nemours son second mary, et son coeur à l'Eglise de S. Laurens au chasteau de Joinville en Champagne, où gist le Duc de Guyse son premier mary; ses entrailles inhumées en l'Eglise des Augustins de Paris.
On fit ses funerailles és Eglises des terres qui luy appartenoient, tant en France qu'en Savoye, entre autres en celle de la Ferté-Bernard au païs du Maine, où Severin Bertrand Docteur és Droits en l'Université de Paris, et Curé de la Ferté, prononça l'oraison funebre qu'il a depuis publiée: lequel donne plusieurs beaux Eloges à cette Duchesse; entre autres qu'elle a esté l'une des plus grandes et plus vertueuses Princesses de ce siecle, une Judit, une Ester, une Paule, une seconde Blanche pour avoir élevé si noblement ses enfans; tres-sage en ses prosperitez, encore plus patiente en ses adversitez; qui s'est renduë plus admirable et digne d'honneur et de respect par son humilité, sa pieté, sa modestie, sa magnanimité, et les autres divines qualitez de son ame, que par la beauté de son corps, accompagnée d'une grace singuliere, ses richesses, ses couronnes Ducales et toutes les grandeurs et les faveurs du monde.
[85] Aprés l'oraison funebre de Severin Bertrand, l'on voit cet Epitaphe Latin composé par ce Docteur en Droict, ou par Denys Gaudin Lieutenant de la Ferté Bernard, lequel j'ay mis en François en faveur des Dames et des Lecteurs qui n'ont pas la connoissance de la langue Romaine. [colonne gauche] A LA MEMOIRE DE LA PRINCESSE Anne de Ferrare Duchesse de Nemours.
ARRESTE toy Passant, approche et lis les louanges de cette defunte. Tu apprendras son nom et les rencontres de sa vie. Louis XII. Roy de France estoit son ayeul, Hercule II. Duc de Ferrare estoit son pere, et tous deux ont esté la lumiere de leur siecle. Elle a esté mariée à deux Ducs, le premier fort de courage et genereux a chassé de la France ses ennemis avec l'honneur et la gloire des François, lequel enfin ayant esté malheureusement frappé par un traistre assassin, mourut de ses blessures. Elle n'a point cessé d'honorer la memoire de ce defunt, et de regreter amerement sa mort. Aprés le Duc de Guyse elle épousa en secondes noces le Duc de Nemours, aussi grand par les exploits de ses armes, comme il estoit illustre par la Noblesse de sa Maison et sa vertu, lequel trépassa aprés avoir esté tourmenté de violentes et continuelles douleurs de la goutte, et a transferé à ses enfans ses merites, en telle sorte qu'il sembloit revivre en eux. Les enfans de ses deux maris et par le nom de leur race et par les rencontres de leur vie ont succedé à la reputation de leurs peres, desquels la renommée a passé jusques à eux, puisque les peres et les enfans ont couru la méme fortune. Ceux qu'elle a eu pour maris en la vie, elle les a veus mar[86]tyrs en leur mort. Heureuse en l'enfantement de ses enfans, et prudente en leur decés: pendant qu'elle pleure la mort de deux de ses enfans, un troisiéme fut empoizonné, lequel rechercha en mourant plûtost l'amour de Dieu que le secours des hommes. Elle a tousjours esté modeste en prosperité et patiente en adversité. Passant ne refuse point l'assistance de tes prieres que te demande cette pieuse Dame, laquelle a tousjours vécu chastement, et qui a esté l'épouse de deux grands Capitaines. Elle a passé de cette vie à l'autre estant âgée de 76. ans, aprés avoir commandé que l'on portast son coeur avec le corps de son premier mary, et son corps au tombeau de son second, et rendu son esprit à Jesus-Christ à Paris l'an 1607. le 17. de May.

[colonne droite] PIIS MANIBUS
Principis Annae à Ferraria Ducis Nemursia.
Viator siste viam, obuiam veni:haec huius defunctae profero laudi. Audi nomen et omen. Auus Rex Galliae Ludouicus XII. Pater Hercules Secundus, FERRARIAE DUX, et lux uterque saeculi: duobus nupta ducibus, quorum alter fortis animo et virtute, tutè Galia cum gloria Gallorum hostes ubicumque superauit, tandem proditore Laesus obiit, defunctu amare, et amarè obitm lugere non desiit. Post Guisium, Nemursium sponsum habuit, magnum armis, laudibus, et sanguine; qui podagravexatus è vita decessit; et cessit filiis merita, itaut in illis renouaretur iuuentus. Vtriusque mariti sata est proles, nomine et omine digna parentum fama, cum rumor paternus, liberis fuerit aternus; sorte cùm fortuna une sit omnibus. Quos habuit maritos in morte vidit martyres: foelix in puerorum partu, prudens in obi [86]tu. Cùm ad hoc amborum plangeret funus, unus iterum veneno mortem oppesiit, et petiit non vulgi clamorum, sed Dei amorem: semper in prosperis sapiens, in adversis pariens, devota vota rogat; et sic casta castè vixit, vt digna bini caesaris mulier atatis suae LXXVI. Cor et corpus cordi et corpori vivoru reddi lubens ad Christum spiritum spirans, et volens euolauit Parisiis anno 1607. 16. Kalendas Iuny. (1) Ronsard.
(2) Le Roy Henry le Grand l'a achetée de cette Princesse pour le donner à Henriette de Balsac Marquise de Verneuil, dont il a eu deux enfants, Monseigneur l'Evéque de Mets et Marquis de Verneuil, et feue la Duchesse de la Valete première femme de Mr le Duc d'Espernon, et y a fait bâtir la belle Chapelle.
(3) Henry II avoit choisi pour tenans avec sa Majesté au Tournoy de la ruë de S. Antoine ou des Tournelles, trois Princes les plus adroits et vaillans, qui estoient le frere et les deux maris de cette Princesse Anne d'Est.

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