Élisabeth de Bohême : Différence entre versions

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Élisabeth de Bohême est la fille d’Élisabeth Stuart (1596-1662) et de Frédéric V (1596-1632) qui n’a régné en Bohême que pendant l’hiver 1619-1620. Toute la vie d’Élisabeth se déroule donc en exil, entre Allemagne et Pays-Bas : à Heidelberg chez sa grand-mère, fille de Guillaume d’Orange, à Leyde pour étudier les langues, les lettres et les sciences, à la cour tenue par sa mère à La Haye et à celle de son frère Karl-Ludwig, électeur du Palatinat depuis 1649, avant de s’installer chez une de ses tantes à Krossen (Brandebourg). Elle est ensuite abbesse – protestante - à Herford en Westphalie de 1667 jusqu’à sa mort.<br/>
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Élisabeth de Bohême est à la fois une figure politique et une philosophe de premier plan. En tant que princesse en exil, le retour de sa maison sur le trône occupe toujours une part de ses pensées et lui impose d’avoir une vie publique. Âgée d’une quinzaine d’années, elle refuse ainsi d’épouser Ladislas IV Vasa, roi de Pologne, car elle ne veut pas se convertir au catholicisme, la défense du protestantisme ayant été une constante de la politique paternelle. Sa correspondance atteste d’activités diplomatiques et d’obligations politiques constantes tout au long de son existence. Mais parallèlement, Élisabeth déploie également et surtout une vie intellectuelle intense. Où qu’elle réside, elle s’entoure de gens de savoir et participe activement à la république des lettres. Outre sa connaissance des langues anciennes et modernes, elle excelle en mathématiques (résolvant par exemple le problème dit des trois cercles, problème alors très discuté). Mais ce sont surtout ses apports à la philosophie qui lui font jouer un rôle intellectuel essentiel.<br/>
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Amie du disciple de Descartes, Hendrik De Roy dit ''Regius'', ce dernier lui conseille d’écrire au philosophe français pour éclairer certains points de ses Méditations métaphysiques parues en 1641. Elle initie alors une correspondance avec Descartes qui dure de 1643 à 1649. La question la plus débattue concerne l’union de l’âme et du corps mais on y trouve également des considérations mathématiques et politiques. Le caractère intime de cette correspondance philosophique, où Élisabeth demande à Descartes d’être « le médecin de son âme », permet de discuter l’union et la distinction des substances (le corps et l’esprit) au niveau de l’individu et de ses passions. Cet échange prépare les Passions de l’âme de Descartes (1647) auxquelles les réflexions d’Élisabeth doivent donc beaucoup. À la mort de Descartes en 1650, Elisabeth refuse cependant que sa partie de leur correspondance intègre les œuvres complètes posthumes du philosophe, mais cela n’empêche pas celle-ci de contribuer efficacement à la diffusion de la philosophie de Descartes en Allemagne.<br/>
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Les réseaux intellectuels d’Élisabeth sont cependant beaucoup plus vastes et variés et sa pensée, complexe, est marquée d’épicurisme et d’un certain empirisme. Elle est admirée de Sorbière que l’on peut classer parmi les libertins érudits ; elle discute avec Puffendorf, théoricien du droit naturel ; elle entre ensuite en contact avec Malebranche dont elle admire La recherche de la vérité (1675) ainsi qu’avec Leibniz à propos de l’idée de Dieu. Elle reçoit d’ailleurs ce dernier à l’abbaye d’Herford. Sous sa direction, cette abbaye luthérienne, alors qu’elle-même est calviniste, devient un lieu accueillant pour toutes sortes de dissidences philosophiques et religieuses : les labadistes y trouvent refuge en 1670 ; les quakers William Penn et Robert Barclay y séjournent en 1677. Si Élisabeth accepte de loger la secte sulfureuse et persécutée menée par Jean de Labadie, c’est parce que celle-ci compte dans ses rangs Anna-Maria van Schurman, amie de longue date d’Élisabeth et femme savante admirée de toute l’Europe. Les années à Herford sont marquées par des débats d’ordre théologique et le désir d’Élisabeth d’établir en ce lieu un foyer intellectuel vivace et tolérant.<br/>
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Même si Élisabeth de Bohême n’a rien publié, son rôle dans la république des lettres du XVIIe siècle est essentiel : c’est une savante à part entière (par ses découvertes mathématiques et ses questionnements philosophiques) et c’est également l’organisatrice de réseaux européens. Son rôle est décisif dans la diffusion du cartésianisme mais aussi dans la construction de foyers intellectuels féminins solidaires. Des femmes comme Anna-Maria Schurman (1607-1678), Marie de Gournay (1565-1645), Marie du Moulin (1622-1699), Dorothy Moore (1612-1664), Bathsua Makin (1600-1675) et Katherine Jones, vicomtesse Ranelagh (1615-1691) ont fait partie de son premier cercle. Longtemps méconnue, elle acquiert aujourd’hui un renom international.
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Version du 23 mars 2021 à 17:07

Élisabeth de Bohême
Titre(s) Princesse palatine, abbesse d'Herford
Dénomination(s) Prinzessin Elisabeth von der Pfalz
la Grecque, la Magistra.
Biographie
Date de naissance 1618
Date de décès 1680
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Marie-Frédérique Pellegrin, 2020

Élisabeth de Bohême est la fille d’Élisabeth Stuart (1596-1662) et de Frédéric V (1596-1632) qui n’a régné en Bohême que pendant l’hiver 1619-1620. Toute la vie d’Élisabeth se déroule donc en exil, entre Allemagne et Pays-Bas : à Heidelberg chez sa grand-mère, fille de Guillaume d’Orange, à Leyde pour étudier les langues, les lettres et les sciences, à la cour tenue par sa mère à La Haye et à celle de son frère Karl-Ludwig, électeur du Palatinat depuis 1649, avant de s’installer chez une de ses tantes à Krossen (Brandebourg). Elle est ensuite abbesse – protestante - à Herford en Westphalie de 1667 jusqu’à sa mort.
Élisabeth de Bohême est à la fois une figure politique et une philosophe de premier plan. En tant que princesse en exil, le retour de sa maison sur le trône occupe toujours une part de ses pensées et lui impose d’avoir une vie publique. Âgée d’une quinzaine d’années, elle refuse ainsi d’épouser Ladislas IV Vasa, roi de Pologne, car elle ne veut pas se convertir au catholicisme, la défense du protestantisme ayant été une constante de la politique paternelle. Sa correspondance atteste d’activités diplomatiques et d’obligations politiques constantes tout au long de son existence. Mais parallèlement, Élisabeth déploie également et surtout une vie intellectuelle intense. Où qu’elle réside, elle s’entoure de gens de savoir et participe activement à la république des lettres. Outre sa connaissance des langues anciennes et modernes, elle excelle en mathématiques (résolvant par exemple le problème dit des trois cercles, problème alors très discuté). Mais ce sont surtout ses apports à la philosophie qui lui font jouer un rôle intellectuel essentiel.
Amie du disciple de Descartes, Hendrik De Roy dit Regius, ce dernier lui conseille d’écrire au philosophe français pour éclairer certains points de ses Méditations métaphysiques parues en 1641. Elle initie alors une correspondance avec Descartes qui dure de 1643 à 1649. La question la plus débattue concerne l’union de l’âme et du corps mais on y trouve également des considérations mathématiques et politiques. Le caractère intime de cette correspondance philosophique, où Élisabeth demande à Descartes d’être « le médecin de son âme », permet de discuter l’union et la distinction des substances (le corps et l’esprit) au niveau de l’individu et de ses passions. Cet échange prépare les Passions de l’âme de Descartes (1647) auxquelles les réflexions d’Élisabeth doivent donc beaucoup. À la mort de Descartes en 1650, Elisabeth refuse cependant que sa partie de leur correspondance intègre les œuvres complètes posthumes du philosophe, mais cela n’empêche pas celle-ci de contribuer efficacement à la diffusion de la philosophie de Descartes en Allemagne.
Les réseaux intellectuels d’Élisabeth sont cependant beaucoup plus vastes et variés et sa pensée, complexe, est marquée d’épicurisme et d’un certain empirisme. Elle est admirée de Sorbière que l’on peut classer parmi les libertins érudits ; elle discute avec Puffendorf, théoricien du droit naturel ; elle entre ensuite en contact avec Malebranche dont elle admire La recherche de la vérité (1675) ainsi qu’avec Leibniz à propos de l’idée de Dieu. Elle reçoit d’ailleurs ce dernier à l’abbaye d’Herford. Sous sa direction, cette abbaye luthérienne, alors qu’elle-même est calviniste, devient un lieu accueillant pour toutes sortes de dissidences philosophiques et religieuses : les labadistes y trouvent refuge en 1670 ; les quakers William Penn et Robert Barclay y séjournent en 1677. Si Élisabeth accepte de loger la secte sulfureuse et persécutée menée par Jean de Labadie, c’est parce que celle-ci compte dans ses rangs Anna-Maria van Schurman, amie de longue date d’Élisabeth et femme savante admirée de toute l’Europe. Les années à Herford sont marquées par des débats d’ordre théologique et le désir d’Élisabeth d’établir en ce lieu un foyer intellectuel vivace et tolérant.
Même si Élisabeth de Bohême n’a rien publié, son rôle dans la république des lettres du XVIIe siècle est essentiel : c’est une savante à part entière (par ses découvertes mathématiques et ses questionnements philosophiques) et c’est également l’organisatrice de réseaux européens. Son rôle est décisif dans la diffusion du cartésianisme mais aussi dans la construction de foyers intellectuels féminins solidaires. Des femmes comme Anna-Maria Schurman (1607-1678), Marie de Gournay (1565-1645), Marie du Moulin (1622-1699), Dorothy Moore (1612-1664), Bathsua Makin (1600-1675) et Katherine Jones, vicomtesse Ranelagh (1615-1691) ont fait partie de son premier cercle. Longtemps méconnue, elle acquiert aujourd’hui un renom international.

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