Élisabeth-Charlotte Huguet de Sémonville : Différence entre versions

De SiefarWikiFr

[version vérifiée][version vérifiée]
(Jugements)
(Jugements)
Ligne 44 : Ligne 44 :
 
* « Dimanche 10 août 1755. […] on ne parle que de la disgrace de Madame d’Estrade, j’ai oublié de te le mander vendredi. On dit que ce sont les premieres vepres de celle de Monsieur d’Argençon. Je n’en crois rien. Tant y a que la dame, sortant de diner avec le roi à La Meute {château de la Muette)] et venant a paris, a la dessente des Bonshommes [à Passy], un courrier lui remet une lere de Monsieur de St-Florentin qui lui demande la demission de sa charge et deffence de paroitre a la cour. On lui conserve des apointemens tournés en pension. […] Mardi 19 aoust 1755. […]  Les bruits sur Mr d’Argençon ne sont pas vrais. Ce n’est pas au moment de la guerre que l’on en renvoye le ministre ». (Françoise de Graffigny, ''Correspondance'', Oxford, Voltaire Foundation, t. XIV, 2013, p. 327 et 332).
 
* « Dimanche 10 août 1755. […] on ne parle que de la disgrace de Madame d’Estrade, j’ai oublié de te le mander vendredi. On dit que ce sont les premieres vepres de celle de Monsieur d’Argençon. Je n’en crois rien. Tant y a que la dame, sortant de diner avec le roi à La Meute {château de la Muette)] et venant a paris, a la dessente des Bonshommes [à Passy], un courrier lui remet une lere de Monsieur de St-Florentin qui lui demande la demission de sa charge et deffence de paroitre a la cour. On lui conserve des apointemens tournés en pension. […] Mardi 19 aoust 1755. […]  Les bruits sur Mr d’Argençon ne sont pas vrais. Ce n’est pas au moment de la guerre que l’on en renvoye le ministre ». (Françoise de Graffigny, ''Correspondance'', Oxford, Voltaire Foundation, t. XIV, 2013, p. 327 et 332).
 
* « […] On dit même que d’Estrade// Si vilaine et si laide […] » (Chanson attribuée à Maurepas, avril 1749, citée in Edmond Jean François Barbier, ''Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV'', Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91, note 2).
 
* « […] On dit même que d’Estrade// Si vilaine et si laide […] » (Chanson attribuée à Maurepas, avril 1749, citée in Edmond Jean François Barbier, ''Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV'', Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91, note 2).
* « Août 1755 — Dans le dernier voyage du roi à la Muette, du 3 de ce mois, il y a eu des nouvelles de cour. Madame la comtesse d'Estrade, dame d'atours de madame Adélaïde, fille de France, est en son nom Le Normant (sic), cousine germaine de M. Le Normant, fermier général et mari de la marquise de Pompadour. Par cette liaison, madame la Marquise lui avait marqué beaucoup d'amitié. Elle lui avait procuré cette place de dame d'atours lorsqu'on a fait une maison à madame Adélaïde, et elle était de tous les petits voyages et de toutes les parties du roi. […] Mercredi, 6, étant à la Muette, au bois de Boulogne, pendant que le roi était à chasser des perdreaux, elle demanda à madame la Marquise si elle ne pouvait pas aller deux heures à Paris pour affaires, et elle partit dans un carrosse du roi. Elle ne fut pas au bas de la montagne des Bons-Hommes de Passy, qu'un homme à cheval fit arrêter le carrosse et lui présenta, de la part du roi, un paquet qui contenait un ordre de donner sur-le-champ sa démission de sa place de dame d’atours, et de ne plus reparaître à la cour.  
+
* « Août 1755 — Dans le dernier voyage du roi à la Muette, du 3 de ce mois, il y a eu des nouvelles de cour. Madame la comtesse d'Estrade, dame d'atours de madame Adélaïde, fille de France, est en son nom Le Normant (sic), cousine germaine de M. Le Normant, fermier général et mari de la marquise de Pompadour. Par cette liaison, madame la Marquise lui avait marqué beaucoup d'amitié. Elle lui avait procuré cette place de dame d'atours lorsqu'on a fait une maison à madame Adélaïde, et elle était de tous les petits voyages et de toutes les parties du roi. […] Mercredi, 6, étant à la Muette, au bois de Boulogne, pendant que le roi était à chasser des perdreaux, elle demanda à madame la Marquise si elle ne pouvait pas aller deux heures à Paris pour affaires, et elle partit dans un carrosse du roi. Elle ne fut pas au bas de la montagne des Bons-Hommes de Passy, qu'un homme à cheval fit arrêter le carrosse et lui présenta, de la part du roi, un paquet qui contenait un ordre de donner sur-le-champ sa démission de sa place de dame d’atours, et de ne plus reparaître à la cour. Cette nouvelle a fort étonné Paris ; on n'en sait pas la véritable cause, on ne fait que conjecturer. Elle était intime amie de M. le comte d'Argenson, ministre de la guerre. On ne sait si elle a reporté quelque chose de ce qui pouvait se dire dans l'intérieur ou aux petits soupers, soit à madame Adélaïde, soit à M. d'Argenson, ou si elle a dit ou fait quelque chose contre madame la Marquise, sa bienfaitrice. Bref, on ne sait rien. On dit seulement qu'elle a beaucoup d'esprit, mais qu'elle n'est pas jolie. Le roi a eu encore la bonté, dit-on, de lui accorder dix mille livres de pension. C'est madame la marquise de Civrac, dame de compagnie, qui a la place de dame d'atours.» (Edmond Jean François Barbier, ''Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV'', Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91 ; quatre autres mentions : 9 septembre 1745, avril 1749, août 1750, février 1752).
Cette nouvelle a fort étonné Paris ; on n'en sait pas la véritable cause, on ne fait que conjecturer. Elle était intime amie de M. le comte d'Argenson, ministre de la guerre. On ne sait si elle a reporté quelque chose de ce qui pouvait se dire dans l'intérieur ou aux petits soupers, soit à madame Adélaïde, soit à M. d'Argenson, ou si elle a dit ou fait quelque chose contre madame la Marquise, sa bienfaitrice. Bref, on ne sait rien. On dit seulement qu'elle a beaucoup d'esprit, mais qu'elle n'est pas jolie. Le roi a eu encore la bonté, dit-on, de lui accorder dix mille livres de pension. C'est madame la marquise de Civrac, dame de compagnie, qui a la place de dame d'atours.» (Edmond Jean François Barbier, ''Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV'', Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91 ; quatre autres mentions : 9 septembre 1745, avril 1749, août 1750, février 1752).
+
 
* « Pendant le séjour involontaire de M. d’Argenson aux Ormes, j’y ai fait quatorze voyages et j’ai pu causer dans la plus grande intimité avec Mme d’Estrades […] qui me dit : « Oui, souhaitez qu’il vive et que le Roi rende justice à son innocence opprimée ; vous ferez un beau chemin : c’est bien la moindre chose qu’on doive à ceux que nos malheurs nous ont encore plus attachés. » (Valfons, ''Souvenirs'', Paris, Mercure de France, 2003, pp. 247-249).
 
* « Pendant le séjour involontaire de M. d’Argenson aux Ormes, j’y ai fait quatorze voyages et j’ai pu causer dans la plus grande intimité avec Mme d’Estrades […] qui me dit : « Oui, souhaitez qu’il vive et que le Roi rende justice à son innocence opprimée ; vous ferez un beau chemin : c’est bien la moindre chose qu’on doive à ceux que nos malheurs nous ont encore plus attachés. » (Valfons, ''Souvenirs'', Paris, Mercure de France, 2003, pp. 247-249).
 
* « Chapitre XIV.- L’affaire Choiseul-Romanet.- […]. Cette cousine et amie de cœur de la marquise, que celle-ci avait amenée avec elle à Versailles, montra enfin son véritable caractère. Elle semble avoir été dévorée de jalousie. En dépit des marques de bonté quotidiennes prodiguées par la marquise et des innombrables privilèges obtenus grâce à elle, cette vilaine personne se retourna contre sa bienfaitrice, pour ainsi dire dès le premier jour. Elle n’était pas laide, en dépit de ses joues pendantes, et elle essaya de s’insinuer dans le lit du roi. […] Ensuite, Mme d’estrades se mit à comploter avec Argenson contre Mme de Pompadour, colportant des histoires, semant le trouble, dangereuse comme peut l’être une amie intime. […]. » (Nancy Mitford, ''Madame de Pompadour'', Traduit de l’anglais par René Chapult, Paris, Tallandier « Texto », 2018 (1ère éd. 1968), p. 179).
 
* « Chapitre XIV.- L’affaire Choiseul-Romanet.- […]. Cette cousine et amie de cœur de la marquise, que celle-ci avait amenée avec elle à Versailles, montra enfin son véritable caractère. Elle semble avoir été dévorée de jalousie. En dépit des marques de bonté quotidiennes prodiguées par la marquise et des innombrables privilèges obtenus grâce à elle, cette vilaine personne se retourna contre sa bienfaitrice, pour ainsi dire dès le premier jour. Elle n’était pas laide, en dépit de ses joues pendantes, et elle essaya de s’insinuer dans le lit du roi. […] Ensuite, Mme d’estrades se mit à comploter avec Argenson contre Mme de Pompadour, colportant des histoires, semant le trouble, dangereuse comme peut l’être une amie intime. […]. » (Nancy Mitford, ''Madame de Pompadour'', Traduit de l’anglais par René Chapult, Paris, Tallandier « Texto », 2018 (1ère éd. 1968), p. 179).

Version du 9 octobre 2018 à 09:48

Élisabeth-Charlotte Huguet de Sémonville
Titre(s) comtesse d'Estrades
Conjoint(s) 1.Charles Jean d’Estrades comte d’Estrades
2. Nicolas Maximilien Séguier de Saint-Brisson, comte de Saint-Brisson
Biographie
Date de naissance 1715?
Date de décès 1784
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)


Notice de Nicole Pellegrin, 2018

Élisabeth-Charlotte Huguet de Sémonville serait née en 1715 dans une famille noble, plus ou moins désargentée, mais reçue à la Cour. Son père, Bertrand François Huguet (1640-1729), seigneur de Semonville, est secrétaire et maître d’hôtel ordinaire du roi et marié à Charlotte Chaufourneau. Un de ses frères est lieutenant au régiment des gardes françaises et est commandeur de l’ordre de Saint-Lazare. Elle épouse à une date encore inconnue le comte Charles Jean d’Estrades : cousin germain du mari de Madame Le Normant d’Etioles, future marquise de Pompadour, c’est un militaire, né en 1709 et tué au combat de Dettingen le 19 juillet 1743, sans qu’ils aient eu d’enfants.
La comtesse d’Estrades est présentée à la cour le 12 septembre 1745. Selon M. de Luynes, le seul bien de Mme d'Estrades est alors un hôtel particulier à Paris dans le Marais dont elle partage la propriété avec son frère. Grâce à sa parente, elle obtient, en 1748, un appartement versaillais mitoyen de celui de la favorite ; en 1749, elle est nommée dame d’atour de « Mesdames les Aînées », Henriette et Adélaïde, filles du roi. Elle est des petits soupers du roi, mais elle aurait dès lors intrigué pour supplanter elle-même la marquise dans le lit du monarque, avant d’essayer, en 1752, de placer auprès de Louis XV la jeune Charlotte-Rosalie de Romanet, comtesse de Choiseul-Beaupré, sa nièce, également dame d’atour de Mesdames. Tentative que fit échouer le cousin de celle-ci, Choiseul-Stainville, le futur duc et ministre, devenu l’allié de la marquise de Pompadour.
Mme d’Estrades est, dès 1750, durablement et quasi officiellement, la maîtresse du comte d’Argenson, un adversaire déclaré de Pompadour. Cette dernière, jugeant sans doute dangereuse sa cousine, la fait brutalement disgracier en août 1755. Interdite à la cour, elle conserve néanmoins ses appointements. Neuf ans plus tard, une lettre (peut-être un faux) envoyée à sa maîtresse par le comte est interceptée par Pompadour et aurait servi de prétexte à l’exil de celui-ci au château des Ormes en Poitou. Mme d’Estrades l’y suit et l’attachement du comte d’Argenson pour elle se traduit en août 1764 par un don testamentaire de mille ouvrages à tirer de sa bibliothèque.
La comtesse lui survit assez longtemps pour se remarier à 50 ans avec Nicolas Maximilien Séguier de Saint-Brisson, comte de Saint-Brisson, mort en 1809 et de vingt ans plus jeune qu’elle. Élisabeth-Charlotte Huguet de Sémonville meurt en 1784.
Personnage controversé et soumis en permanence au regard malveillant de la Cour, elle fut accusée, en son temps, de mille défauts : laideur, déloyauté, goût du lucre, infidélité (y compris amoureuse). Le marquis d’Argenson, par exemple, tout en lui reprochant, dans son Journal, de soutenir invariablement le comte d’Argenson et le clan « de la bigoterie » (celui des Noailles notamment), souligne ses trahisons et « une richesse immense » : elle aurait laissé « manquer de tout Madame Adélaïde », se serait toujours montrée « d’une avarice hideuse » à son égard et aurait accepté de l’argent des États d’Artois en mars 1752 quitte à abandonner à la vindicte royale des amis comme Maillebois.
Estrades est doublement intrigante : visiblement habile à mener des intrigues, il est difficile cependant de mesurer l’efficacité de celles-ci. Figure archétypale de la femme de Cour, à la fois intéressée et talentueuse, elle fut capable aussi d’attachements, sinon amoureux, du moins durables, à l’égard d’hommes de premier plan qui furent, au moins un temps, « subjugués », par elle, Quesnay notamment. Aux dires de Choiseul, un ennemi du comte d’Argenson, ce dernier aurait été à la fois la victime et le bénéficiaire d’un « pouvoir nocturne » qui fut sans doute aussi un pouvoir intellectuel. Mais il reste à en trouver des traces écrites qui ne soient pas médisantes. Vilipendée par la plupart de ses contemporains qui n’ont cessé de commenter ses heurs et ses malheurs, la comtesse d’Estrades a peu attiré l’attention de la postérité. Seul-e-s quelques historien-ne-s de la vie curiale et des favorites royales comme Évelyne Lever, Jean Haechler ou Alexandre Maral ont su repérer l’importance de son rôle politique à la cour de Louis XV.

Principales sources imprimées

  • Argenson, Marc-René, marquis d’, Journal et mémoires, éd. par E. J. B. Rathery, Paris, Vve Jules Renouard, 1859-1867, 9 vol.
  • Barbier, Edmond-Jean-François, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, éd. par Arthur de La Villegille, Paris, Renouard, 1847-1856, 4 vol.
  • Bernis, François-Joachim, cardinal de, Mémoires, éd. par Jean-Marie Rouart et Philippe Bonnet, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 1980.
  • Choiseul, duc de, Mémoires, éd. par Jean-Pierre Guicciardi et Philippe Bonnet, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 1982.
  • Graffigny, Françoise de, Correspondance, Oxford, Voltaire Foundation, 1985-2016, 16 vol.
  • Marmontel, Jean-François, Mémoires, éd. par Jean-Pierre Guicciardi et Gilles Thierriat, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 1999.
  • Valfons, Charles de Mathei, marquis de, Souvenirs, éd. par Jacqueline Hellegouarc’h, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 2003.

Choix bibliographique

  • Chaussinand-Nogaret, Guy, Les Femmes du roi. D’Agnès Sorel à Marie-Antoinette, Paris, Tallandier, « Texto », 2012.
  • Combeau, Yves, Le comte d’Argenson, 1696-1764 : Ministre de Louis XV, Paris, École des Chartes, 1999.
  • Haechler, Jean, Le règne des femmes, 1715-1793, Paris, Grasset et Fasquelle, 200I.
  • Lever, Evelyne, Madame de Pompadour, Paris, Perrin, 2000.
  • Maral, Alexandre, Femmes de Versailles, Paris, Perrin, 2016

Choix iconographique

  • 1770 : Antoine Vestier, La Comtesse d’Estrades, portrait présumé, huile sur toile, 99 x 74 cm -- Norton Simon Museum, Pasadena, Californie, USA

Choix de liens électroniques

  • Les Favorites royales [1]

Jugements

  • « M. d’Argenson lui sacrifia sa fortune et sa famille. Cependant cette femme [Mme d’Estrades] n'était qu'une ingrate et une intrigante. A quoi sert d'avoir un esprit supérieur pour venir échouer sur un pareil écueil ? […] [Elle] avait été la compagne de madame d'Etioles, quand elle arriva à la cour. Elles étaient parentes parce que M. d'Estrades était fils de mademoiselle Lenormand. C'était assurément un grand service que lui rendait madame d'Estrades, et il fallait bien de l'amitié pour cela, si des vues de fortune n'y étaient point entrées. Il n'y eut que madame la princesse de Conti qui se joignit à elle et qui présenta madame d'Etioles à la cour. Madame de Pompadour se crut obligée de prendre soin de la fortune de madame d’Estrades, qui était médiocre. » (Hénault, Mémoires, Référence à compléter)
  • « 7 mai [1749].- […] on s’est mis en tête de donner de l’esprit à la comtesse d’Estrades, sa cousine, on y a trouvé du bon sens, de la décision, avec quelques dureté de caractère, elle a assez réussi auprès de mesdames ; sur cela, Messieurs… s’en sont emparés, et lui ont inspiré la jalousie des Pâris et le désir de gouverner seule : cela a réussi parfaitement. C’est donc la comtesse qui gouverne décidément la marquise, elle l’a décidée par une volonté ferme et hardie qui ne doute de rien. […] 15 juillet [1750].- La comtesse d’Estrades commence à être au plus mal avec Mme de Pompadour ; trop de gens ont voulu se servir d’elle et la reconnaître comme gouvernante de la favorite ; elle a voulu gouverner ; elle se plaint aujourd’hui de manquer de crédit, et on ne l’écoute plus, on ne la garde plus que par égards et politique. […] 12 février [1751].- Il y a grande brouillerie entre Mme de Pompadour et Mme d’Estrades ; celle-ci avait trop pris de considération par elle-même et éclipsait la marquise ; la faveur de cette favorite s’est entièrement détournée sur la grande duchesse de Brancas. […] 18 janvier [1752].- L’on sème dans le public que Mme d’Estrades a été empoisonnée par Mme de Pompadour, qu’elle a voulu s’en défaire sur le soupçon qu’elle travaillait à lui substituer Mme de Choiseul. On objecte que Mme de Pompadour n’est point connue par des traits hardis de cruauté. […] Enfin l’on accrédite ces bruits-là dans les cafés de Paris, et il paraît par cette licence qu’ils sont autant soufflés que tolérés. De là l’on fait de Mme d’Estrades une héroïne de vertu et de probité, ce qui n’est point du tout, et je donnerais pour une épingle la m… comme la p… 26 mars [1752].- L’on craignait que la comtesse d’Estrades ne prît trop d’ascendant sur Mesdames et sur la famille royale : elle s’était fort adonnée à mon frère, à mon fils et à M ; de Maillebois [exilé] ; ils l’avaient débauchée de sa fidélité à sa cousine de Pompadour ; elle les servait bien, l’on veut la renvoyer à Paris, et l’on y parviendra. De chagrin, mon frère tombe malade […]. 20 septembre [1752].- La comtesse d’Estrades a plus de crédit que jamais : Mme de Pompadour croit qu’elle sera perdue par elle. La marquise de Duras l’aide avec habileté ; mon frère est son conseil et la dirige ; ainsi voilà un crédit relevé plus haut qu’il n’avait été abattu : ce crédit est celui de la famille royale. […] 11 août [1755].- La disgrâce de la comtesse d’Estrades souffle des discours d’intrigue à la cour et à la ville. L’on prétend que ecela augure aussi des disgrâces dans ma famille. Cela fait, dit-on , des un grand vide dans l’occupation intrigante de mon frère : chez cette dame se rassemblaient ses amis, et surtout les ennemis de la marquise de pompadour ; il avait débauché cette cousine à la favorite. Enfin, dit-on, Madame Adélaïde a causé cette disgrâce ; elle a déclaré au Roi qu’elle en était ennuyée, qu’elle faisait mal sa charge de dame d’atour et qu’elle était intrigante. […] 16 août [1755].- L’on m’a éclairé davantage sur les causes de la disgrâce de la comtesse d’estrades. Les voici : depuis qu’il est question de guerre et de préparatifs, le Roi a pris de l’humeur contre la marquise de Pompadour qui, à la vérité, est bien chère et coûte gros à l’Etat, tant pour elle que pour les arts inutiles et pour les prodigalités qu’elle protège. On avait tenu de semblables [propos] au cercle de conversation de Mme d’Estrades, et cela lui avait été rapporté. […] La marquise […] a cru important de reparaître accréditée par un coup d’éclat, et elle n’a rien trouvé de mieux que de faire chasser sa cousine : elle y a poussé le Roi et a insisté comme elle sait faire. […] Le Roi résistait encore, ce qui fit que la comtesse fut invitée à nouveau au souper de M. de Soubise ; enfin le Roi donna l’ordre fatal à M. de saint-Florentin pour cette disgrâce, et lui a conservé ses appointements, vu sa prétendue pauvreté. […] » (Marquis d’Argenson, Journal et mémoires, éd. par E. J. B. Rathery, Paris, Vve Jules Renouard, 1859-1867, t. V, p. 458 et encore, près d’une cinquantaine d’autres mentions, toutes dépréciatives).
  • « Dimanche 10 août 1755. […] on ne parle que de la disgrace de Madame d’Estrade, j’ai oublié de te le mander vendredi. On dit que ce sont les premieres vepres de celle de Monsieur d’Argençon. Je n’en crois rien. Tant y a que la dame, sortant de diner avec le roi à La Meute {château de la Muette)] et venant a paris, a la dessente des Bonshommes [à Passy], un courrier lui remet une lere de Monsieur de St-Florentin qui lui demande la demission de sa charge et deffence de paroitre a la cour. On lui conserve des apointemens tournés en pension. […] Mardi 19 aoust 1755. […] Les bruits sur Mr d’Argençon ne sont pas vrais. Ce n’est pas au moment de la guerre que l’on en renvoye le ministre ». (Françoise de Graffigny, Correspondance, Oxford, Voltaire Foundation, t. XIV, 2013, p. 327 et 332).
  • « […] On dit même que d’Estrade// Si vilaine et si laide […] » (Chanson attribuée à Maurepas, avril 1749, citée in Edmond Jean François Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91, note 2).
  • « Août 1755 — Dans le dernier voyage du roi à la Muette, du 3 de ce mois, il y a eu des nouvelles de cour. Madame la comtesse d'Estrade, dame d'atours de madame Adélaïde, fille de France, est en son nom Le Normant (sic), cousine germaine de M. Le Normant, fermier général et mari de la marquise de Pompadour. Par cette liaison, madame la Marquise lui avait marqué beaucoup d'amitié. Elle lui avait procuré cette place de dame d'atours lorsqu'on a fait une maison à madame Adélaïde, et elle était de tous les petits voyages et de toutes les parties du roi. […] Mercredi, 6, étant à la Muette, au bois de Boulogne, pendant que le roi était à chasser des perdreaux, elle demanda à madame la Marquise si elle ne pouvait pas aller deux heures à Paris pour affaires, et elle partit dans un carrosse du roi. Elle ne fut pas au bas de la montagne des Bons-Hommes de Passy, qu'un homme à cheval fit arrêter le carrosse et lui présenta, de la part du roi, un paquet qui contenait un ordre de donner sur-le-champ sa démission de sa place de dame d’atours, et de ne plus reparaître à la cour. Cette nouvelle a fort étonné Paris ; on n'en sait pas la véritable cause, on ne fait que conjecturer. Elle était intime amie de M. le comte d'Argenson, ministre de la guerre. On ne sait si elle a reporté quelque chose de ce qui pouvait se dire dans l'intérieur ou aux petits soupers, soit à madame Adélaïde, soit à M. d'Argenson, ou si elle a dit ou fait quelque chose contre madame la Marquise, sa bienfaitrice. Bref, on ne sait rien. On dit seulement qu'elle a beaucoup d'esprit, mais qu'elle n'est pas jolie. Le roi a eu encore la bonté, dit-on, de lui accorder dix mille livres de pension. C'est madame la marquise de Civrac, dame de compagnie, qui a la place de dame d'atours.» (Edmond Jean François Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, Paris, Jules Renouard, 1856, t. IV, p. 91 ; quatre autres mentions : 9 septembre 1745, avril 1749, août 1750, février 1752).
  • « Pendant le séjour involontaire de M. d’Argenson aux Ormes, j’y ai fait quatorze voyages et j’ai pu causer dans la plus grande intimité avec Mme d’Estrades […] qui me dit : « Oui, souhaitez qu’il vive et que le Roi rende justice à son innocence opprimée ; vous ferez un beau chemin : c’est bien la moindre chose qu’on doive à ceux que nos malheurs nous ont encore plus attachés. » (Valfons, Souvenirs, Paris, Mercure de France, 2003, pp. 247-249).
  • « Chapitre XIV.- L’affaire Choiseul-Romanet.- […]. Cette cousine et amie de cœur de la marquise, que celle-ci avait amenée avec elle à Versailles, montra enfin son véritable caractère. Elle semble avoir été dévorée de jalousie. En dépit des marques de bonté quotidiennes prodiguées par la marquise et des innombrables privilèges obtenus grâce à elle, cette vilaine personne se retourna contre sa bienfaitrice, pour ainsi dire dès le premier jour. Elle n’était pas laide, en dépit de ses joues pendantes, et elle essaya de s’insinuer dans le lit du roi. […] Ensuite, Mme d’estrades se mit à comploter avec Argenson contre Mme de Pompadour, colportant des histoires, semant le trouble, dangereuse comme peut l’être une amie intime. […]. » (Nancy Mitford, Madame de Pompadour, Traduit de l’anglais par René Chapult, Paris, Tallandier « Texto », 2018 (1ère éd. 1968), p. 179).
  • « Derrière chaque homme il y a une femme. Chacun, à un moment de sa carrière, a été protégé par une femme : Mme de Tencin a guidé son frère, Mme de Prie M. le Duc, la comtesse d’Estrades le comte d’Argenson, Béatrix de Gramont son frère Choiseul, Mlle Guimard Mgr de Jarente, Mlle de Lespinasse Condorcet, Mme Roland son mari… » (Jean Haechler, Le règne des femmes, 1715-1793, Paris, Grasset et Fasquelle, 2001, p. 313).
Outils personnels