Suzanne Habert/Hilarion de Coste

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[II,777] SUSANNE HABERT, DAME PARISIENNE (1). QUICONQUE ne fait honneur à cette pieuse et sçavante Dame Parisienne le refuse à la vertu. Elle estoit fille de Pierre Habert sieur des Ternes Conseiller et Secretaire du Roy, Bailly du Louvre et de l'Artillerie de France, Tresorier des menus plaisirs, et Secretaire du Cabinet du Roy Henry III. et de Jaqueline de Montmilet d'une bonne Maison de Bourgongne. Son pere eut l'honneur de servir les Roys Henry III. et IV. en ces charges honorables, dont il s'acquita tres-dignement, il fut pour sa probilté et sa grande sagesse aymé de leurs Majestez; le Roy Henry III. l'appelloit ordinairement son pere et le Tresorier sans reproche. Estant demeuré veuf il delibera de marier sa fille Susanne Habert à un honneste homme [778] nommé Charles du Jardin qui estoit aussi Officier domestique du Roy Henry III. Elle véquit six ans en mariage avec luy, et la pluspart de ce temps-là elle fut continuellement indisposée de sa personne.
Quand elle demeura veuve, elle n'avoit pas encore atteint l'âge de 24. ans, et quoy qu'elle fust en sa grande jeunesse et en la fleur de sa beauté, elle ne voulut jamais entendre à aucun party quoy que tres-avantageux, et sollicitée par son pere, qui tous les jours s'efforçoit de luy faire agreer les bonnes rencontres qui se presentoient. Elle fit tant par ses raisons qu'elle luy fit trouver bon de ne l'obliger point à se remarier; ce qu'ayant enfin obtenu, elle se donna tout à fait à Dieu, exprimant parfaitement en sa vie ce que dit saint Paul, que celle qui est veritablement veuve ne doit point avoir d'autre employ que les larmes, ny d'autre occupation que d'estre en priere jour et nuit: aussi étoit-ce l'exercice de cette chaste Susanne dans son veuvage; elle n'avoit plus que le corps sur la terre; son coeur et son esprit avoient suivy son Epoux dans le Ciel, c'estoit là qu'estoient toutes ses pensées et ses affections, comme c'estoit là qu'elle vivoit selon la meilleure partie d'elle méme: et quoy qu'elle fut dans la fleur de son âge et dans la vigueur de sa jeunesse et pourveue d'une beauté ravissante, si est-ce que le desir des secondes noces ne luy vint jamais dans l'ame, disant veritablement comme ces chastes Heroines Elizabet d'Austriche et Louise de Lorraine Reynes de France: Felice de Saint Severin Duchesse de Gravine: Marie d'Albret et Fulvie Pic de la Mirande, Comtesses de Nevers et de Randan: et Magdelene l'Huillier Dame de Sainte Beuve sa bonne amie: les vers que Virgile fait dire à la Reyne de Carthage aprés la perte de son mary Sichée.
Les saintes veuves qui vivent de la sorte ne sont pas les moindres ornemens de l'Eglise, dit le méme Apostre, on les doit regarder avec respect, et les honorer comme de grands exemples de vertu.
Pour bien employer son temps en sa viduité, elle se mit à apprendre les sciences et les belles lettres avec les langues [779] Hebraïque, Grecque, Latine, Italienne et Espagnole, et méme la Philosophie et la sainte Theologie qu'elle a tousjours honorée et respectée comme la Reyne et la Dame des autres sciences, qui ne sont pour ainsi dire que ses servantes. Elle employa la meilleure partie de sa vie en ce saint étude, n'ayant jamais laissé passer un jour sans lire la Sainte Bible, et quelque Pere Grec ou Latin. Ce fut par le moyen de cette sainte occupation qu'elle fit profession ouverte de la vie devote.
Elle s'adonna à l'oraison et aux austeritez si assiduement, qu'elle en gasta sa santé, n'ayant pas encore durant les premieres années de sa viduité un Directeur pour la conduire aux exercices de la pieté. Elle se levoit en hiver de si grand matin pour aller à l'Eglise, que bien souvent elle ne la trouvoit pas ouverte, et attendant sur le pas de la porte que l'on l'ouvrist, elle demeuroit avec tant d'attention et de respect devant Dieu, que souvent son esprit estant attentif aux divins mysteres elle ne prononçoit aucune priere des levres; ce qui donnoit sujet de croire aux gens grossiers qu'elle dormoit; cela fut cause que quelquefois Mr René Benoist Curé de Saint Eustache la reprenoit devant tout le monde dans l'Eglise, et luy disoit qu'elle dist les Heures ou son Chapelet; ce qu'elle faisoit aussi tost sans repartir ny sans murmurer de ce qu'il luy avoit dit, bien qu'elle ne priast pas vocalement, elle avoit tousjours son Chapelet dans ses mains; il luy disoit d'ordinaire, l'allant voir chez elle, que ce qu'il en faisoit estoit afin que l'on prist exemple sur elle, et que le simple peuple ne sçavoit pas que c'estoit que l'oraison mentale, et voyant qu'elle ne disoit mot le monde eust peu croire qu'il falloit ainsi faire sans penser à rien: quand ses servantes murmuroient de ce qu'il la reprenoit ainsi publiquement, elle l'excusoit et disoit qu'il avoit raison. Pour mieux pratiquer la devotion solide, et se maintenir dans la pureté digne d'une vraye veuve, elle se tenoit fort retirée, et sçavoit avec adresse éviter et se cacher quand le Roy venoit chez son pere, qui estoit toûjours à son occasion, et rarement il arrivoit qu'il la pût voir. Lors qu'elle alloit à pied par la ville chacun s'arrestoit à sa [780] grande beauté, et la louant tout haut, cela l'importunoit si fort, qu'elle ne sortoit que le moins qu'elle pouvoit, jusques à ce que Mr Habert par le commandement du Roy luy voulut faire porter le nom et l'habit de Demoiselle; ce qu'elle refusa, mais accepta seulement le masque afin de n'estre plus veue du monde, et de fait elle ne l'ostoit que pour recevoir les Sacremens, et quand on levoit Dieu à la Messe, afin que l'on ne la regardast plus; Elle estoit vestue modestement d'étamine et camelot noir sans aucune façon, la modestie estant necessaire pour la conservation de la pureté.
Demeurant ainsi dans la solitude et en la retraite, elle estoit continuellement occupée en la lecture des Saints Peres, et s'estoit reglée à lire depuis les quatre heures du matin jusqu'à sept, aprés elle s'habilloit pour aller à Saint Eustache qui estoit sa paroisse, où elle entendoit la Messe et se confessoit et communioit presque tous les jours: puis estant de retour en son cabinet elle y demeuroit dans les mémes exercices jusqu'à l'heure du disner. Elle se faisoit lire auprés d'elle pour se reposer, sur les deux heures elle recevoit les visites de personnes sages et de haute vertu, comme de Prelats, de Docteurs, de Religieux, de Princesses et de Dames devotes qui recevoient une grande satisfaction de passer quelque temps à parler avec elle, et conferoient avec elle de ce qu'ils pourroient faire pour la gloire de Dieu: car plusieurs personnes d'eminente probité et de haute doctrine ont asseuré de vive voix et par écrit, de n'avoir jamais veu ny conneu un esprit plus net pour une femme que celuy de Madame du Jardin. Elle avoit de belles connoissances en l'Ecriture sainte, en la Theologie, aux langues Grecque et Latine; et ses occupations plus ordinaires estoient l'étude des saintes Lettres et des Peres. Il fut imprimé un Catechismedont on a fait estat sous un nom emprunté, n'ayant jamais voulu mettre le sien. Plusieurs personnes dignes de foy ont veu une solide et theologique explication du Symbole de saint Athanase. Elle a fait aussi quelques traittez sur les Sacremens et un de l'Oraison, qui ne furent pas bruslez comme elle avoit desiré: on les mit entre les mains de M. Habert son neveu, qui depuis a esté Docteur de [781] Sorbonne, Theologal de Paris, et maintenant est Evéque de Vabres, Prelat qui ne cesse d'employer dignement sa docte plume pour l'exaltation de l'unique épouse du fils unique de Dieu.
Elle estoit fort élevée en la contemplation, mais solide en ses devotions, et ce que l'on doit plus estimer en elle, c'est que nonobstant ses belles lumieres et son grand esprit, elle ne le faisoit paroistre qu'à regret et par obeïssance, et parloit fort peu. Ceux qui l'ont frequentée sçavent comme elle estoit prudente et humble en la conversation, n'interrompant jamais personne et cedant tousjours aux sentimens d'autruy, aprés avoir dit les siens dans une moderation ravissante.
Souvent les Predicateurs la visitoient pour sçavoir d'elle les defauts qu'ils pouvoient commettre en leurs sermons; mais elle estoit si modeste que jamais elle n'avoit rien à leur dire, sinon que ce n'estoit pas à elle d'en juger, et que d'autres personnes plus capables qu'elle les satisferoient. Jamais on ne luy entendoit blasmer un Predicateur, mais si quelqu'un le faisoit, elle leur disoit que ce n'estoit pas ny aux femmes ny aux filles de se mesler d'en parler, et y trouver à redire; elle ne faisoit aucune ostentation de son sçavoir, et n'y avoit que les personnes à qui elle avoit une particuliere confiance qui le sçavoient, méme ses domestiques n'en découvroient aucune chose que parce qu'ils voyoient les livres dont elle se servoit. Cela a persuadé quelques uns, et fait croire avec raison, qu'elle avoit une science plus infuse qu'acquise qui luy donnoit l'intelligence des langues sans y avoir fait une grande étude, et que pour cacher ce don là elle faisoit venir chez elle un Ecclesiastique pour luy apprendre les principes de la Grammaire, quoy que longtemps auparavant elle eust déja appris toutes sortes de langues; et se faisoit apporter tous les jours dés le grand matin les oeuvres des Peres Latins et Grecs, qu'elle lisoit deux ou trois heures avant que de se lever quand elle n'estoit point malade. Elle employoit aussi le soir et le matin à l'oraison mentale dans son cabinet ou dans sa chambre; et n'estoit jamais long temps à l'Eglise depuis qu'elle fut infirme; [782] mais elle entendoit seulement une Messe, et les Dimanches et les Festes elle assistoit à la grande Messe, et puis encore en entendoit une basse; elle se trouvoit à Vespres, à Complies et au Sermon, parce, disoit-elle, qu'il ne falloit pas faire parade de sa devotion ny ennuyer ceux de sa suite à les y faire tenir par trop. Toutes ses prieres et ses études ne visoient qu'au salut des ames, et à son avancement spirituel et de son prochain. Elle aymoit si fort à soulager les pauvres étudians qu'elle les assistoit en tout, leur donnant des livres, des habits et de l'argent: lors qu'elle voyoit quelques affaires qui regardoient l'Eglise ou l'Estat, elle redoubloit ses devotions, faisant de petits voyages de devotion, où elle menoit de bonnes ames pour obtenir de Dieu, par leur priere, quelque grace et faveur.
Pour ce qui regardoit ses parens elle faisoit tout son possible pour les porter à la vertu et au mépris du monde; elle fit tant par ses douces exhortations qu'une de ses nieces quitta le monde où elle estoit assez avant, pour se rendre Capucine. Elle fut aussi cause qu'un de ses neveux se rendit Chartreux, et plusieurs autres personnes que je serois trop long à nommer.
Elle a converty plusieurs Religionnaires, entre autres un jeune homme d'une bonne famille qui fut si fort touché de ce qu'elle disoit, qu'il se rendit Capucin; ce que ses parens ayans appris se fascherent contre elle, et luy dirent beaucoup de choses pour l'offenser, ce qu'elle endura avec une grande patience pour l'amour de Dieu.
Si elle découvroit que quelques Religieuses fussent hors de leurs Cloistres pour avoir failly, elle taschoit à les faire venir chez elle pour les reduire et remettre à leur devoir, et s'employoit à ces saints exercices, avec tant de zele qu'elle les faisoit retourner en leur Convent.
Elle instruisoit plusieurs femmes et filles à la vie spirituelle, et méme de grandes Dames et des Princesses qui la visitoient fort souvent, se conduisoient par ses conseils. Pour cet effet et pour les exercer à la pieté et aux bonnes oeuvres, elle a esté la premiere qui a porté les Dames de Paris à servir les pauvres de l'Hostel-Dieu. Elle avoit les noms [783] de toutes, et elle leur assignoit à chacune leurs jours pour les servir, les exhorter et les soigner; car auparavant personne depuis les troubles n'y alloit, et estoient fort negligez, les Religieuses quoy que tres-charitables et admirables en leur conduite ne pouvant pas suffire à tous. Elle est digne de louange pour avoir esté la premiere des Dames de Paris qui a servy ces pauvres malades et qui leur a porté tout ce qu'elle pouvoit pour leur soulagement, comme des linges, des lits, des confitures et autres choses tant pour leur indisposition, comme pour les mettre en état de pouvoir gagner leur vie. Ceux qui l'ont accompagnée en cet oeuvre charitable, sçavent comme en leur donnant l'aumosne elle leur demandoit combien il y avoit de temps qu'ils ne s'estoient confessez et communiez, et comme il s'en trouvoit qu'il y avoit plus de trois ou 4. ans qui n'avoient pas fait leur devoir, elle ne les quittoit point qu'elle n'eust gagné sur leur esprit par ses remonstrances de les faire retourner à Dieu, et comme elle les voyoit disposez elle les addressoit à de bons Prestres et Religieux qui en faisoient de bons Chrestiens, puis elle leur donnoit ce qu'elle pouvoit de son bien, avec tant de charité qu'elle ne reservoit le plus souvent que la valeur de quelque teston pour secourir ses plus pressantes necessitez.
Pour obliger les Dames à assister non seulement corporellement mais aussi spirituellement les malades, elle dressa et composa ce Reglement qui suit en ces termes.

Reglement pour les Dames qui serviront les pauvres à l'Hostel-Dieu.

«LES Dames qui par devotion visiteront et serviront les pauvres malades à l'Hostel-Dieu, se proposeront pour but et fin principale la gloire et l'honneur de Dieu, l'exercice de ses oeuvres de misericorde ayant à prendre de là sa dignité et valeur: Et d'autant que les actions et pratiques des Saints font grandement pour nous porter et dresser à la droite maniere d'operer les oeuvres charitables, les Dames prendront pour patron et modelle de leur devotion [784] la Bien-heureuse Sainte Marthe, s'efforçants de tout leur pouvoir d'imiter la grande ferveur et diligence qu'elle monstra servant nostre Seigneur JESUS-CHRIST; Et bien que leur service ne se fasse à sa propre personne, il le repute tel neantmoins, disant, Ce que vous aurez fait à l'un de ces petits, vous l'aurez fait à ma propre personne.
«II. La compagnie des Dames sera principalement composée de veuves et de filles, desquelles la pieté et la vertu soient tant connues, qu'avec raison l'on se puisse asseurer qu'elles voudront perseverer en l'exercice entrepris: Nous n'entendons pas en exclure les femmes mariées: mais parce qu'elles sont obligées de veiller sur leurs familles, elles ne seront appellées à jour certain, si ce n'estoit du consentement de leurs marys, ne mandées és assemblées que feront les autres.
«III. Et d'autant qu'en toute multitude la confusion se glisse facilement, si l'ordre n'y est introduit par la conduite d'un chef prudent, une des Dames de la troupe sera nommée la Servante des Pauvres, aura le gouvernement universel, et toutes luy obeiront pour l'amour de nostre JESUS, és choses qui toucheront le service desdits pauvres, et cela se doit avec grande promptitude et allegresse d'esprit, soit qu'elle commande par soy méme, soit qu'elle le fasse par la bouche d'une autre, de sorte que l'on n'apperçoive contredit ne refus aucun; ne fut que les difficultez se trouvassent telles en l'execution, qu'on les jugeast insupportables: mais d'un coeur ardent et constant se soûmettront, s'estimans heureuses, d'avoir par là occasion d'imiter le fils de Dieu nostre Sauveur, lequel a esté obeissant jusqu'à la mort, la mort de la Croix.
«IV. Pour le conseil et assistance ordinaire de ladite Servante des Pauvres, douze des plus humbles et des plus discretes luy seront données, lesquelles auront l'oeil ouvert au bien de toute la compagnie: et d'entre elles une sera specialement choisie tant pour suppleer aux fonctions de la charge de la Servante des pauvres (en cas que par maladie ou autre semblable necessité elle n'y peust vaquer) que pour solliciter l'entiere execution des choses qu'elle aura [785] commandées, à cause de cela elle pourra estre appellée la seconde.
«V. La Servante des pauvres assignera dés le commencement de la semaine, jour de service à chacune des Dames, afin qu'elles se preparent, et disposent de sorte leurs affaires que ce jour venant elles ne soient diverties de l'exercice de la misericorde, que si quelque legitime empéchement survenoit, elles auront soin d'en advertir soudain la Servante, qui en leur lieu fera entrer une autre ce jour là.
«VI. Le jour assigné estant venu, les Dames se trouveront de bon matin à l'Hospital, où aprés avoir devotement adoré Dieu en l'Eglise du lieu, et demandé la grace de se pouvoir courageusement employer en cette charge, elles iront en la cuisine pour voir mettre la viande au feu dans les pots bien nets, et feront que les potages faits de veau et de volailles soient bien preparez.
«VII. Aprés elle visiteront la boulengerie pour voir le pain des pauvres malades, lequel doit estre cuit du soir pour le matin, et du matin pour le soir, specialement durant l'Esté, et n'oublieront d'advertir le Boulenger qu'il tienne le pain coupé à telle heure qu'il sçait la distribution s'en devoir faire, à celle fin que les malades soient servis avec ordre.
«VIII. De là passeront à l'Apothiquairerie, s'informeront des remedes ordonnez aux malades par le Medecin, feront diligence pour sçavoir s'ils ont esté baillez en temps convenable, et si les ptisanes, et autres eaues qui se doivent donner aux malades seront bien cuittes et preparées en quantité suffisante.
«IX. Ces choses veues exactement, elles iront vers les malades, feront mettre de l'eau és fontaines, nettoyer les Salles où couchent les malades s'il en est besoin, et feront épandre sur les lits des herbes odoriferantes et feront plusieurs parfuns en divers lieux de l'Hospital pour chasser les mauvaises senteurs.
«X. Elles remarqueront ceux qui auront pris medecine, et leur feront donner des bouillons aux heures convenables. [786] Le déjeusner sera distribué aux autres de pain et de vin, selon l'ordinaire, n'estoit qu'ils eussent fievre, ou autres indispositions à qui le vin est nuisible.
«XI. Incontinent aprés le déjeuner, les Dames chacune en la Salle où elle servira, visiteront les malades et les conteront de peur que quelqu'un soit oublié, et devant le disner elles auront soin d'appeller un des Prestres qui sera en semaine, pour luy faire la benediction sur les viandes, aprés laquelle elles assisteront les Religieuses destinées au soin des malades, prenant soigneusement garde que les viandes soient distribuées selon l'intention de Messieurs les Administrateurs. Que si entre les malades il s'en trouve aucun qui ne puisse manger de la chair, les Dames luy donneront de la gelée, des oeufs frais, ou quelque bon bouillon.
«XII. Les malades ayans esté servis, et les graces rendues à Dieu par le susdit Prestre, les Dames iront prendre leur refection, et s'il est possible, en quelque maison proche pour avoir moyen de revenir plustost vers eux, et les assister à loisir.L'apresdinée se passera à reconnoistre ceux qui tendent à la mort, pour leur faire, avec grand soin et devotion recevoir les Sacremens, pour faire exhorter les Heretiques qui s'y viennent retirer, pour avertir de bien vivre ceux qui recouvrent la santé, et consoler ceux que le mal et la douleur pressent: ainsi le jour se doit employer à secourir et les corps et les ames.
«XIII. L'heure du gouster venue, les Dames si bon leur semble, donneront aux malades quelques douceurs, sur tout à ceux qui ne peuvent manger autre chose, et les empécheront de manger les viandes qui peuvent accroistre leur mal, ou l'entretenir: méme feront sortir de l'Hospital ceux qui les y viennent vendre, telle estant l'intention des Administrateurs, qui de plus ont commandé que la marchandise soit confisquée.
«XIV. Au souper le méme ordre sera gardé tel qu'au disner: il est vray que durant les petits jours les Dames feront leur retraite devant la nuit, et pour conclusion de leur service, toutes se retireront à l'Eglise pour remercier Dieu d'avoir passé la journée en cette sainte occupation, et luy [787] demanderont pardon des fautes que par negligence; ou manquement de charité, elles penseront avoir commises.
«XV. Si elles ont remarqué quelque chose digne d'estre proposée pour le bien des malades, soit que le remede doive venir d'elles, soit qu'il le faille attendre d'ailleurs, elles ne passeront pas la semaine qu'elles n'en advertissent la Servante des pauvres, afin que par son soin charitable il y soit pourveu.
«XVI. Surtout elles se donneront bien de garde en ce commencement, de trop entreprendre en l'Hostel-Dieu, ou de donner aux Dames Religieuses de cette maison aucun mécontentement, ains chercheront les occasions de les honorer et caresser, parlant à elles avec beaucoup de douceur et signes de charité.
«XVII. Pour conserver l'union et l'amitié entre les Dames, il est jugé estre expedient que de trois en trois mois elles se voyent toutes ensemble au lieu, qui propre à cet effet sera nommé par la Servante des pauvres, avec le consentement des douze qui luy servent de conseil, et que là elles traittent du bien commun de la congregation et compagnie s'admonestant charitablement des fautes qui seroient survenues au service des pauvres. Que là elles admettent ou reçoivent celles que Dieu appellera à leur méme exercice; là aussi seront leues les regles de leur institution, et fassent que le tout se passe sans bruit, sans confusion, et sans superfluité de paroles. Toutes et chacunes se tairont, sinon alors qu'elle sera interrogée, ou commandée de répondre à la Servante des pauvres, laquelle doit diriger toute cette action, en luy donnant seulement à chaque fois deux heures de temps au plus, et l'assignant pour tousjours, et pour l'ordinaire, vers les jours de Sainte Marthe, de la Toussaints, de la Purification de l'Immaculée Vierge mere de Dieu, et de l'Invention Sainte Croix.
«XVIII. Pour ce méme effet de conserver entre elles une sincere amitié selon Dieu, quand quelqu'une sera malade, la Servante des Pauvres aura soin de la visiter, ou faire visiter et luy faire recevoir les Sacremens de l'Eglise, la [788] recommandant aux prieres de toutes, lesquelles seront obligées de s'en souvenir en leurs Oraisons.
«XIX. La Servante des Pauvres ne sera perpetuelle, ains laissera la charge aprés avoir servy cinq ans. Celle qui luy succedera, sera éleue par les douze, et confirmée de toute la compagnie entiere.
«XX. J'ay oublié à dire cy-dessus que c'est la Servante des Pauvres qui doit parler aux Administrateurs de l'Hostel-Dieu, pour les choses concernantes le traittement corporel des malades, ce qu'elle fera estant accompagnée de deux d'entre les douze, soit au Bureau, soit chez eux.
«XXI. Quand quelqu'une des Dames partira de ce monde, toutes celles de la compagnie se trouveront à son enterrement, reciteront chacune trois Chapelets à son intention, et en corps feront au moins dire une Messe pour son Ame en la Chapelle de l'Hospital.»

Elle n'assistoit pas seulement spirituellement et corporellement les pauvres malades de l'Hostel Dieu, mais aussi les pauvres prisonniers qu'elle visitoit jusque dans les cachots et basses fosses, où elle consoloit les affligez. Si elle pouvoit mettre ordre à leurs affaires, elle les assistoit de son credit et de sa faveur en ce qu'elle pouvoit; et amenant avec elle un Predicateur elle leur faisoit faire une exhortation, puis leur distribuoit ce qu'elle pouvoit de son bien. Ainsi elle en a fait delivrer plusieurs tant par ses aumosnes que par celles de plusieurs grandes Dames de ses amies: elle les consoloit en leurs afflictions et les exhortoit à bien vivre en les delivrant; quand il se rencontroit quelques Religionaires en disposition de se convertir elle les faisoit parler aux Reverends Peres Gontery et Coton.
Elle ne passoit gueres d'occasion de ce qui regardoit la gloire de Dieu qu'elle ne fist tout son possible soit pour donner conseil, soit aussi pour l'établissement de quelque monastere des plus reformez de ce temps, où elle s'est employée avec l'assistance des Prelats, des Docteurs, et des Religieux qui estoient bien aises de luy communiquer leurs bons desseins, entre autres Mr le Cardinal du Perron, Mr de [789] Berulle, les Peres Coton, Gontery et d'Aubigny Jesuites; Dom Michel Fueillan, le Pere Pacifique Capucin des plus anciens de l'Ordre, duquel elle prenoit particulierement conseil pour son ame, les Peres Chartreux, les Jacobins Reformez, les Recolets: Bref sa maison estoit pleine de grands et de vertueux personnages dont elle suivoit les avis, ou de personnes qui la visitoient pour trouver quelque soulagement et consolation en leurs afflictions spirituelles et temporelles. Le grand Cardinal du Perron a fait voir l'estime qu'il faisoit de cette Dame en la réponse qu'il fit à une pieuse et elegante lettre qu'elle luy avoit écrite, sur les fruits à recueillir des doctes compositions de ce sçavant Prelat, qui par modestie refusa en ces beaux termes d'accepter le titre d'honneur et de respect qu'elle luy avoit donné (2). Madame, j'ay receu la lettre qu'il vous a pleu m'écrire; de laquelle tout m'a esté tres-agreable, excepté la qualité que vous me donnez, que je ne veux ny ne dois accepter: je cheris trop vostre vertu et vostre personne, pour recevoir ce titre de vostre part. Elle est arrivée trop tard entre mes mains, ne m'ayant esté rendue que depuis 4. ou 5. jours: Mais quoy que tard, si vous puis-je asseurer qu'elle a esté la tres-bienvenue, et que j'ay ressenty un extréme contentement, de voir et reconnoistre encore les traits de vostre mains, et de vostre esprit, et particulierement sur le sujet dont vous m'écrivez, auquel je confesse que vos paroles m'ont de nouveau beaucoup animé et encouragé. (3)
Elle touchoit les coeurs par ses paroles jusque là que les plus empestez de haine cherchoient la reconciliation, et souvent on a veu des personnes de méme famille se haïr mortellement qui s'en retournoient aprés luy avoir parlé plus doux que des brebis. Elle sçavoit aussi fort bien faire le discernement des esprits: Ce qui faisoit que d'ordinaire les revelations qu'on luy proposoit luy estoient fort suspectes reservé celles que l'Eglise a reconneues. Elle disoit souvent que pour demeurer uny avec Dieu, il ne falloit point faire tant de nouvelles connoissances. Elle n'entreprenoit rien sans premierement en demander l'avis à ses Directeurs et à son Confesseur, qui est un témoignage asseuré de son humilité, comme sçavent ceux qui ont eu la charge de sa conduite: [790] entre autres feu Mr l'Avollé qui avoit gouverné sa conscience 14. ans durant, et qui l'assista à la mort. Voicy un petit traité de l'humilité qu'elle a composé, que j'ay recouvré de divers manuscrits, et que je place icy pour le profit spirituel des ames devotes.

De l'Humilité.
«NOSTRE devotion estant de parler de la vertu d'obeissance, de la chasteté, et de la pauvreté, qui sont proprement la matiere des voeux solemnels, par lesquels les ames Religieuses se consacrent et dedient au perpetuel service de Dieu, il m'a semblé estre necessaire de dire quelque chose de la sainte Humilité, avant que passer outre, attendu que c'est d'elle que ces vertus prennent leur source et origine. J'ay dit qu'il estoit necessaire d'en dire quelque chose, d'autant que cette vertu est si haute, si profonde, et si estendue en ses perfections que l'on n'en peut discourir sinon avec beaucoup de manquement. Le Sauveur du monde la voulant élever, et la faire reverer et aux Anges et aux hommes l'a prise pour ornement de son incomprehensible Incarnation: il l'a manifestée tres-profonde à sa naissance miraculeuse, à sa circoncision, en sa retraitte et solitude de plusieurs années, à son Baptéme, en l'institution de son precieux corps et sang, au saint Sacrement de l'Autel, et en tous les actes et pas de sa vie.
«Lors qu'il apparut et se presenta à la veue des hommes pour commencer ses predications, quelles furent ses premieres paroles, et quel sujet toucherent elles? l'Humilité: disant, Bien-heureux sont les pauvres d'esprit, c'est à dire les humbles: et quand il a parlé de luy méme (combien qu'en son ame fussent enclos tous les tresors de la divine sapience, et qu'il possedast en degré supréme, et sans mesure tous les dons et graces de l'Esprit saint, il n'en fit mention aucune: mais seulement il dit, que nous apprenions qu'il est doux et humble de coeur.
«A quelles sortes de personnes a-t'il promis la foy des mysteres de nostre Religion? aux humbles.
[791] «A qui l'assistance perpetuelle de son esprit? aux humbles.
«A quelles gens la grace efficace? aux humbles.
«A quelles ames la vraye et sincere intelligence de ses secrets, et la vision de son eternelle beauté? aux humbles.
«Or puis que nostre Maistre et Seigneur Souverain a choisi l'Humilité pour honorer Dieu son pere, et par l'exercice d'icelle nous convier à l'aymer, desirer, et pratiquer sans cesse, en toutes sortes d'occasions nous devons avec une diligence nom pareille la rechercher. Les Saints qui sont passez en l'Eglise, ayans embrassé ardemment la doctrine et l'exemple de ce cher Sauveur n'ont rien tant affecté que la sainte Humilité, et entre les autres le glorieux Pere saint Benoist, lequel a fondé et posé sur l'exercice de cette vertu la perfection et sainteté de ses fils et filles spirituelles. Il sçavoit en verité ce grand serviteur de JESUS-CHRIST, que personne aucune ne peut estre sainte sans la vertu d'Humilité, et que celles qui seroient parfaitement humbles, seroient infailliblement saintes, l'humilité et la sainteté estans inseparables.
«Pour en donner quelque instruction, nous toucherons quatre points, sçavoir I. sa description, 2. ses especes, 3. par quels moyens les ames se disposent à la recevoir de Dieu, 4. et les signes qui paroissent en celles qui l'ont acquise.
I Point. «Les Peres contemplatifs parlans de l'Humilité ont dit que c'est une vertu par l'ayde de laquelle l'homme venant à la vraye connoissance de ce qu'il est de soy et par foy, il se méprise et se tient pour chose vile, inutile et miserable.
«Cette vertu a trois especes, pour ce qu'elle a trois sortes d'objets: nous méme, le prochain, et Dieu.
I. Espece. «L'Humilité qui nous façonne, en nous méme enseigne à reconnoistre nostre pauvreté et petitesse; elle dit que nous n'avons rien de bon de nous comme de nous, mais beaucoup de mal, beaucoup de perverses inclinations, lesquel les doivent estre diligemment observées et en l'esprit et au corps, à celle fin qu'en les mettant souvent devant nos yeux nous soyons confus en nostre vilité, et ne cessions de [792] mépriser en nous ce qui est digne de mépris.
«La basse estime que nous avons de nous méme doit sortir en l'exterieur, et se monstrer en une façon et contenance craintive et simple, et par des paroles humbles, et par des réponses douces, et pleines de respect à chacun.
«Elle passe jusqu'aux vestemens et habits qui doivent estre simples et de bas prix, pour témoigner le peu d'estat que la personne fait de soy, et puis descend aux vils et abjets exercices, ne pouvant trouver chose trop basse et contemptible pour elle.
«La seconde espece d'Humilité monstre la façon selon laquelle il se faut comporter vers le prochain; elle dit que nous devons estimer et tenir chacun meilleur que nous, et plus digne que nous, non pas se preferer à luy, ny juger de ses faits, et de ses intentions temerairement.
«C'est icy un point dont l'observance se doit garder inviolablement.
«Elle veut encore que le prochain soit par nous prevenu d'honneur exterieur, que nous luy cedions et le lieu et le rang, que nous luy servions, que nous luy obeissions, que nous donnions louange à ses vertus et merites; Et que s'il arrivoit qu'il tombast en quelques fautes et pechez, nous ne l'accusions, mais qu'en charité les couvrions en poursuivant son amandement et conversion.
«C'est encore un de ses preceptes qu'il faut excuser les imperfections des personnes avec lesquelles nous vivons, que nous ne devons n'estans superieurs nous occuper à les observer, ny remarquer leurs fautes et manquemens, mais en avoir compassion et porter aussi en patience les offenses qu'elles feront contre nous, nous gardant sur tout de rendre mal pour mal, ny méme en retenir au coeur sentiment aucun, et lors qu'elles se mettront à nous examiner recevons volontiers leurs corrections qui nous doivent sembler douces en comparaison de nos demerites: Si elles sont receues comme il faut, la tranquillité de l'esprit, et la paix interieure n'en seront alterées aucunement, et le soucy de s'excuser n'aura point de lieu, les personnes humbles ayans coustume de se laisser accuser et condamner sans faire excuses, [793] ny se justifier s'il n'est tres-necessaire pour la gloire de Dieu, ou que les accusées soient personnes constituées en dignité.
3. Espece. «La troisiéme espece d'humilité nous dresse et conduit à Dieu, en diverses manieres, nous mettant devant les yeux comment, et avec quelle reverence il faut cheminer en sa presence, et s'employer au service de sa Majesté (7).
I Point. «Elle commande donc que les ames Chrestiennes, et specialement celles qui sont appellées au saint estat de Religion, se soûmettent à Dieu tout puissant, le reconnoissant pour Createur de toutes les choses visibles et invisibles, Conservateur et Seigneur d'icelles, Redempteur des hommes, et Glorificateur et des Anges et des hommes, qu'elles le confessent Juge des vivants et des morts, et celuy à qui est deu le service et l'honneur souverain par sacrifice, et l'observance de ses loix et commandements (8).
2. Point. «Elle dit aussi que l'ame desireuse de plaire à Dieu, en s'humiliant doit porter sans murmure toutes les peines et afflictions qu'il versera sur elle, soit pour le regard des choses de ce monde, soit pour celles de l'autre vie: car sa Providence est si attentive vers nous et sa bonté si abondante en l'operation de nostre bien, que nous ne pouvons trop nous soûmetre à son bon plaisir. Et lors que nous serons en tourmens et pressures nous ne devons sinon admirer ses conseils et ses jugements, en confessant avoir merité beaucoup plus que nous n'endurons. Le Prophete Michée nous a laissé l'exemple de cette soûmission, en disant és jours de ses angoisses, je porteray l'ire du Seigneur pour ce que je l'ay offensé (9).
1. Point. «Cette méme humilité enseigne l'ame pieuse et devote de se bien donner garde d'attribuer à ses merites les graces, dons ou faveurs qu'elle aura receues de Dieu; mais pour estre humblement fidelle, elle confessera que c'est de la largesse et misericorde de ce Seigneur qu'elle est ce qu'elle est, et que meu de sa bonté seule, il a daigné nous aymer, nous élire, nous appeller, nous justifier et nous magnifier, en reconnoissance desquels benefices nous luy devons l'adoration et le souverain honneur (10). Le Prophete David [794] avoit en la pensée ce devoir quand il chantoit, Non pas à nous Seigneur, mais donne la gloire à ton nom.
«Aprés avoir expliqué les especes de l'humilité, et veu l'ordre de ses actes et pratiques, il faut passer aux moyens dont les ames desireuses de la recevoir de Dieu se doivent servir pour s'y disposer: entre autres nous en choisissons six lesquels estans bien goustez et considerez produiront de grands fruits.
«Le premier consiste en une veritable connoissance de nous méme, laquelle fait voir que nous, comme de nous, n'avons rien, ne sommes rien, et ne pouvons rien, mais que c'est de la largesse de Dieu et de sa liberalité que nous avons l'estre, les puissances, et les operations, soit en l'ame, soit au corps, soit és choses naturelles, soit és surnaturelles, et pourtant qu'il ne nous est permis de nous attribuer sinon le peché.
«Le second moyen nous propose l'humilité profonde de nostre Seigneur JESUS-CHRIST, qui au temps de sa douloureuse mort et passion s'est abaissé si extraordinairement, qu'il sembloit n'y avoir plus apparence de le croire Dieu; le voir porter sa Croix la corde au col par la ville de Hierusalem ayant le corps tout meurtry de coups, tout souillé de crachats, et tout taché de sang: le voir crucifié entre les voleurs et assassins, qui ne s'émouvera à desirer cette sainte vertu, puis que pour nous l'enseigner, donner, faire reverer, et rechercher, il s'est reduit en tel estat? O sapience eternelle, que vos voyes sont éloignées de nos conceptions et de nos jugemens!
«Le troisiéme moyen qui nous prepare à l'acquisition de l'Humilité, est de l'estimer un don de Dieu tres-precieux, lequel se doit obtenir de sa misericorde par oraisons ferventes, larmes et supplications presentées à sa Majesté au nom et par les merites que nostre JESUS nous a meritez en l'exercice de son humilité incomparable.
«Le quatriéme conseille que l'on fuie fort soigneusement la compagnie et frequentation des superbes, pour éviter la contagion de leur mal, et que l'amitié et familiarité des humbles soit desirée et recherchée avec ardeur, à celle fin [795] qu'en les oyant parler, voyant operer, nous apprenions de former nostre vie à la leur.
«Le cinquiéme dit que si on veut acquerir les autres vertus il faut exercer l'Humilité, attendu que sans elle pas une ne peut estre de longue durée: pour confirmation de quoy saint Gregoire le Grand écrit, que toutes les vertus separées de l'Humilité ressemblent à la poussiere exposée aux vents. Et le devot Pere saint Bernard parlant de la necessité de cette vertu, ne craint point de dire, que si la Mere de Dieu n'eust esté parfaitement humble, elle ne luy eust peu estre agreable: de là il conclud que la vertu se doit tenir pour tres-excellente, sans laquelle toute autre cesse d'estre vertu, mais qui pis est, c'est que le tout se convertit en orgueil et superbe.
«Le sixiéme moyen met en avant pour aider l'acquisition de cette vertu la profonde connoissance de ce que nous sommes à present, d'où nous sommes venus, et de ce que nous deviendrons. Quant au corps il a pour matiere le limon de la terre, il n'est maintenant qu'un sac d'ordure et de fiante, et sera en attendant le jour du Seigneur, la pasture et viande des vers: mais l'ame qui est spirituelle et qui ne peut mourir, comparoistra au jugement universel, où le juste Juge nostre Sauveur JESUS CHRIST viendra en sa gloire et Majesté faire à chacun rendre conte bien étroit et tres-exacte; c'est à dire les consciences, et les oeuvres, les pensées, paroles, et intentions seront approuvées ou condamnées, jugées dignes de gloire, ou confusion eternelle.
«Ainsi se terminera le temps qui estoit donné pour acquerir la sainte Humilité, aprés lequel il n'y a plus de chemin pour chercher la misericorde. Venons aux signes de la vraye et non feinte humilité.
«I. Le premier paroist en la façon et port de la personne qui doit estre simple et respectueux envers tous.
«II. Le second est veu au peu parler, et à la voix qui doit estre douce, non trop élevée, ny trop éclatante.
«III. Le troisiéme en la modestie qui retranche le rire immoderé et trop frequent.
[796] «IV. Le quatriéme se monstre au silence étroitement gardé lequel ne se doit rompre sans cause raisonnable et utile au prochain.
«V. Le cinquiéme consiste en la fuite de toute singularité et en l'exacte observance des regles communes.
«VI. Le sixiéme est connu lors que la personne devote se croit et confesse la plus vile et indigne de toutes.
«VII. Le septiéme fait qu'elle s'estime inutile à toutes choses, et se juge indigne d'estre employée en quoy que ce soit.
«VIII. C'est encore un signe de parfaite Humilité que d'avouer ses fautes et manquements sans les palier ny excuser, et méme s'éjouir alors qu'il en faut supporter quelque confusion et correction aprés, et honteuse.
«IX. L'Humilité se découvre aussi fort és peines et travaux que souffre la personne pieuse, pour ne manquer à l'obeissance des superieurs.
«X. Mais davantage elle se monstre quand elle s'abbaisse sous ses égaux, et devant ceux et celles qui luy sont inferieurs. Cette pratique est excellente, pourveu que les personnes qui en reçoivent les effets n'en abusent point.
«XI. Ne craindre rien tant que faire sa volonté, et marcher sous la conduite de soy méme, est un vray signe d'Humilité.
«XII. Finalement cette vertu pretieuse fait referer à la misericorde de Dieu tous les dons et les graces que possede l'ame où elle a pris place. L'Humilité de ce degré est si noble et si pure, qu'elle n'est seulement en exercice entre les saints qui vivent au monde, mais aussi entre les esprits glorieux, lesquels eternellement ne cesseront de confesser que c'est à Dieu qu'est deu l'honneur et la gloire de tous les biens qu'ils possedent.»

Cette devote Dame pour se perfectionner davantage se resolut de se donner dans un Monastere pour y vivre en la contemplation, et se détacher davantage des affaires du monde; mais comme elle estoit debile et sujete à de gran-[797]des maladies, elle ne se fit pas Religieuse; et se contenta de se renfermer et donner son bien au Monastere de Nostre Dame de Grace de la Ville-l'Evéque, où elle ne prit pas la qualité de Fondatrice, et passa 18. ou 19. années en cette maison où elle fit une vie sainte jusqu'à son decez, qui fut la veille de saint Michel (4) de l'an 1633. (11) et receut les honneurs de la sepulture dans le choeur de la Chapelle des Religieuses, qui l'ont durant sa vie respectée pour ses vertus et ses merites. Elle fut aussi fort honorée pour ses perfections par ces deux Princesses, Mesdemoiselles de Longueville et de Touteville, Fondatrices du Prieuré de la Ville-l'Evéque, et Mad. Marguerite de Veni d'Arbouze Abbesse du Val de Grace, qui a esté Prieure de ce devot Monastere.

(1) Habert des Ternes, d'azur à un Pelican d'or. Habert de la Brosse ou Montmort d'azur, au Chevron d'or, accompagné de trois fers de moulin d'argent, 2. en chef et I. en pointe.
(2) Voyez les letres de ce Cardinal page 99.
(3) Si Madame de Gournay a pour Panegyriste Lipse, Montagne et Balzac à la lettre 13. du Livre IV. de ses oeuvres Madame du Jardin a pour Panegyriste cet incomparable Cardinal.
(4) D'autres disent de saint Mathieu.

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