Galiote de Gordon de Genoillac/Hilarion de Coste

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[I,775] GALIOTE DE GORDON GENOILLAC ET VAILLAC (1), DITE DE SAINTE ANNE, RELIGIEUSE DE L'ORDRE DE SAINT JEAN de Hierusalem, Prieure du Monastere de Beaulieu, et Reformatrice de son Ordre en France. NOUS venons de décrire la vie d'une Dame de bonne et ancienne Maison, fervente au service de Dieu dans les honneurs et les grandeurs du monde, et maintenant voicy l'Eloge d'une Demoiselle des plus remarquables Maisons de France, qui a fidelement servy Nostre Seigneur avec un grand zele en l'Ordre sacré de Saint Jean de Hierusalem, dit aussi de Rhodes, et à present de Malte, fondé en l'Eglise par un nommé Gerard, François, et qui reconnoist pour premier Grand Maistre le Venerable Raymond du Puy (2), Gentil-homme Daufinois, de bien-heureuse memoire, de l'illustre Maison du Puy, dont sont descendus ceux de la Maison de Montbrun, et de Rochefort (3).
Cet Ordre si celebre et si renommé pour avoir donné tant de vaillans Heros à la Chrestienté, a aussi donné à l'Eglise, non seulement des Religieux, mais aussi des Religieuses illustres en pieté et en sainteté, entre autres sainte Ubaldesque, Demoiselle de Pise: sainte Toscane, Demoiselle de Verone: et sainte Flore illustre en miracles, qui mourut l'an 1299. aagée de 38. ans au Monastere appellé l'Hospital, au territoire de Beaulieu, situé en Quercy, au Diocese de Cahors, dependant du Prieuré de Saint Gilles de la Langue de Provence. En ce mesme Monastere est decedée de nos jours la devote Religieuse Soeur Galiote de Gordon Genoillac et Vaillac, dite de sainte Anne, dont la memoire est en benediction.
[776] Cette pieuse ame qui a mené en ce temps une vie digne du Ciel dans cet Ordre (qui fait une continuelle guerre aux capitaux ennemis de JESUS-CHRIST) estoit fille de Louys de Gordon de Genoillac, Comte de Vaillac, et de sa premiere femme Anne de Montberon, fille de Louys de Montberon Seigneur de Fonteine et Chalandré, et de Claude de Blosset, appellée la belle Torcy de la Maison de Touteville. Je n'ay pas dessein de parler icy de l'ancienneté et de la noblesse des Maisons de Gordon, de Genoillac, de Vaillac, dont elle estoit issue par son pere, ny de celle de Montberon (4) par sa mere, ny des avantages qu'elles ont eues en diverses rencontres; car il faudroit pour ce sujet là des volumes, et dans le grand nombre des particularitez qui s'offriroient en cette matiere, je serois plus en peine de choisir que de chercher. Je ne puis toutesfois m'empescher de dire que la Mere Galiote de sainte Anne avoit l'honneur d'appartenir à plusieurs illustres Maisons, entre autres à celles de Crussol (5), de Levis, d'Uzez (6), et aussi d'estre issue de celles de la Tour, de Rassiols, de Saint Sulpice, de Daubusson, de Segur de Pardaillan, de Foix, de Traul, de Lusignan, de Craon, de Clermont, de Perigord, et autres; comme les curieux pourront voir au 2. livre de sa vie écrite par le Pere Thomas d'Aquin de saint Joseph, Religieux de l'Ordre des Carmes deschaussez, et dans le Martyrologe de Malte du Pere Mathieu de Goussancourt (7), Religieux de l'Ordre des Celestins.
Avant sa naissance, sa mere estant enceinte d'elle, la dedia à Dieu, et aussi-tost qu'elle vint au monde, qui fut le 5. de Novembre de l'an 1589. elle ratifia cette donation. Au Sacrement de Baptéme on luy donna le nom de Galiote, en memoire de ce grand Heros Jaques Galiot de Gordon, et de Genoillac, tres-fidele serviteur de nos Rois (et entre autres du bon Louys XII.) qui l'ont honoré des charges de grand Escuyer de France, duquel un autre Heros, et digne Mareschal de France parle si avantageusement dans ses Commentaires (8).
Estant aagée de cinq mois, elle fut portée le jour de la feste de l'Incarnation du Verbe divin dans le Monastere [777] de l'Hospital de Beaulieu pour y estre nourrie, Nostre Seigneur ayant voulu qu'elle luy fust donnée, et qu'elle entrast en sa Maison le mesme jour qu'il s'est donné à nous, et qu'il a logé sa Divinité immense dans la maison racourcie de nostre chair. Aussi-tost qu'elle eut l'aage de raison, elle monstra dans ce Monastere de belles inclinations au bien, et un desir extréme de pratiquer les vertus les plus excellentes et les plus relevées, entre autres l'humilité, rendant des services et des respects aux Religieuses plus anciennes, comme si elle eust esté leur servante, et elles des Souveraines.
A sept ans elle prit l'habit de Novice de l'Ordre de saint Jean de Hierusalem, et avec l'habit elle s'addonna à la pratique des vertus convenables à la profession Religieuse, sur tout elle pratiqua la charité et l'humilité, et le mépris des vanitez du monde, ayant en un aage si tendre quitté toutes les recreations et les legeretez qui semblent estre inseparables des inclinations de la jeunesse.
Et quoy qu'elle jugeast la profession Religieuse un ouvrage trop relevé pour son aage, si est-ce neantmoins que pour fermer la bouche à ceux qui publioient que le desir qu'elle avoit de retourner au monde afin de se marier l'en dégoustoit, elle fit ses trois voeux à douze ans ou environ, non pas à la legere, et par maniere d'acquit, mais avec solidité, et beaucoup de consideration de la grandeur d'une action si eminente: aussi deslors elle monstra en sa conversation un notable changement, et se sevra de tous les passe-temps, et des recreations les plus innocentes pour mieux vaquer à JESUS-CHRIST, que cette profession avoit rendu son Epoux. Le Monastere de l'Hospital de Beaulieu n'estant pas reformé, comme il a esté depuis, quand cette Demoiselle prit l'habit et fit profession, on n'avoit pas voulu luy laisser couper ses cheveux à cause de leur beauté; mais Dieu ayant desillé les yeux à cette vraye Religieuse, pour cognoistre dés ce bas aage la vanité du monde, quoy que ses beaux cheveux n'eussent jamais servy au Demon de liens pour attacher les ames insensées, et les attirer à soy, comme sont les cheveux de celles qui employent ou plûtost perdent leur temps à orner et attifer ces excremens, [778] pour les faire servir de parade à leur vanité; elle les coupa elle-mesme, et les ayant coupez elle en fit de belles guirlandes, resolue de les offrir à Nostre-Dame de Rocmadour (lieu de pieté qui est visité par les serviteurs de la Vierge) à laquelle elle avoit une particuliere devotion: mais les ayant faites elle pensa, non sans inspiration divine, que donner ces guirlandes tissues de ses cheveux, seroit faire parade d'une chose qui devoit estre cachée et tenue secrette, et chasser une vanité par une autre plus fine; elle quitta cette premiere resolution, et s'estant enfermée un jour dans sa chambre avec deux Religieuses, ausquelles elle avoit de la confiance, elle jetta ses cheveux dans le feu pour faire un sacrifice à Dieu.
Je ne m'esloigneray pas de mon sujet si je rapporte un exemple semblable à celuy de Soeur Galliote de Gordon de Vaillac, dont je suis témoin. Lors que j'estois en Provence, il y eut un grand bruit dans Avignon pour empescher que Mademoiselle de Villars ne prist l'habit de sainte Ursule. Elle avoit une tante nommée Mad. de Breyon, soeur de Monsieur le Duc de Villars, qui faisoit dessein de la marier à un de ses neveux, et mettre tout son bien dans ce mariage. Cette fille qui avoit le coeur et l'esprit grand et magnanime, ne vouloit qu'un Roy pour époux, et ne pouvant souffrir qu'on luy proposast d'autre Alliance qu'avec JESUS-CHRIST, elle supplia Mad. la Duchesse de Villars sa mere de faire une fin à cette affaire, et de ne la laisser pas dans la terre des mourans, puis qu'elle l'avoit mise au monde: Et qu'en un mot rien d'humain ne l'empescheroit d'estre Religieuse. Les puissances de ce pays-là luy estoient contraires, et comme elle s'apperceut qu'on cherchoit un pretexte pour differer ce qu'on taschoit de rompre, elle prit des cizeaux, et les passant avec une ardeur de courage incroyable, elle se raza elle-mesme, et l'on vid ses cheveux, les plus beaux du monde, et qui estoient de sa hauteur, et traisnoient à terre, plustost en ses mains qu'on ne s'estoit apperceu qu'elle les avoit coupez dessus sa teste. Ce fut alors que Nostre Seigneur luy pouvoit dire, Tu m'as blessé, ma soeur, dans un cheveu de ton col. Cette action admi-[779]rée des Anges et des hommes, luy facilita l'entrée en sa Religion: car ses cheveux ayans esté portez de sa part au Vice-Legat d'Avignon pour témoigner à Rome aux Cardinaux Antoine et de Brancas, que sa vocation estoit un pur effet du Ciel, et que c'estoit une affaire faite, où il n'y avoit plus rien à se promettre du costé des considerations humaines; elle racheta sa liberté par le prix des esclaves: et par ce moyen s'est acquis un repos, dont elle jouit depuis cinq ans qu'elle a fait profession dans les Ursulines d'Avignon, avec une haute estime de vertu, de pieté, et d'excellent esprit, sous le nom de Soeur Marie de sainte Magdelaine.
Pour revenir à la Soeur Galiote de sainte Anne, cette bonne fille voyant que les belles et les saintes Constitutions de l'Ordre de Saint Jean de Hierusalem n'estoient pas exactement gardées en la Maison où elle avoit fait profession de la vie Religieuse, elle prit resolution de quitter le Monastere de l'Hospital de Beaulieu, et l'Ordre de Saint Jean ou de Malte, pour entrer dans celuy de Cisteaux, et prendre l'habit dans le devot Monastere des Feuillantines de Tolose, fondé par la Venerable Mere Marguerite de Polastron, pour y mener une vie digne du Ciel. Ce qu'elle n'eust pas manqué de mettre en execution, si son pere Monsieur le Comte de Vaillac n'y eust apporté des obstacles et des empeschemens invincibles.
Ce Monastere estant dégarny des meilleurs meubles d'une Maison de Religion, qui sont les livres spirituels, elle n'avoit aucun livre que de vieilles heures; la lecture desquelles luy donna le desir de voir la Terre sainte, et un livre de la vie de sainte Anne, écrit assez simplement.
Dans ses Heures elle trouva que ceux qui jeusnoient 12. Vendredis en l'honneur des douze Apostres, gagnoient de grandes indulgences; elle y trouva aussi que la Vierge seroit favorable à l'heure de la mort à ceux qui en son honneur, durant sept années jeusneroient tous les Samedis au pain et à l'eau, et deslors elle se proposa de faire l'un et l'autre, et s'en acquitoit avec tant d'austerité, que le plus souvent elle ne mangeoit rien que du pain bis, et avec une telle perseverance, que jamais elle ne quittoit cette façon de vivre, en quelque compagnie qu'elle se trouvast. L'autre livre [780] qui traitoit de la vie de sainte Anne, enseignoit à dire quelque chapelet en l'honneur de cette mere de Nostre-Dame; elle en fit un sur l'heure pour le dire, et conceut deslors une grande devotion vers sainte Anne, qu'elle conserva tout le reste de ses jours.
Jamais elle n'obmettoit de dire ce chapelet, se plaisant mesme d'en dire plusieurs, ausquels elle adjoustoit le Rosaire, qu'elle recitoit tous les jours avec beaucoup d'attention et de goust en l'honneur des 15. mysteres de la Mere de Dieu, ensemble sa Couronne. Elle avoit appris toutes ces devotions vocales dans ce second livret.
En tout cela on peut voir une grande avidité à mettre en pratique ce qu'elle lisoit de bon, et ce qu'elle croyoit estre agreable à Dieu: avidité, pour dire ainsi, qui monstre assez combien elle se fust avancée et perfectionnée au service de Dieu, si elle eust fait rencontre de meilleurs livres que ceux là; car elle eut sans doute mis en oeuvre ce qu'ils luy eussent enseigné. On y doit remarquer en 2. lieu un grand amour et inclination à la penitence, puis qu'elle jeusnoit de si bonne heure si estroitement, et une devotion fort particuliere à la Mere du Sauveur, qui est un des plus grands dons de Dieu. Aussi chacun doit estre soigneux de s'en rendre digne, et doit desirer d'estre à Marie, pour appartenir à Jesus. Deslors cette jeune Religieuse n'avoit point de plus grande passion que de rendre quelque notable service à cette Reyne des Anges et des hommes. Elle alloit avec devotion visiter, le plus souvent ayant les pieds nuds, l'Eglise de Nostre-Dame de Rocmadour, qui est éloignée de deux grandes lieues du Monastere de l'Hospital de Beaulieu, avec un extréme silence, et disant son chapelet. Sa devotion estoit telle envers la tres-sainte Vierge, que tout ce qu'elle pouvoit faire pour son honneur, luy sembloit peu de chose au regard de l'amour qu'elle luy portoit. C'est pourquoy il ne faut pas s'estonner que cette fidelle servante de Jesus et de Marie ait vécu angeliquement dans une pureté de corps et d'ame: car cette pureté transforme les hommes par un heureux changement de terrestres en celestes, d'hommes en Anges, ou plustost les releve au dessus de ces Esprits; car [781] il est bien plus glorieux de conserver l'integrité à la pointe de l'espée dans des combats continuels, et portant une nature qui panche à la corruption, que de l'avoir par nature, et sans travail. C'est en cecy que la Mere Galiote de sainte Anne est digne d'admiration, qui comme un beau Lys au milieu des espines a conservé sa candeur et sa pureté virginale, vivant dés son aage plus tendre (qui prend facilement les impressions de ce qu'il void faire, soit bon ou mauvais) dans un Monastere, qui n'avoit ny regle, ny closture, ny retenue, duquel la porte estoit ouverte aussi bien aux hommes qu'aux femmes, dans lequel les recreations du monde avoient entrée, les visites des hommes estoient frequentes, les exemples de retenue et de pieté fort rares; bref dans lequel les occasions de faire quelque bréche à la pureté ne manquoient pas, quoy que par une speciale grace de Dieu ce Monastere là n'ayt jamais tombé dans aucune mauvaise rencontre.
Avant la reformation de cet Hospital, il y avoit cette coustume transplantée du monde en iceluy, que les hommes qui visitoient les Religieuses les baisoient en les saluant: cette coustume peu convenable à des ames consacrées à JESUS-CHRIST n'eut point de lieu pour son regard; car jamais elle ne souffrit qu'aucun homme la saluast de la sorte. Et comme la premiere année de sa reformation, feue Mad. la Duchesse d'Uzez sa parente, qui avoit grande envie de la voir, estant venue au Monastere, et l'ayant saluée, le Gentil-homme qui estoit en sa compagnie se fut approché pour la saluer et la baiser, elle le rebutta, et luy dist qu'elle ne permettoit point que les hommes la baisassent: et le Gentil-homme qui sçavoit la coustume de ce Monastere, luy disant que c'estoit l'usage de saluer de la sorte les Religieuses de ce Monastere, elle luy respondit en ces mots: Je vous donne asseurance que cela ne sera plus, et que cette coustume sera bannie pour les autres avec la grace de Dieu.
Aprés que la reforme fut mise en cette Maison, la plus grande de ses peines estoit quand elle se voyoit obligée d'entretenir les hommes au parloir, et quand elle estoit sortie de cet entretien, elle disoit à ses Religieuses; Helas, [782] mes filles, que j'ay paty! y a-t'il Purgatoire plus grand que celuy-là? Qui peut douter qu'elle ne fust soigneuse de s'abstenir tout à fait de leur entretien, lors qu'elle n'y estoit point obligée, puis qu'elle y ressentoit une peine comparable à celle de Purgatoire, lors qu'elle y avoit de l'obligation. Non seulement les Religieuses de son Ordre, mais aussi plusieurs autres personnes d'une eminente vertu ont donné des authentiques témoignages de la pureté angelique de cette Dame, qui avoit eu aussi dés sa plus tendre jeunesse, et avant la reformation de son Monastere, une grande devotion à la Passion de Nostre Seigneur, tellement qu'en la semaine qui est dediée par l'Eglise à la memoire des souffrances du Sauveur, elle passoit les nuits du Jeudy et du Vendredy Saints dans l'Eglise, où elle chantoit avec ses compagnes tout le Psautier. Deslors elle fit penitence, et méprisa les plaisirs et les voluptez, car outre les jeusnes que j'ay dit, elle jeusnoit tous les Caresmes, quoy que son aage l'en dispensast encor pour un assez long-temps: elle y adjoustoit aussi les jeusnes de tous les Vendredis et les Samedis de l'année: Ce qu'elle observoit avec tant d'abstinence et d'austerité, qu'on ne sçavoit comme elle pouvoit vivre. Si avant que pouvoir mettre la Reforme en son Monastere, elle traitoit si rudement son corps, il faut croire qu'elle l'a encore beaucoup plus affligé aprés y avoir mis une parfaite regularité.
Aagée de 15. à 16. ans, elle fut faite contre son gré Coadjutrice de la Prieure du Monastere de l'Hospital, où elle avoit fait profession, et prit à cette occasion la grande Croix de cet Ordre, avec tant de confusion de se voir Superieure, qu'elle ne voulut jamais prendre aucun avantage ou eminence sur les autres, et abhorra tout le temps de sa vie ce nom là, n'ayant aucune occupation plus agreable que de servir celles à qui elle pouvoit commander.
Un an aprés elle fut faite Prieure du Monastere de Fieux du méme Ordre de Saint Jean de Hierusalem ou de Malte, charge qu'elle accepta pour vivre en solitude, (car il estoit fort retiré, et peu frequenté) afin de faire plus aisément ses grandes penitences, et pour trouver quelqu'un qui con-[783]duisist son ame dans le chemin de la spiritualité. Elle s'y retira l'ayant acceptée, et y demeura quatre ou cinq années menant une vie eminente, et pratiquant les vertus avec une grande perfection.
Les ennemis de la vertu et de la pieté n'approuverent pas cette retraite et cette conversation admirable, ils murmurerent si cruellement contre cette servante de Dieu, blasmant ouvertement sa devote et sainte intention, sur le beau et le specieux pretexte de la solitude de cette Maison là, qui estoit à l'escart dans les bois, et de sa grande beauté et de sa jeunesse, et de celle des Religieuses qui demeuroient avec elle, que Galiote fut contrainte de quitter avec des regrets et des larmes sa chere solitude, et retourner au Monastere de Beaulieu pour arrester ce cours des langues, et fermer la bouche aux libertez qu'on prenoit de parler.
Estant de retour en son 1. Monastere à l'aage de 21. an, elle commença à s'addonner serieusement à l'Oraison mentale. Premierement, par le moyen de la lecture d'un livre traitant de la Passion de JESUS-CHRIST, et apprenant l'art de la mediter, et peu après par la communication qu'elle commença d'avoir avec des Religieux: Le 1. fut Reverend Pere son frere Joseph de saint Bernard, Religieux de l'Ordre des Carmes deschaussez, l'un des plus remarquables de ce saint Ordre, qui l'instruisoit par ses lettres, lesquelles luy estoient tres-cheres, et qui luy conseilla de s'adresser aux Peres Jesuites, et mettre son ame sous leur direction et conduite; ce qu'elle fit, commençant en ce temps-là à communier tous les huit jours, et à faire les exercices spirituels avec un profit admirable; ce qu'elle continua tous les ans une fois, jusques à la derniere année de sa vie, que sa maladie ne luy permettant pas de les pouvoir achever, elle eut soin que ses Religieuses s'en acquittassent, et les instruisoit durant leur retraite comme elle avoit fait tous les ans jusques à ce temps-là.
Cette nouvelle conduite et ces exercices, avec une oraison presque continuelle, firent un tel changement en son ame, que sa conversation estoit plus celeste que terrestre, plus angelique qu'humaine, et ravissoit en admiration ceux [784] qui la consideroient sans passion et sans envie. Aussi souspira-t'elle aussi-tost à une vie plus relevée, plus retirée et plus parfaite, et ayant jetté les yeux sur toutes les Religions reformées, la pauvreté et l'austerité incomparable de celle de sainte Claire, eut davantage de proportion avec les desirs de son ame; elle les arresta là dessus, et procura de tout son pouvoir d'y estre admise dans le Monastere de cette Religion, qui est à Tolose; ce qu'estant sur le point de s'accomplir à son contentement, par le consentement qu'y donnerent toutes les Religieuses de cette Maison-là, ses Directeurs, son Superieur, et son cher frere l'en destournerent, Dieu les y poussant, qui l'avoit choisie pour remettre et reformer le Monastere de l'Hospital de Beaulieu.
L'entreprise de cette reformation estoit extrémement épineuse et difficile, et ne promettoit que des travaux, des contradictions, et peu de profit, ce Monastere là estant par la negligence des Superieurs, par le malheur du temps, par le poids de la nature corrompue qui tend tousjours en bas, et par la fausse douceur de la liberté, reduit à un estat si pitoyable, que quelques-uns ont écrit qu'il n'y avoit aucun vestige de Religion et de Regularité. Elle s'y resolut neantmoins, aagée de 24. à 25. ans, malgré tous les efforts contraires, et les grandes contradictions et du dedans et du dehors, et ayant attiré des Religieuses à favoriser son saint dessein, et donné par ce moyen commencement à ce bon oeuvre, elle alla au Monastere de sainte Claire de Tulles, Maison sainte (où vivent en tres-grande austerité et perfection plusieurs Religieuses, et de laquelle sont sorties la Reverende Mere Seraphique de saint François, et autres Religieuses qui ont estably et fondé à Paris le devot Monastere des Recolectes) pour y apprendre les exercices de la vie reguliere, où elle sejourna quelques jours, les autres disent quelques mois, donnant des exemples merveilleux de vertu: car elle y fit paroistre tant de perfection en sa conversation, qu'y estant entrée pour apprendre la perfection, on la regardoit comme maistresse capable d'en faire leçon.
Revenue de ce devot Monastere, elle établit dans le sien de beaux reglemens, et des exercices d'une vraye et d'une [785] parfaite regularité, instruisit excellemment les Religieuses qui s'estoient jettées un peu trop dans la liberté, et par sa conduite s'efforça d'attirer à ce méme changement celles qui s'y monstroient revesches, avec les fortes chaisnes de ses bons exemples, et de sa charité. Bref, elle avança fort ce que Dieu luy avoit fait la grace de commencer, et eut le contentement avant son decés de voir en sa Maison garder exactement la regle, qui avoit esté donnée par Frere Guillaume de Villaret, 23. Grand Maistre de cette sacrée Religion, et de cette milice tres-illustre, qui fut éleu pour sa sainte vie et sa valeur à cette dignité, estant Prieur de Saint Gilles ou de la Langue de Provence, et qui gouverna 18. ans la Religion. Car les curieux n'ignorent pas qu'il y a des Monasteres de Demoiselles de l'Ordre de Saint Jean de Hierusalem (9), dont le plus celebre est la Royale Maison de Sixenna en Arragon, fondée par la Reyne Sanca, femme d'Alfonse II. Roy d'Arragon, surnommé le Chaste, et fille d'Alfonse Roy de Castille, qui se disoit Empereur des Espagnes; où Raymond Berenger, non le Grand Maistre, qui fut confirmé l'an 1365. mais le Pourvoyeur qui vivoit l'an 1188. y établit un excellent ordre: Et avant la fondation du Monastere de Beaulieu, Frere Hugue de Revel, Daufinois, le 19. Grand Maistre, avoit (comme l'on void aux statuts de l'Hospital de Saint Jean de Hierusalem) donné la permission aux Prieurs et au Chastelain d'Emposte en Arragon, de recevoir des Dames de vie exemplaire (le texte Latin dit des femmes d'honneste vie) nées en legitime mariage, et de parens nobles (10). Depuis Frere Claude de la Sangle le 47. Grand Maistre a sagement ordonné, pourveu qu'elles fissent leur demeure dans des Monasteres (11).
Mais pour revenir à la Soeur Galiote de sainte Anne, je diray que comme ses jeusnes dés son plus jeune aage, avoient esté tres-grands, ses penitences comme excessives, et ses mortifications continuelles sans jamais s'y relascher, son corps fort delicat de sa complexion, ayant presques tousjours trempé dans ses indispositions, comme elle eut atteint le 29. de son aage, se trouvant chargée de plusieurs grandes maladies, succomba enfin à la charge, au grand contentement [786] de son ame, qui n'ayant aucune affection n'y attache à la terre, ne respiroit plus que de se voir separée d'avec ce qui l'empeschoit de s'unir intimement à son Dieu, l'amour duquel avoit tousjours possedé son coeur: Tellement qu'après dix mois de maladie, dans laquelle elle fit une vie qui n'avoit plus rien de la terre, exhalant par ses actions et par ses paroles une odeur de sainteté plus agreable qu'elle n'avoit pas fait jusques alors, elle mourut l'année, le mois, le jour et l'heure qu'elle avoit predit, qui fut le 24. Juin 1618. la feste de saint Jean Baptiste Patron de son Ordre. Dans lequel il y a 7. (ou comme les autres disent) 16. Monasteres de Demoiselles (12), de bonne Maison qui gardent la regle et les statuts, et portent l'habit de l'Ordre et Milice de Saint Jean de Hierusalem, qui est une soutane ou robe avec un manteau noir, conforme à l'habit de peau de chameau que saint Jean portoit au desert (13): et sur le devant de ce manteau, du costé gauche, à l'endroit du coeur, une Croix de toile blanche, pour signifier la pureté de leurs coeurs, et pour monstrer qu'elles doivent employer leurs vies pour la Foy du Sauveur qui a enduré la mort sur cette Croix pour les sauver; cette Croix a huit pointes qui representent les huit beatitudes: et le manteau fait comme une demy tunique, se ferme au col avec deux cordons de soye blanche et noire, en memoire des liens dont Nostre Seigneur fut attaché à sa Passion, parmy lesquels il y a une forme de petits paniers faits de mesme soye qu'on presente à celles qui prennent l'habit, pour leur apprendre le soin qu'elles doivent avoir des pauvres, comme Hospitalieres de leur premiere institution: au lieu de manches, ce manteau a des pointes longues chacune quasi d'une aune, larges au haut environ d'un demy pied, et toutes pointues à l'autre extremité, qui se rejettent sur l'espaule et s'unissent sur les reins; (c'est pourquoy on l'appelle le manteau à pointe et à bec) on leur met la ceinture sur la soutane pour marque qu'elles doivent vivre en chasteté; et sur leur robe ou soutane, elles portent un demy Scapulaire, qui prend depuis le col jusques au bas de la robe, large environ d'une palme, sur lequel est cousue une petite Croix de toile, comme est celle du manteau, et [787] un voile noir comme l'habit. Avant que Solyman eut pris Rhodes le 24. Decembre 1522. sur la Religion de Saint Jean, leur robe ou soutane estoit rouge, et le voile blanc, mais depuis cette perte deplorable, pour marque de deuil et de tristesse d'un si funeste accident, elles ont quitté la robe rouge et le voile blanc pour en porter de noirs.
Plusieurs personnes tres-vertueuses et d'authorité ont loué les merites, et admiré la vie sainte de la Mere Galiote de sainte Anne, entre autres le Reverend Pere Parra de la Compagnie de JESUS. Frere Anne de Naberat Religieux de l'Ordre de Saint Jean de Hierusalem, Commandeur du Temple d'Ayen, Prieur de Saint Jean d'Aix, Vicaire et Visiteur General des grands Prieurez de Saint Gilles et d'Auvergne, qui a esté son Superieur l'espace de 5. ou 6. ans. La Reverende Mere Françoise de sainte Claire, Abbesse du Monastere de sainte Claire de Tulles: La Reverende Mere Françoise de Beaune, Abbesse du Convent de sainte Claire du mesme Ordre à Saint Cyprien de Tolose: La Reverende Mere Beatrix de Saint Jean Baptiste, Religieuse Ursuline, et Maistresse des Novices du Monastere de sainte Ursule de Limoges. Le Pere Mathieu de Goussancourt en fait mention honorable en son Martyrologe de l'Ordre de Saint Jean de Hierusalem ou de Malte: et plusieurs autres Ecrivains modernes; mais plus particulierement que tous le Reverend Pere Thomas d'Aquin de saint Joseph, Theologien de l'Ordre des Carmes deschaussez, y a heureusement travaillé, ayant écrit en deux livres l'Histoire de sa vie et de ses vertus, par laquelle il fait voir que sa naissance fut tres-noble, son enfance tres-encline au bien, et fort éloignée des puerilitez, sa jeunesse addonnée à la vertu, son adolescence tres desireuse d'avancer la gloire de Dieu, et le salut des ames: Toute sa vie tres-humble et tres-religieuse, sa mort tres-precieuse devant les hommes, devant les Anges, et devant Dieu, dont elle jouira eternellement.

(1) Galliot-Vaillac, d'azur, à trois Estoilles d'or mises en pal, escartelé d'or à 3. bandes de gueules.
(2) Du Puy, d'or, au Lyon de gueules, armé et lampassé d'azur.
(3) Bosio. Boissat.
(4) Montberon, burellé d'argent et d'azur de dix pieces.
(5) Crussol, fascé d'or et de sinople.
(6) Uzez, de gueules, à la bande de trois pieces d'or.
(7) Goussancourt, d'hermines, au chef de gueules.
(8) Blaise de Monluc.
(9) Statuta Hospitalis Hierusalem.
(10) Frere Hugo Revel: Concedimus facultatem Prioribus, et Castellano Empostae admittendi ad professionem Ordinis nostri mulieres honesta vitae ex legitimo matrimonio et nobilibus parentibus natas.
(11) Frere Claudius de la Sangle: Dummodo in Monasteriis habitent.
(12) Bosio.
(13) Boissat.