Nicole Estienne
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Nicole Estienne | ||
Conjoint(s) | Jean Liébau(l)t | |
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Dénomination(s) | Olympe Liébault | |
Biographie | ||
Date de naissance | Vers 1542 | |
Date de décès | Après 1584 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) |
Sommaire
Notice de Cathy Yandell, 2003
Fille de Charles Estienne, le troisième fils du célèbre imprimeur Henri (Ier) Estienne, et de Geneviève de Berly, Nicole Estienne naît dans l'une des familles les plus influentes du monde de l'imprimerie au XVIe siècle. C'est dans ce milieu de Belles-lettres, de langues anciennes et de sciences que se déroule son enfance, heureuse au temps du succès de son père, qui publie de nombreux ouvrages. De mauvaises décisions financières le mènent toutefois à la faillite; emprisonné pour dettes au Châtelet en 1561, il y meurt en 1564.
Nicole est d'abord fiancée au poète Jacques Grévin qui la désigne par l'anagramme «Sien en election» et la célèbre dans son recueil L'Olimpe (Paris, Robert Estienne, 1560), d'où le surnom que la postérité lui donnera souvent, jusqu'à le substituer à son prénom (cf. le catalogue Opale Plus de la BNF). Les fiançailles sont rompues pour des raisons inconnues, probablement à cause des déboires financiers du père de Nicole ou de la conversion de Jacques au protestantisme. En 1561, Nicole se marie avec Jean Liébault, médecin, régent de la Faculté de Médecine de Paris et auteur d'ouvrages scientifiques.
Nicole Estienne écrit Le mépris d'amour et l'Apologie ou Défense pour les femmes contre ceux qui les méprisent, tous deux perdus. En réponse aux Stances du Mariage de Philippe Desportes (1573), un ouvrage dans la tradition misogame et misogyne des Quinze joyes du mariage, elle formule ses propres Stanzes (demeurées manuscrites, voir infra, «oeuvres»). Pour elle comme pour son «adversaire», il s'agit en grande partie d'un exercice de virtuosité selon la théorie rhétorique de la Renaissance qui insiste sur la science du raisonnement et l'art de la persuasion. Nicole Estienne y défend néanmoins son sexe avec vigueur.
Les Misères de la femme mariée, publiées au plus tôt en 1587, semblent de prime abord contredire ses Stances en faveur du mariage. En réalité, l'auteure défend dans les deux oeuvres l'idée du mariage, «sacrée alliance... / Pleine de tout plaisir, de grâce et de douceur», tout en critiquant la pratique de l'institution à son époque. Elle condamne notamment la grande différence d'âge entre époux, l'intolérance des maris incultes qui n'admettent pas que leurs femmes soient savantes, et l'assujettissement corporel et psychologique des femmes mariées, autant de thèmes déjà développés par les «champions des dames» depuis plus d'un siècle. Il est impossible de savoir si l'oeuvre de Nicole Estienne est autobiographique, comme certains critiques l'ont suggéré. Les plaintes de cette «femme mariée» n'étant pas dirigées contre un individu mais contre un groupe de maris tyranniques, son plaidoyer dépasse le cadre des revendications personnelles et s'inscrit dans un champ politique et social. Outre la valeur culturelle et historique des Misères, le mérite littéraire des trente-cinq sizains en vers alexandrin se révèle à travers un vocabulaire imagé et poétique.
Nicole Estienne publie également quelques poésies liminaires dans des recueils d'autres poètes, qui témoignent de sa participation à l'activité du monde littéraire de son époque. Elle les signe souvent «N.E.», suivi de son anagramme «J'estonne le ciel», précisant dans un sonnet qu'elle étonne «par une patience / Qui me rend comme ung roch, lequel faict resistance / A la rigueur des flotz et jamais n'est brisé» (Misères et grandeur, infra, p.43). L'auteur anonyme d'un manuscrit contemporain conservé à la BNF rapporte une anecdote relative à la devise de Nicole Estienne: «il est de l'histoire qu'apres tant de discours faits sur la rencontre de cest Anagramme que quelque medisant luy demanda si cest anagramme ne vouloit point parler du ciel de son lict» (ms. Dupuy 844, f.361r). La date de la mort de Nicole Estienne n'est pas certaine. Dans la mesure où elle a participé au recueil de Baptiste Badere (voir «Oeuvres»), on peut estimer qu'elle vivait encore en 1588. Elle est morte avant le décès de son mari en 1596.
Poétesse instruite et rhétoricienne, championne de son sexe, Nicole Estienne laisse voir à travers son oeuvre un esprit fin et intelligent. Connue à son époque comme une femme «fort bien accomplie», elle a ensuite été oubliée pendant plusieurs siècles. C'est à partir des années 1930 qu'un chercheur l'a redécouverte et placée «au premier rang des poétesses contemporaines» (Lavaud, voir infra, p.350). Récemment les critiques littéraires ont analysé son rôle capital dans «la querelle du mariage» et reconnu son courage comme sa virtuosité.
Oeuvres
- 1573? : Stanzes du mariage par Madame Liebault, femme de médecin. Inédit.
- 1587? : Les Misères de la femme mariée: où se peuvent voir les peines et tourmens qu'elle reçoit durant sa vie. Mis en forme de Stances, par Madame Liebaut. Paris, Pierre Menier, s.d. -- Éd. Ilana Zinguer, inMisères et grandeur des femmes au XVIe siècle. Genève, Slatkine, 1982, p.32-40.
- 1573-1588+? : Poésies diverses. Deux sonnets figurent dans Ilana Zinguer, Misères et grandeur..., p.41-43.
- 1584 : Un quatrain liminaire, in François Béroalde de Verville, Les Apprehensions Spirituelles, Poemes et autres Oeuvres Philosophiques, avec Les Recherches de la pierre philosophale. Paris, Timothee Joüan.
- 1588 : Un sonnet liminaire, in Baptiste Badere, Devotes meditations chrestiennes, sur la Mort et Passion de nostre Seigneur Jésus Christ. Paris, Guyon Giffard.
Choix bibliographique
- Berriot-Salvadore, Evelyne. «Evocation et représentation du mariage dans la poésie féminine», in M.T. Jones-Davies (dir.), Le Mariage au temps de la Renaissance. Paris, Klincksieck, 1993, p.215-216.
- Lavaud, Jacques. «Quelques poésies oubliées de N. Estienne». Revue du seizième siècle, 18, 1931, p.341-351.
- Reynolds-Cornell, Régine. «Les Misères de la femme mariée: Another Look at Nicole Liébault and a Few Questions about the Woes of the Married Woman». BHR, 64, 2002, p.37-54.
- Yandell, Cathy. «Raconter le temps: la réflexivité dans Les Misères de la femme mariée de Nicole Estienne», in Jean-Philippe Beaulieu et Diane Desrosiers (dir.), Dans les miroirs de l'Ecriture: La réflexivité dans les textes des femmes écrivains sous l'Ancien Régime. Montréal, Université de Montréal, 1998, p.49-60.
- Zinguer, Ilana. Misères et grandeur..., voir supra, «Oeuvres».
Choix iconographique
- Clouet, François. Madame Lyebaut (dessin). Bibliothèque Nationale (Estampes Na 22 rés boîte 15 no 7) -- in Lavaud et Zinguer (voir supra).
Jugements
- «C'est une dame fort bien accomplie tant en gaillardise d'esprit que grâce de bien dire, à ce que j'en ai veu, devisant une fois avec elle.» (Antoine Du Verdier, La Bibliothèque, Lyon, B. Honorat, 1585).
- «Son oeuvre est mince; du moins n'en subsiste-t-il presque rien, assez toutefois pour nous faire entrevoir une figure curieuse et un talent indiscutable [...]. Assez peu jolie (un crayon conservé à la Bibliothèque nationale nous le prouve, et elle l'avoue elle-même dans ses vers), Nicole Estienne comptait peut-être sur son talent poétique pour remédier aux imperfections de son visage et pour assurer à son nom une réputation qui le fît passer à la postérité.» (J. Lavaud, «Quelques poésies...», voir supra, p.341, 344).
- «Avec ses Stanzes du mariage, [Nicole Estienne] montre d'abord sa virtuosité à l'égal de n'importe quel poète: strophe à strophe, terme à terme, elle suit Desportes pour le renverser. Pourtant, dans cette joute [... elle] veut aussi laisser entendre une parole féminine en transformant le combat misogame-philogame en opposition de genre masculin-féminin.» (E. Berriot-Salvadore, «Evocation et représentation...», voir supra, p.215-216).