Marguerite Louise d'Orléans
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Marguerite Louise d'Orléans | ||
Titre(s) | Grande duchesse de Toscane | |
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Conjoint(s) | Côme III de Médicis | |
Dénomination(s) | Princesse d'Or | |
Biographie | ||
Date de naissance | 28 juillet 1645 | |
Date de décès | 17 septembre 1721 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice de [Vincenzo Lagioia] et [Nathalie Grande], 2015
Christine de France, fille de Henri IV et Marie de Médicis, est née à Paris le 10 février 1606. Richelieu et Louis XIII, entrevoyant la Savoie, «porte des Alpes», comme la clef de leur lutte contre l’influence des Habsbourg en Italie, marient Christine en 1619 à Victor Amédée Ier (1587-1637), duc de Savoie en 1630 au décès de Charles-Emmanuel Ier. La duchesse est la soeur des plus grands de France : Louis XIII, Gaston d’Orléans, Élisabeth, reine d’Espagne en 1621 et Henriette, reine d’Angleterre en 1625. Rêvant elle-même d’un titre royal, elle soutient son époux dans sa quête de la couronne de Chypre, arguant de liens matrimoniaux du XVe siècle avec la maison de Lusignan régnant sur l’île. Elle a les mêmes ambitions, parfois contrariées, pour ses enfants : Louise est mariée à son oncle Maurice de Savoie, Marguerite au duc de Parme, Adélaïde au duc électeur de Bavière et Charles-Emmanuel à la nièce de Louis XIII, Françoise d’Orléans, décédant peu après. Il épouse ensuite Jeanne-Baptiste de Nemours. À la mort de Victor-Amédée en 1637, Christine devient régente au nom du fils aîné, François-Hyacinthe, mort un an plus tard, puis du cadet Charles-Emmanuel.
À la cour de Turin, Madame Royale, dont la devise est «Plus de fermeté que d’éclat», assure un long règne qui dépasse la fin officielle de sa régence pour durer jusqu’à sa mort en 1663. Elle mène une politique habile, tiraillée entre les prétentions françaises et espagnoles sur la Savoie, à une époque de fragilités internes : minorité du prince, division dans la famille (deux beaux-frères, le prince Thomas, alors affilié à l’Espagne et le cardinal Maurice, à la France). Christine est aidée par un conseiller dévoué, Philippe d’Aglié, poète, intellectuel et homme politique si expert que Richelieu l’emprisonne. L’épreuve la plus dure qu’elle traverse vient de ses beaux-frères contestant la légitimité de sa régence : débute une terrible guerre civile (1638-1642) entre les clans des Madamisti et Principisti, se solvant, après compromis, à l’avantage de la régente. En 1648, avertie d’un complot, Christine réussit un vrai coup d’État : elle installe au pouvoir Charles Emmanuel II, majeur, en évinçant les oncles et affirmant son rôle de maîtresse absolue du duché. Malgré quelques combats contre l’Espagne, un certain répit est maintenu jusqu’à la Paix des Pyrénées en 1659, marquant la suprématie de la France, aux côtés de laquelle se trouve la Savoie.
De culture française, la duchesse anime à Turin l’une des plus brillantes cours européennes, misant sur une politique artistique régalienne. Dans la lignée des ducs, elle magnifie la capitale et les demeures des Délices aux alentours. Elle donne des fêtes somptueuses, modèles pour toute l’Europe, comme au château du Valentino sur les bords du Pô, lieu de plaisance favori de la duchesse, transformé en symbole du pouvoir par d’Aglié et Emmanuel Tesauro. Enfin, sur le plan religieux, elle est une fidèle active, signe de sa réelle dévotion.
La réussite de cette femme aussi maternelle que tenace, «ne craignant rien ni personne quand il s’agit de l’intérêt de ses enfants et de la liberté de son peuple», ne se résume pas à sa capacité à résister aux pressions de Richelieu ou de ses beaux-frères. Son rôle de chef d’État tient en quatre axes majeurs pour le duché : elle l’allie durablement à la France et en assure l’indépendance relative ; elle consolide un absolutisme «tempéré» accompagné d’une politique artistique de prestige lui assurant un rayonnement européen ; elle renforce les structures administratives et étatiques, substituant au rôle d’État tampon du duché celui d’État intermédiaire ; enfin, dans la voie des ducs, elle accélère l’acquisition d’un titre royal, obtenu par Victor-Amédée II, roi de Sicile (1713) et de Sardaigne (1720). Cette française devenue piémontaise meurt à Turin le 27 décembre 1663.
La régence de Christine de France a été malmenée, si ce n’est oubliée, par l’historiographie française qui en donna une vision déformée, hormis dans quelques entrées de dictionnaires. Loin des récits emphatiques des historiographes de la dynastie, les histoires récentes de la Savoie n’évoquent son rôle que brièvement. Elle est aujourd’hui l’objet de nouvelles parutions françaises, dont l’initiative revient à Giuliano Ferretti. Côté italien, en revanche, outre des monographies, les ouvrages sur cette période compilent un certain nombre d’études historiques, artistiques et littéraires sur l’oeuvre de la duchesse et sur sa cour.
Sources inédites
- Archives d’État (Italie, Turin), Corte, Fonds Storia Real Casa, Tutele e Reggenze, Lettere Ministri... dont les manuscrits suivants dans les Storie particolari : Samuel Guichenon, «Le soleil en son apogée, ou l’histoire de la vie de Chrétienne de France», 1660, cat.3a, m.16, f.29 ; Valeriano Castiglione, «Historia della reggenza di Madama Reale», 1656, m.17, f.1.
- Archives d’État (Italie, Turin), Riunite, Archivio Camerale, Real Casa, Casa di sua Maesta...
- Archives Historiques de la ville (Italie, Turin), Coll. Simeom, C 2381 à 2390...
- Bibliothèque Royale (Italie, Turin), Miscellanea Patria, Cerimoniale di Corte ; Id. Orazioni patrie Real Casa, 480, 494, 499, 757 ; Storia Patria, «Relation de la Cour de Savoye, ou les amours de Madame Royale» 296...
- Archives du Ministère des Affaires Etrangères (France, Paris), Correspondance politique, Sardaigne 1, 2, 12, 16, 25-27, 39, 42, Cérémonial 17 ; France I-II, Affaires intérieures et extérieures 21, France et divers États 14, 42, Affaires intérieures 80, 92...
- Archives départementales de Savoie (France, Chambéry) : Sénat de Savoie (pour la correspondance avec les souverains savoyards) dont les lettres numérisées de Madame Royale au Sénat de Savoie, 2B38 à 2B40 ; Indice Savoia ; Archives anciennes et modernes série H ; Sénat-Familles ; Trésor des chartes des ducs de Savoie (partagé avec les Archives départementales de Haute-Savoie (Annecy).
Sources éditées
- Siri, Vittorio, Il Mercurio, ovvero Historia de' correnti tempi, 15 vol., Casale, Venise, Florence, 1644-1682.
- Socini, Pietro Antonio, Successi del mondo, Turin, G.A. Gianelli, 1645-1665.
- Della Chiesa, Francesco Agostino, Corona Reale di Savoia, o sia relatione delle provincie, e Titoli ad essa appartenenti, 2 vol., Cuneo, FF. Strabella, 1655-1657.
- Guichenon, Samuel, Histoire généalogique de la royale maison de Savoie, Lyon, G. Barbier, 1660.
- Aglié, Philippe d’, Le Delitie, relatione della Vigna di Madama Reale Christiana di Francia, duchessa di Savoia, Turin, Rustis, 1667.
Choix bibliographique
- Becchia, Alain, Vital-Durand, Florine (dir.), Édifier l’État : politique et culture en Savoie au temps de Christine de France, Chambéry, Université de Savoie (LLSETI), 2015.
- Claretta, Gaudenzio, Storia della reggenza di Cristina di Francia, duchessa di Savoia, Turin, Civelli, 3 vol., 1868-1869.
- Di Macco, Michela, Romano, Giovanni (dir.), Diana trionfatrice : arte di corte nel Piemonte del Seicento, Turin, Allemandi, 1989.
- Ferretti, Giuliano (dir.), Christine de France et son siècle, numéro spécial de la revue XVIIe siècle, n°262, 2014/1.
- Ferretti, Giuliano (dir.), De Paris à Turin. Christine de France duchesse de Savoie, Paris, L’Harmattan, 2014.
Choix iconographique
- Vers 1612: Frans Pourbus le Jeune, Portrait de Christine de France enfant (huile sur toile, 51,5 x 41 cm), Florence, Palais Pitti, Galerie Palatine (Inv. n.2407).
- 1633: Peintre actif à la cour de Savoie, Portrait de Christine de France (huile sur toile, 105 x 87 cm), Munich, Alte Pinakothek (Inv. n.3145).
- 163: Guillaume Dupré, Médaille de Christine de France (argent, 5,3 cm), Turin, Palazzo Madama, Musée civique d’art ancien (médailler).
- Vers 1644: Philibert Torret dit Narcisse, Christine de France et ses enfants (huile sur toile, 257 x 184 cm), Sienne, Pinacothèque nationale (Inv. n.681).
- Vers 1663: Charles Dauphin, Portrait équestre de Christine de France en Minerve, (huile sur toile, 282 x 221 cm) Racconigi, Château (Inv. n.R4877).
- Divers portraits gravés de Christine de France, Paris, BnF, Département Estampes et photographie, Collection Michel Hennin, t.46, pièces 4135-4220 (site internet Gallica-BnF).
Jugements
- «La faiblesse de son sexe, la légèreté de son esprit, rempli d’autant de présomption qu’il était dénué de jugement, l’aversion que tout son pays avait de sa conduite, la lâcheté et l’infidélité des Piémontais [...] furent cause de sa perte. Outre que le gouvernement des femmes est d’ordinaire le malheur des États, celle-ci avait tant de mauvaises qualités pour conduire des peuples, qu’il fut impossible de la porter à ce qui était du tout nécessaire pour se bien acquitter d’une telle charge». (Richelieu, Lettres, instructions diplomatiques et papiers d’État du Cardinal de Richelieu, dir. M. Avenel, t.6, Paris, Imprimerie nationale, 1863, p.539).
- (Catterino Belegno, ambassadeur vénitien en Savoie en 1664) «Christine de France a laissé douter si elle méritait les acclamations ou les blâmes du monde, ayant eu de multiples vertus et de nombreux défauts, une grande prodigalité mais des affaires déplorables et beaucoup de lascivité comme une dévotion exemplaire [...] Toutefois sa mort fut universellement déplorée, ayant toujours, avec affabilité, clémence et abondance de luxueux présents, dompté les coeurs de son peuple et des étrangers, et laissé à la cour et à la ville de Turin tant de marques de splendeur et de magnificence qu'elles suffiraient à encenser la mémoire de beaucoup de princes pour plusieurs siècles. De plus, elle a dû lutter plusieurs fois contre le destin et braver avec une force virile les périls de l'État, dans lequel, à la fin, pour toute sa gloire, elle a laissé son fils libre et maître pacifique». (Firpo, Luigi (dir.), Relazioni di ambasciatori veneti al senato, t.11, Turin, Bottega d’Erasmo, 1983, p.354-355).
- «Madame Royale, digne fille de Henri IV, rendait sa petite Cour la plus agréable du monde. Elle avait hérité des vertus de son père, à l’égard des sentiments qui conviennent au sexe ; et, à l’égard de ce qu’on appelle la Faiblesse des grands Coeurs, Son Altesse n’avait pas dégénéré [...] Les Dames avaient chacune un amant d’obligation, sans les volontaires, dont le nombre n’était point limité». (Hamilton, Anthony, Mémoires de la vie du comte de Grammont, Cologne, Marteau, 1713, p.37-38).
- «Belle sans orgueil, affable avec dignité, s’exprimant avec grâce en français, en espagnol et en italien ; enfin, digne fille de Henri IV, elle fut une des princesses les plus accomplies de son siècle». (De Beauchamp, Alphonse, «Christine de France», Michaud et al., Biographie universelle ancienne et moderne, t.8, Paris, Michaud, 1813, p. 478).
- «Il importe de nous rendre compte du caractère et du rôle de cette femme virile, digne fille d’Henri IV, qui sauve la dynastie par sa fermeté, sait résister dans des circonstances graves aux séductions comme aux menaces de Richelieu et transmet intact à son fils un héritage que se disputaient la France et l’Espagne [...] À ces prétentions opposées, la duchesse répond par une attitude décidée qui fait comprendre qu’elle ne veut pas vivre sous la dépendance de Paris ni sous celle de Madrid. Quoique fière d’être la fille d’Henri IV, elle se défie des Français et répond à toutes les suggestions de Richelieu : « Je veux conserver ma liberté“». (Burnier, Eugène, Mémoires de l'Académie royale de Savoie, Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, série 2, t.7, Chambéry, Puthod, 1864, p.15-16).
- «Belle, raffinée, puissante et impérieuse, autant en politique qu’en amour, elle fut l’un de ces génies que la nature produit au cours d’un siècle avant de s’épuiser, comme dirait Voltaire. Son existence fut à la hauteur de ses talents [...] Volontariste, exubérante, autoritaire, férue de fêtes et profondément catholique, Christine de France employa tous les moyens que lui assurait son statut de fille de France - argent, pensions, soutien politique et naturellement culture et ruse - pour renforcer et magnifier le Piémont-Savoie».(Ferretti, Giuliano, Christine de France..., «voir supra, choix bibliographique», p.3).
- «L’histoire de Christine de France et celle de son duché est un cas d’école. Son action n’est pas seulement celle d’une princesse, lâchons le mot, mais d’une Femme d’État qui a tout réussi dans sa vie (la politique, la religion, les arts, l’amour...) et qui plaît justement aux spécialistes des gender studies. Elle incarne surtout la parabole d’une duchesse s’inscrivant consciemment dans la lignée des grands souverains de la maison de Savoie-Piémont, d’Emmanuel-Philibert à Victor-Amédée II, lesquels ont construit avec patience, intelligence, détermination et esprit visionnaire la primauté de ce territoire dans le panorama des États d’une péninsule agitée par les graves tensions internes et internationales de la modernité».(Ferretti, Giuliano, «Préface», dans A. Becchia, F. Vital-Durand, Édifier l’État..., «voir supra, choix bibliographique», p.12).