Madeleine de Scudéry
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Madeleine de Scudéry | ||
Dénomination(s) | « Sapho » « Georges de Scudéry » Mademoiselle Scudéry | |
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Biographie | ||
Date de naissance | 1607 | |
Date de décès | 1701 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779) | ||
Dictionnaire Marguerite Buffet (1668) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) | ||
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779) |
Sommaire
Notice de Myriam Dufour-Maître, 2008.
Fille de Georges de Scudéry, capitaine des ports, et de Madeleine de Martel de Goutimesnil, Madeleine de Scudéry est baptisée au Havre le 1er décembre 1607. Tôt orpheline de père et peut-être de mère, élevée par un oncle qui cultive ses talents et encourage sa curiosité, elle se dote d’une culture encyclopédique et moderne, rare pour son sexe à l’époque.
Venue à Paris vers 1635 sous la protection de son frère Georges, elle débute sa carrière en écrivant à des autorités comme Guez de Balzac ou Chapelain. Georges signe des oeuvres qui sont, en partie ou en entier, de la plume de Madeleine: un roman héroïque, Ibrahim ou l’Illustre Bassa; un recueil, Les Femmes Illustres, ou Harangues héroïques, où Sapho(dont Madeleine prendra le nom dans son salon) défend la gloire et la liberté féminines. Reçue à l’hôtel de Rambouillet, elle se forme au modèle aristocratique et féminin de la «négligence»: il faut, si l’on écrit, s’en défendre toujours, cacher ses ambitions, ne pas signer ses ouvrages. Lorsqu’elle suit son frère à Marseille (1644-1647), elle entretient des liens amicaux et mondains par une correspondance délicate et enjouée. Aux revenus (tenus secrets) de l’imprimé, se joint l’attachement clientéliste à un clan princier: Artamène ou le Grand Cyrus célèbre Condé et Anne-Geneviève de Longueville. On s’arrache les dix tomes de cette fresque héroïque et amoureuse, lue pendant la Fronde comme un commentaire des troubles. «L’Histoire de Sapho» (tome X) offre une allégorie de l’écriture du roman.
Georges, exilé en 1654, laisse sa soeur à la tête d’un salon ouvert depuis peu. Les Chroniques du Samedi (jour de réunion), tenues par Madeleine et ses invités, conservent le souvenir du début du long attachement de «Sapho» et d’«Acante» (Pellisson), et de la sociabilité galante et littéraire de cette «ruelle» socialement mêlée. Clélie, histoire romaine, où Madeleine insère la fameuse Carte de Tendre imaginée pour Pellisson, conserve la structure des romans grecs de l’Antiquité, mais tient aussi de la gazette galante: vers, descriptions, portraits et conversations en font un «élégant manuel de savoir-vivre», de savoir-lire et de savoir-écrire (D. Denis). Entourée de collaborateurs érudits (Pellisson, Huet, Ménage), Madeleine concilie fidélité au clan Longueville, prudence politique et attachement à la famille royale dans ce vaste roman qui s’achève sur les éloges de Mazarin et de Fouquet.
Célébrée comme «Reine de Tendre», caricaturée pour sa laideur et sa surdité ou érigée en «Souveraine des Précieuses», Mlle de Scudéry, comme romancière et moraliste, partage alors le monde des lettres: la satire des précieuses, politique puis littéraire à partir de 1656, vise en partie l’ambition de Madeleine et de ses amis d’être reconnus «maîtres et arbitres du Parnasse». Elle se défend du titre de «bel esprit» et offre une résistance tenace à l’embourgeoisement comme à la professionnalisation. Elle choisit la liberté du célibat, et malgré sa pauvreté n’accepte de minces subsides que du roi ou d’amies délicates. En 1661, Célinte, une nouvelle proche du conte, est publiée sans dédicace, autrement dit sans protection. À la disgrâce de Fouquet, les ennemis de Madeleine applaudissent au discrédit que jette sur sa ruelle l’arrestation de Pellisson. Privilégiant désormais la réussite institutionnelle, Mlle de Scudéry étend son réseau de prestigieux correspondants (Leibniz) et compose, pour quelques amis, pour des Grands (Christine de Suède, Monsieur) et surtout pour le roi, des poésies encomiastiques, deux brefs romans nostalgiques, Mathilde d’Aguilar, La Promenade de Versailles, et la série des Conversations, dont certaines seront lues à Saint-Cyr. En dépit d’ingénieuses dédicaces, les gratifications sont irrégulières.
Quelques critiques féroces mis à part (Boileau), Mlle de Scudéry a été estimée et admirée de ses contemporains. Faute d’entrer à l’Académie française, elle en a reçu un prix d’éloquence pour son Discours de la Gloire (1671). Ses romans ont été très vite traduits dans toute l’Europe, et elle a été reçue à l’Académie des Ricovrati de Padoue (1684). On a exalté sa bonté, sa modestie surtout: qualités personnelles certes, mais exigées plus encore d’une auteure. Ayant réussi à concilier toute sa vie génie du monde et génie des lettres, Mlle de Scudéry a payé le prix fort: peu après sa mort (le 2 juin 1701 à Paris), son oeuvre a été dénigrée comme illisible, alors même que l’on continuait de la lire, comme l’attestent Rousseau, Mme de Genlis ou encore Chateaubriand. Un préjugé que le renouveau actuel des études scudériennes permet enfin de dépasser.
Oeuvres
- 1641 : Ibrahim ou l’Illustre Bassa, Paris, Antoine de Sommaville, 4 vol. -- éd. Antonella Arrigoni, Fasano (Brindisi)/Schena/Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, «Biblioteca della ricerca. Testi stranieri», 36, 2003, 2 vol.
- 1642 : Les Femmes Illustres, ou Harangues héroïques, Paris, Sommaville et Courbé -- éd. Claude Maignien, Paris, Côté-femmes, 1991.
- 1649-1653 : Artamène ou le Grand Cyrus, Paris, Augustin Courbé, 10 vol. -- éd. Claude Bourqui et Alexandre Gefen, Paris, Flammarion, «GF», 2005.
- 1653-1654 : (avec Paul Pellisson et leurs amis) Chroniques du Samedi, suivies de pièces diverses (1653-1654), éd. Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître, Paris, Champion, 2002.
- 1654-1660 : Clélie, Histoire romaine, Paris, Augustin Courbé, 10 vol. -- éd. Chantal Morlet-Chantalat, Paris, Champion, 2001-2005, 5 vol. -- éd. Delphine Denis, Paris, Gallimard, «Folio classique», 2006.
- 1661 : Célinte, Nouvelle Première, Paris, Augustin Courbé -- éd. Alain Niderst, Paris, Nizet, 1979.
- 1667 : Mathilde d’Aguilar, Paris, Martin -- éd. Nathalie Grande, Paris, Champion, 2002.
- 1669 : La Promenade de Versailles, dédiée au Roy, suivie de Celanire, Paris, Barbin -- éd. Marie-Gabrielle Lallemand, Paris, Champion, 2002.
- 1671 : Discours de la gloire, Paris, P. Le Petit.
- 1680 : Conversations sur divers sujets, Paris, Barbin, 2 vol.
- 1684 : Conversations nouvelles sur divers sujets, Paris, Barbin, 2 vol.
- 1686 : Conversations morales, Paris, Sur le Quai des Augustins, 2 vol.
- 1688 : Nouvelles conversations de morale, Paris, Vve Mabre-Cramoisy, 2 vol.
- 1692 : Entretiens de morale, Paris, Anisson, 2 vol.
- Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies, éd. Rathery et Boutron, Paris, L. Techener, 1873 -- Genève, Slatkine Reprints, 1971.
- Choix de Conversations, éd. Phillip J. Wolfe, Ravenne, A. Longo, 1977.
- «De l’air galant» et autres Conversations (1653-1684). Pour une étude de l’archive galante, éd. Delphine Denis, Paris, Champion, 1998.
Choix bibliographique
- Denis, Delphine et Anne-Élisabeth Spica (dir.), Madeleine de Scudéry: une femme de lettres au XVIIe siècle, Arras, Artois Presses Université, 2002.
- Denis, Delphine, La Muse galante. Poétique de la conversation dans l’oeuvre de Madeleine de Scudéry, Paris, Champion, 1997.
- Morlet-Chantalat, Chantal, Madeleine de Scudéry, Paris, Memini, «Bibliographie des Écrivains Français», 1997 (on s’y reportera notamment pour la localisation des pièces dispersées [manuscrits, poésies et lettres] qui n’ont pas été recensées dans la liste des oeuvres).
- Niderst, Alain, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, Paris, Presses universitaires de France, «Publications de l’Université de Rouen», 1976.
- Niderst, Alain (dir.), Les trois Scudéry, Actes du colloque du Havre (1-5 octobre 1991), Paris, Klincksieck, 2003.
- Spica, Anne-Élisabeth, Savoir peindre en littérature. La description dans le roman au XVIIe siècle: Georges et Madeleine de Scudéry, Paris, Champion, 2002.
Choix iconographique
- 17** (1er quart du XVIIIe s.): Étienne Desrochers, Magdeleine de Scuderi (burin, 15,2 x 10,7cm), Versailles, musée national du château (LP32-101/7).
Liens électroniques
- Madeleine et Georges de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus (publication intégrale au format texte) [1]
- Madeleine de Scudéry à la Bibliothèque Mazarine [2]
Jugements
- «L’Ibrahim ou l’illustre Bassa de M. de Scudéry, est conduit si adroitement, qu’on donne pour marque de sa belle suite, la facilité qu’il y a d’en retenir les incidens pour peu qu’on ait de memoire. L’Artamène ou le grand Cyrus du mesme Autheur, a esté tellement estimé, que ses dix Tomes ayant esté donnez les uns apres les autres, ils ont causé beaucoup d’impatience, jusqu’à ce qu’on en ait veu la Conclusion. C’est un Livre remply d’avantures Heroïques, où les effets de l’amour sont agreablement mélez à ceux de la valeur, avec tant d’exemples conformes à la galanterie de nostre Siecle, & de si charmantes conversations, qu’il n’y a gueres de Lecteurs qui n’en soient touchez. On dira la mesme chose de la Clélie qui a paru ensuite. Sa Carte de l’Amitié tendre avec plusieurs Discours sur ce sujet, font connoistre comment on peut aimer d’une honneste Amitié, sans se laisser emporter aux frenesies de l’Amour. Plusieurs tiennent qu’une sage & sçavante Demoiselle a grande part dans cet Ouvrage, & que le frere et la soeur sont egallement illustres: Mais ce n’est pas à nous de decouvrir ce qu’ils ont voulu cacher; Il suffit que nous sçachions le merite de l’un & de l’autre.» (Charles Sorel, La Bibliothèque françoise, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1667, p.185)
- «Elle avoit rassemblé en elle seule toutes les vertus, tous les talens, & tous les différens mérites des deux sexes; un coeur droit & généreux, une âme grande & ferme, un esprit vaste & solide, capable des plus grandes choses, & qui sçavoit descendre, sans s’avilir, jusqu’aux plus petites. La douceur, la bonté, la modestie, la patience, la charité ne lui coutoient rien à pratiquer; [...] un goût exquis, une éloquence naturelle, une politesse charmante, une connoissance exacte de tous les devoirs, qu’elle remplissoit sans peine & sans embarras; un sçavoir acquis par le seul motif d’occuper utilement son esprit, & de perfectionner sa raison; une attention particulière à le cacher, pour ne choquer, ni l’amour propre des autres, ni les bienséances. [...] La beauté, qui sans jalousie se plaisoit à lui former une Cour brillante, trouvoit chez elle les mêmes hommages, les mêmes respects que l’on rend aux Rois; on y étoit, quoique sans contrainte & d’un air aisé, avec autant d’égards & de retenue qu’au Louvre. Le jeu, l’intrigue, le libertinage, l’effronterie n’osoient s’approcher de ce réduit délicieux; on n’y connoissoit que les plaisirs innocens de l’esprit & de l’amitié. [...] On ne trouva rien à reprendre en elle, rien qui sentît la province; on la regarda comme si elle eût été née à la Cour, ou qu’elle y eût passé toute sa vie. [...] Ainsi mourut en la quatre-vint-quatorziéme année de son âge, Mademoiselle de Scudery, l’ornement de son sexe, l’admiration du notre, & la merveille du siécle de Louis le Grand.» (Abbé Bosquillon, «Éloge de Mademoiselle de Scudéry», Journal des Savants, 11 juillet 1701,
pp. 282-288)
«Et que dans la postérité,
Quand on verra quelque mortelle,
Chanter dans nos concerts d’une voix docte et belle,
On dise avec un coeur de plaisir transporté,
En voyant sa science et sublime et profonde,
Une autre Scudéry va reparaître au monde [...].»
(Marie-Jeanne Lhéritier de Villandon, Apothéose de Mlle de Scudéry, Paris, Jean Moreau, 1702, p. 80)
«Sous le nom de Sapho, sous cet air noble et doux,
L’aimable Politesse habita parmi nous;
La modestie en elle au savoir fut unie,
Et son coeur fut encor plus grand que son génie.»
([Anonyme], Esprit de Mlle de Scudéry, Amsterdam/Paris, Vincent, 1766).
- «Émule et rivale de La Calprenède, elle travailla dans le même genre [le roman] avec plus de talent et de succès, sans exciter sa haine ou son envie. Elle écrivit infiniment mieux que lui, et elle mit dans tous ses ouvrages une excellente morale. Elle est le premier auteur qui ait ennobli ce genre, avant elle si frivole, en le rendant instructif à beaucoup d’égards. [...] Le style de mademoiselle de Scudéri, en général assez correct, est traînant, sans couleur, sans harmonie, et rempli de négligences; cependant [...] mademoiselle de Scudéri écrivoit moins négligemment que plusieurs auteurs de ce temps, qui ont aujourd’hui beaucoup plus de réputation qu’elle; et ses ouvrages, ainsi que tous ceux de ses contemporains, sont exempts de ce galimatias devenu si commun de nos jours.» (Stéphanie de Genlis, De l’influence des femmes sur la littérature française, Paris, Maradan, 1811, p.89-117)
- «Ce n’est pas une réhabilitation que je viens tenter, mais il est bon de mettre des idées exactes sous de certains noms qui reviennent souvent. On ne lit plus les livres de Mlle de Scudéry, mais on la cite encore; elle sert à désigner un genre littéraire, une mode de bel-esprit à une heure célèbre: c’est une médaille qui a fini presque par passer en circulation et par devenir une monnaie. Quelle en est la valeur et le titre? Faisons un peu avec Mlle de Scudéry ce qu’elle-même aimait tant à faire: examinons, distinguons et analysons. [...] On voulait plaire tout en instruisant. Mais il se mêlait dans ces premiers essais d’une société sérieuse et polie une grande inexpérience. Pour rendre à Mlle de Scudéry toute la justice qui lui est due, et pour lui assigner son vrai titre, on doit la considérer comme l’une des institutrices de la société, à ce moment de formation et de transition. [...] À quelques égards, dans ces Conversations, Mlle de Scudéry se montre à nous comme le Nicole des femmes, avec plus de finesse peut-être, mais aussi avec un fond de pédantisme et de roideur que l’ingénieux théologien n’a pas.» (Sainte-Beuve, «Mademoiselle de Scudéry», dans Causeries du lundi, Paris, Garnier frères, 1851, vol.IV, p.121-143)
- «Si les Conversations avaient paru sans nom d’auteur, si on en ignorait l’auteur, il serait exactement impossible de deviner qu’elles sont l’oeuvre de l’une de ces Précieuses dont Molière et Boileau ont voulu nous faire rire.» (Daniel Mornet, «La signification et l’évolution de l’idée de préciosité en France au XVIIe siècle», Journal of the History of Ideas, I, 1940, p.225-227)