Charlotte-Catherine de La Trémoille/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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[I,367] CHARLOTE-CATERINE DE LA TREMOILLE, Princesse de Condé (1).
LA premiere des Charlotes, desquelles je fais l'Eloge en ce Livre, est Charlote-Caterine, Princesse de Condé, issue des tres-illustres Maisons de la Tremoille, du costé paternel, et de Montmorency du maternel; dans l'Eloge de Charlote Duchesse d'Angoulesme, je parleray de la Noblesse de celle de Montmorency; en celuy-cy je suis obligé de faire voir celle de la Tremoille, laquelle a plusieurs marques de grandeur et d'excellence.
Son ancienneté est de plus de cinq cens ans. Elle a possedé dés long-temps, comme elle possede encore de grandes et de riches Seigneuries. Elle a exercé de hautes Charges et Offices de la Couronne, entre autres la dignité de Duché et Pairrie. Les alliances par mariage aux autres illustres Maisons y sont frequentes. Celles de Bourbon, d'Anjou, de Luxembourg, de Nassau, de Sully, de Thouars (2), d'Amboise, de Montmorency, de Coitivy, de Craon, de la Tour, de Laval (3), à laquelle derniere Maison a esté allié François de la Tremoille, Vicomte de Thouars, Prince de Talmond, qui épousa Anne de Laval, fille de Guy XVI. Comte de Laval, et de Charlote d'Aragon, laquelle Princesse eut pour pere Federic Roy de Naples mort à Tours l'an 1540. et de cette part sont eschus aux Ducs de la Tremoille plusieurs grandes Seigneuries, et des droicts sureminents. Mais ce qui releve de plus en plus le lustre de cette Maison, c'est que plusieurs Seigneurs ont combatu glorieusement, et perdu la vie contre les Infideles, pour le soustien et la de-[368]fense de la Foy. Les autres ont suivy le mesme chemin, en servant nos Monarques leurs Princes, mesmement ce grand Chef de guerre Louys II. Seigneur de la Tremoille, et Charles son fils Prince de Talmond, qui finirent leurs jours aux batailles de Marignan et de Pavie (comme je diray en l'Eloge de la devote et sçavante Heroïne Gabrielle de Bourbon, premiere femme de Louys, et la mere de Charles) et Louys de la Tremoille Duc de Thouars, pere de Charlote Caterine de la Tremoille Princesse de Condé, dont nous faisons icy l'Eloge, qui mourut Chef et conducteur de l'armée Royale, laquelle prit la ville de Melle en Poitou, sur les Religionnaires rebelles.
Un Autheur Etranger (4) a écrit la genealogie de cette tres-illustre Maison, mais il y a glissé plusieurs erreurs, pour n'en avoir pas une assez exacte et parfaite connoissance; c'est pourquoy tous les sçavans et les curieux attendent avec impatience celle que Messieurs de sainte Marthe, Historiographes du Roy vont mettre en lumiere: Heureuse Maison, d'avoir pour Ecrivains ces deux freres jumeaux, qui sont connus en toute l'Europe pour leur rare doctrine, et particulierement pour avoir l'honneur d'avoir si heureusement écrit l'Histoire de la Maison Royale.
Mais pour revenir à Charlote-Caterine de la Tremoille Princesse de Condé, je diray que ce luy fut un grand bon-heur de tirer son origine par les lignes de diverses Princesses du Sang, ses grandes ayeules, dont son estoc paternel, l'un des plus illustres et celebres de France a esté orné (5). Mais ce luy fut une felicité encore plus grande et incomparable, d'avoir merité, et estre jugée digne de la couche nuptiale d'un Heros tres-genereux et tres-illustre du méme Sang Royal. Ce fut Henry de Bourbon Prince de Condé I. du nom, qui estoit alors veuf de Marie de Cleves, sortie de la Maison des Ducs de Nivernois sa premiere épouse. Cette deuxiéme dont nous parlons, fut en ses jeunes ans sous la garde noble de Jeanne de Montmorency, Duchesse de la Tremoille sa mere, aprés le decés advenu de Louys Duc de la Tremoille et de Thouars, qui finit ses jours (comme j'ay desja remarqué cy-dessus) pour la defense de la Religion Catholique, [369] et de l'Estat, estant Lieutenant general du Roy Henry III. dans son armée qui assiegeoit la ville de Melle en Poitou sur les Huguenots rebelles, dont les meilleurs Historiens sont d'accord, et cette circonstance notable qui justifie l'erreur d'un Autheur Etranger (6) de ce temps, lequel (quoy que fort exact d'ailleurs) a écrit en l'Histoire des guerres civiles de France, que ce Duc Louys, qui estoit, comme il a esté toute sa vie tres-bon Catholique, avoit embrassé le party des Religionnaires contraires au Roy.
Cette Princesse sa fille unique ayant esté nourrie et élevée sous une si digne mere, et receu la trempe de la pieté, et toutes les autres vertus, et bonnes conditions requises en une Dame de haute naissance, comme elle estoit, aussi-tost elle en fit paroistre les effects; de sorte que le Prince Henry jettant ses pensées sur une autre alliance, arresta ses yeux sur cette Princesse. Le mariage fut fait le 16. jour de Mars de l'an 1586. à Taille-bourg en Xaintonge: Elle apporta en mariage à ce Prince le Comté de Taillebourg, les terres de Craon, de Bommiers, de sainte Hermine, et de la Chaise le Vicomte (7). L'année suivante 1587. ce grand Prince qui avoit acquis tant de gloire par sa valeur (comme rapportent fidellement le President de Thou en divers livres de l'Histoire de son temps, et les sieurs de sainte Marthe, dans l'Eloge de ce vaillant Prince, au livre 16. de l'Histoire de la Maison de France) alla encore assister Henry Roy de Navarre, et depuis de France son cousin germain en ses genereux desseins, qui luy donna la conduite de l'un des quatre escadrons de son armée, à la bataille de Coutras, où il fit paroistre son grand courage: Car d'abord ayant receu un coup de lance au costé que luy donna le Seigneur de Saint Luc, de la Maison d'Espinay (8), qui estoit l'un des principaux Chefs de l'armée Royale d'Henry III. commandée par Anne Duc de Joyeuse, en ce danger, le Prince redoublant son courage, arresta prisonnier celuy qui l'avoit porté par terre. Toutesfois par le coup, se trouvant engagé sous son cheval, comme son pere l'avoit esté à Jarnac, il se releva, son cheval ayant esté tué: mais cet effort causa un tel prejudice à sa santé, que la douleur croissant, on estime que cela avança la fin de ses jours; [370] et mourut le cinquiéme de Mars de l'an 1588. estant aagé de 35. ans.
Henry de Bourbon Prince de Condé, fit voir sa bonté et sa generosité en cette bataille, envers ce vaillant et sçavant Heros le Seigneur de Saint Luc son prisonnier, qui estoit l'un des plus grands ennemis du Roy de Navarre, et de ce Prince; non autrement que pour la querelle generale, car en particulier Saint Luc se disoit tousjours très humble serviteur du Roy de Navarre, et du Prince de Condé, comme Princes du Sang, et de la Maison de France. Et partant cette inimitié estoit d'autant plus louable qu'elle partoit de sa fidelité à l'endroit du Roy Henry III. son Maistre. Il commandoit aux Isles de Marans et de Brouage pour le service de ce Monarque là. Le Navarrois, et le Prince voulans accommoder la Rochelle, l'Angoumois, et la Xaintonge, et les autres lieux où ils estoient les bien venus, avoient un perpetuel dessein sur ces Isles, et Saint Luc un soin nompareil de les conserver au Roy Henry III. rompant toutes leurs entreprises et leurs intelligences. Estant donc leur prisonnier à Coutras, le Roy de Navarre, et le Prince de Condé furent importunez de s'en dépescher, car il y avoit de grandes haines contre luy de plusieurs, ausquels il avoit fait bonne guerre. Le Roy de Navarre, et le Prince de Condé neantmoins qui avoient tousjours preferé la vertu et la fidelité à la vengeance le sauverent: mais ils tascherent de s'aider de sa captivité pour occuper les Isles, et feignirent des menaces pour l'épouvanter, afin de les leur mettre entre leurs mains; il leur respondit que sa vie estoit en leur pouvoir, mais les places en celuy du Roy son bon Maistre, les ayant remises à sa Majesté és mains de son Lieutenant, auquel il avoit commandé en partant d'icelles de ne les remettre à autre qu'à sa Majesté, quelque mandement qu'il receust de luy, et qu'il ne fleschist jamais aux menaces que l'on luy feroit de sa mort, s'il estoit pris en bataille; tellement que ce seroit perdre le temps que de luy en parler davantage, que le plus court chemin sera de luy oster la vie. Mais il sçavoit bien qu'il estoit entre les mains de Princes magnanimes, et du sang de Bourbon, renommé par l'Univers pour sa clemence et sa bonté; c'est ce [371] qui le faisoit parler si hardiment, aussi ils le renvoyerent sans payer rançon, et aprés l'avoir bien traité: et depuis le Roy de Navarre estant parvenu à la Couronne de France, le sceut bien choisir pour luy donner la charge de Grand-Maistre de l'Artillerie, quand il pourveut le Seigneur de la Guiche du Gouvernement de Lyonnois, qui estoit lors frontiere du Royaume.
Charlote-Caterine de la Tremoille eut deux enfans de ce Prince; sçavoir Eleonor de Bourbon, qui vint au monde le 30. d'Avril 1587. laquelle estant aagée de dix ans receut à Paris le 10. jour de Mars 1597. la benediction d'Alexandre de Medicis, Cardinal, et Archevéque de Florence, et Legat du Saint Siege en France, qui invoqua le Saint Esprit sur sa personne, pource qu'elle avoit esté nourrie et élevée parmy les sectaires de Calvin, et le mesme jour elle fut en la compagnie de sa mere visiter l'Eglise de Nostre-Dame. Depuis estant aagée de 19. ans, et bien instruite en la Religion Catholique, le Roy Henry le Grand la maria l'an 1606. avec Philippe-Guillaume Prince d'Orenge, Comte de Nassau, de Catzenelbogen, de Diets, Baron de Breda, et Seigneur de tant d'autres belles terres, Chevalier de l'Ordre de la Toison d'or, qui estoit fils aisné de Guillaume de Nassau Prince d'Orenge, tant celebré dans l'Histoire des Pays bas, et d'Anne d'Egmond sa premiere femme, avec lequel elle vesquit 12. ans à la Cour des Archiducs Albert et Isabelle, jusques au 20. de Fevrier 1618. que ce bon Prince fort Catholique deceda à Brusselle Chrestiennement, aprés avoir receu ses Sacremens avec ferveur, entre les mains du Reverend Pere Jaques Bremant, Theologien de l'Ordre des Minimes. Eleonor de Bourbon sa veuve ne le survescut qu'onze mois: car elle mourut le 20. de Janvier 1619. au Chasteau de Muret en Picardie, estant aagée environ de 32. ans.
Monseigneur Henry de Bourbon II. du nom, et troisiéme Prince de Condé, Duc d'Anguien, de Chasteauroux, et de Montmorency, premier Prince du Sang, premier Pair, et Grand-Maistre de France, Gouverneur pour le Roy és Provinces de Bourgongne et de Berry, Prince tres-necessaire à l'Estat (qui durant les guerres des Religionnaires rebelles, [372] leur a osté Sancerre, Pamiers, et autres villes et bonnes places qui avoient soustenu des sieges contre des armées Royales) né posthume à Saint Jean d'Angely, le premier de Septembre 1588. auquel le Roy Henry le Grand donna son nom quand il fut baptisé au méme lieu, le 20. de Juin 1592. qu'il fit venir en sa Cour l'an 1595. estant âgé de sept ans, l'ayant retiré accortement des mains de Jean de la Mothe Beaucourt, Seigneur de Sainte Mesme et des Religionnaires. Il le deputa l'année suivante 1596. pour recevoir au nom de sa Majesté, le Cardinal de Medicis ou de Florence Legat à latere en ce Royaume, et le pourveut l'an 1598. aprés la mort du Mareschal de Matignon, du Gouvernement de Guyenne, le maria l'an 1609. avec la tres-belle Princesse Charlote-Marguerite de Montmorency, fille d'Henry Duc de Montmorency, Pair et Connestable de France, Gouverneur et Lieutenant general pour sa Majesté en Languedoc, et de Louise de Budos sa seconde femme. Mariage heureux, car de cette alliance sont sortis trois enfans, une fille, et deux fils, sçavoir,
Monseigneur Louys de Bourbon, Duc d'Anguien, Gouverneur pour le Roy és Provinces de Champagne et de Brie, qui a un enfant Monseigneur Henry-Jules de Bourbon, Duc d'Albret. Il suffit de dire de ce Prince que c'est l'honneur et la gloire des François, la terreur des Alemans, des Flamans, et des Espagnols, et si l'on y veut encore adjouster une louange qui flatta toutes les peines de Scipion, que l'on surnomma l'Africain; on pourra dire au lieu de Louys de Bourbon, Louys de Rocroy, de Thionville, de Philipsbourg, et en un mot le Germanic et l'Incomparable de nostre siecle.
Monseigneur Armand de Bourbon Prince de Conty, qui promet par ses commencemens prodigieux d'esprit, d'estre aussi necessaire à l'Estat que Monseigneur son pere, et d'estendre nos frontieres.
M.[Marie] Anne de Bourbon, Duchesse de Longueville, de qui la beauté et la vertu sont à l'égal de sa naissance.
Il y a en toutes les vies des Princes et des Princesses, comme en la musique des notes blanches et noires, des journées [373] heureuses et malheureuses, et en celles-cy les faveurs et les traverses paroissent à leur tour. Entre celles-là on remarque l'heureuse naissance de Monseigneur le Prince son fils unique, le 1. de Septembre de l'an 1588. La satisfaction et le contentement qu'elle receut quand le Grand Henry fit venir ses deux enfans en sa Cour, et que sa Majesté voulut prendre elle-mesme le soin de les faire bien instruire en la vraye et ancienne Religion, et aussi aux bonnes moeurs, avec un zele pareil à celuy du Roy Louys XII. envers François Comte d'Angoulesme (qui depuis a esté le Grand Roy François) et sa soeur Marguerite de Valois ou d'Angoulesme (depuis Reine de Navarre, et Duchesse d'Alençon) les deux enfans de Charles Comte d'Angoulesme, cousin germain de ce bon Roy, comme Henry I. du nom, et 2. Prince de Condé, pere de Monseigneur le Prince, et de feue Madame la Princesse d'Orenge, estoit le cousin germain de sa Majesté. La joye qu'elle receut quand ce grand Monarque maria l'an 1606. sa fille Eleonor de Bourbon, au Prince d'Orenge, et Henry de Bourbon son fils unique l'an 1609. à Mademoiselle de Montmorency, qui paroissoit dans la Cour de ce Prince, comme un nouvel astre de beauté, qui estoit l'admiration de tout le monde. Lors qu'elle vit revenir le Prince de ses voyages du Pays bas et d'Italie, assister au Sacre et Couronnement du Roy Louys XIII. le 18. d'Octobre de l'an 1610. et representer en cette Royale ceremonie le Duc de Bourgongne, le Doyen des anciens Pairs de France: et le lendemain recevoir l'honneur d'estre fait le premier Chevalier de sa main Royale, comme il estoit le premier Prince du Sang. Lors qu'elle le vit sortir de prison où il avoit esté detenu trois ans et deux mois, et qu'elle luy vit naistre une fille Mademoiselle de Bourbon, à present Madame la Duchesse de Longueville, et un fils Monseigneur le Duc d'Anguien.
Entre les accidens malheureux, on compte sa detention à saint Jean d'Angely par les Religionnaires. Lors que Monsieur le Prince se déroba de la Cour, et sortit de France sur la fin de l'an 1609. passa en Flandre en la Cour des Archiducs, y emmena la Princesse sa femme où il la laissa, et de là passa les monts l'an 1610. et s'arresta à Milan prés du Comte [374] de Fuentes qui en estoit Gouverneur. Quand il fut arresté prisonnier au Louvre le 1. jour de Septembre de l'an 1616. et quelques jours aprés conduit à la Bastille, et de là au Chasteau de Vincennes, où il perdit trois Princes, dont Madame la Princesse sa femme accoucha avant terme.
Mais toutes ces disgraces et infortunes n'ont point eu le pouvoir d'abattre son courage. Sa vie a esté admirable en ses avantures, et l'issue en a esté fort Chrestienne, ce qui en doit rehausser grandement l'estime et la gloire. Elle a vécu 61. an, trois mois, et onze jours. Sur la fin de l'an 1596. elle embrassa sincerement la vraye Religion, comme rapportent nos Historiens modernes: mais Pierre Victor Palme Cahier, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, de la Maison de Navarre, a écrit en Latin et en François un beau discours sur la conversion de cette Princesse, qui abjura le Calvinisme, fit profession de la Religion Catholique, et fut receue au giron de l'Eglise par Alexandre Cardinal de Florence, Legat du Pape Clement VIII. et designé au Ciel pour estre aprés luy Vicaire de JESUS-CHRIST en terre.
J'ay appris de ce Docteur (que j'ay veu mourir Catholiquement au College de Navarre, quoy que les Calvinistes ayent écrit le contraire) que cette Princesse arriva à Rouen le 19. Decembre de l'an 1596. et qu'ayant presenté sa requeste au Legat, son Eminence la receut pour faire l'abjuration de l'heresie, qu'elle prononça d'une voix claire et intelligible en Latin et en François, le 26. de Decembre 1596. feste de saint Estienne premier Martyr, dans l'Eglise de Saint Michel, en presence des Cardinaux de Gondy, et de Givry: de François de Gonzague Evéque de Mantoue, Nonce du Pape en France: d'Antoine Grimani, Evéque de Torzello, et de François Scotti Evéque de Termules: d'Alexandre Juste, Chappelain de sa Sainteté, Auditeur de la Rote, et Regent de la Chancelerie de la Legation: de Jean-Jaques Adorno, et de Victor Ragazzoni, Referendaires de l'une et l'autre signature du Pape: d'Attilio Amaltei Dataire de la Legation: de Lazare Malvicin, Protenotaire Apostolique: d'Henry Duc de Montmorency, Connestable de France, et de Charles Seigneur de Danville son frere, oncles maternels [375] de la Princesse: de Charles-Robert de la Marck, de la Maison de Bouillon, et d'Henry Comte de la Marck son fils aisné, cousins de son Altesse: d'Horace Rucelay: de Pierre de Nero fils d'une soeur de Monsieur le Legat: du Seigneur de Boteon, de la Maison de Gadagne, Seneschal de Lyon, et Chevalier des Ordres Roy: de Hierôme de Gondy, Patrice Florentin, et d'un grand nombre d'autres Seigneurs et Prelats. Le lendemain la Princesse estant indisposée ne pût pas sortir de son Hostel, mais le 28. feste des saints Innocens, elle alla à l'Eglise de Nostre-Dame, estant suivie de la Connestable de Montmorency, de l'Amirale de Damville, et d'autres Dames de haute naissance, ouïr la Messe du Pere Joseph Texera Portugais, Theologien de l'Ordre de Saint Dominique, son Confesseur; ce qu'elle continua de faire jusques au 9. de Janvier de l'an 1597. qu'elle ouit la Messe de Monsieur le Legat dans la mesme Eglise Metropolitaine, où elle receut devotement le tres-saint Sacrement des mains de son Eminence, aprés s'estre confessée au méme Pere Texera (qui avoit esté aussi Confesseur et Aumosnier d'Antoine Roy de Portugal, et qui a écrit les Genealogies des Maisons de Bourbon, de Portugal, et de la Tremoille) en presence des mesmes Prelats et Seigneurs que j'ay nommez cy-dessus: et aussi d'Henry de Bourbon Duc de Montpensier, Gouverneur de Normandie: des Duchesses de Nemours et de Guyse: de la Connestable, et de l'Amirale: de Gilbert de la Tremoille, Marquis de Royan, et cousin de son Altesse: du Commandeur de Chates, Vice-Amiral de France: de plusieurs autres Seigneurs et Dames de qualité, et d'un nombre infini de peuple qui fit paroistre la joye qu'il recevoit de voir cette action. Aprés la Messe le Legat traita splendidement en son Hostel la Princesse, et les autres Princesses et Dames. Les graces dites, on apporta quantité de Chasteaux, et autres gentillesses faites de sucre, que la compagnie ayant voulu rompre, il en sortit de petits oyseaux et lapins de diverses couleurs, qui avoient des sonnetes d'argent pendues à leur col, ce qui donna un plaisant divertissement à tout le monde.
Ce Docteur aprés avoir décrit les ceremonies qui furent [376] observées à la conversion de la Princesse, rapporte les lettres qu'elle écrivit de Paris le 10. de Mars de l'an 1597. au Pape Clement VIII. et la réponse de sa Sainteté à cette Princesse, dattée du dernier May de la méme année, et la sixiéme de son Pontificat, à saint Pierre sous l'anneau du Pescheur, et signée par Sylvio Antoniano, qui depuis a esté Cardinal.
Charlote-Caterine de la Tremoille ayant embrassé cordialement la Religion Catholique, plusieurs de ses domestiques suivirent son exemple, estans bien instruits en la Foy par deux Seigneurs que le Roy Henry le Grand avoit donnez pour Directeurs de la jeunesse de Monseigneur le Prince; Jean Marquis de Pizany, de la Maison de Vivone son Gouverneur, un Heros accomply en toutes perfections (9), tres-Catholique et tres-fidele serviteur de nos Rois, dont il a donné de bonnes preuves, estant Ambassadeur pour leurs Majestez en Espagne et en Italie; et Nicolas le Fevre son Precepteur, personnage auquel la probité et la doctrine disputoient en luy la preeminence, selon le témoignage des plus illustres Ecrivains de ce siecle (10).
Ayant profité par la conference avec ces grands hommes, desquels le nom est en veneration parmy les gens de bien, elle s'adonna à plusieurs exercices dignes d'une Princesse Catholique (11), à delivrer plusieurs prisonniers qui estoient detenus pour leurs debtes, à soulager les pauvres honteux, qui par disgrace estoient reduits en necessité, et aussi les malades des Hospitaux, à visiter les Eglises et les Monasteres des Religieux et des Religieuses qu'elle a assisté de ses liberalitez, particulierement ceux des filles qu'elle a fort cheries et honorées, sur toutes celles de sainte Claire du devot Monastere de l'Ave Maria, qu'elle a tousjours respectées pour leur sainte vie, et porté une affection tres-particuliere, et a voulu recevoir les honneurs de la sepulture en leur Eglise, pour avoir part en leurs oraisons et prieres.
Sa liberalité et bien-veillance n'a pas paru seulement aux Eglises et aux Convents de la ville de Paris; mais aussi en plusieurs autres de ce Royaume, et mesme des pays étrangers, où elle a envoyé des presens dignes de sa pieté, particu-[377]lierement à celles où l'on honore quelque Image miraculeuse de la Mere de Dieu. Le docte Jean Jaques Chifflet, Medecin de feu l'Infante, n'a pas oublié en son Histoire des saints Suaires de Nostre Seigneur, de remarquer comme elle a visité en personne celuy de Besançon, et y a porté ses voeux.
Le devot Convent de l'Annonciade des Minimes de Bommiers, fondé l'an 1507. par Jaques de la Tremoille, Seigneur de Mauleon et de Bommiers, troisiéme fils de Louis I. Seigneur de la Tremoille, frere de Louis II. du nom Comte de Guines et de Benon, et Avoye de Chabanes sa femme, reconnoist pour ses seconds Fondateurs Monseigneur le Prince, et cette Princesse sa mere.
Elle sejourna quelque temps à Avignon, où plusieurs Maisons de Religion se sont ressenties de ses liberalitez: Cette Princesse voyant que les Eglises et les Monasteres sont comme les colombiers où les belles ames, comme les pigeons habitent et se logent, desireuse de donner des aziles et des lieux de retraite et de refuge, a fait recevoir dans ces Maisons de pieté plusieurs filles et Demoiselles. Soeur Juliane Morelle, Espagnole, native de Barcelonne, qui parle et écrit fort bien en Hebreu, en Grec, en Latin, en François, en Italien, et en Espagnol, et qui a soustenu des Theses de Philosophie à Lyon, à l'aage de douze ans, et qui à 23. a fait de doctes et de pieuses annotations et remarques sur le traité de la Vie spirituelle de saint Vincent Ferrier, qu'elle a dedié à la Reyne l'an 1617. écrit à sa Majesté avoir esté receue au Monastere de sainte Praxede d'Avignon, de l'Ordre de sainte Caterine de Sienne à l'âge de 14. ans, par la faveur de cette Princesse, qui se plaisoit fort en cette belle ville, et au Comtat de Venisse; c'est pourquoy le sieur de Malherbe luy adressa ce Sonnet.

Quoy donc, grande Princesse en la terre adorée,

Et que mesme le Ciel est contraint d'admirer,
Vous avez resolu de nous voir demeurer
En une obscurité d'eternelle durée?
La flamme de vos yeux, dont la Cour éclairée,
A vos rares vertus ne peut rien preferer,
[378] Ne se lasse donc point de nous desesperer,
Et d'abuser les voeux dont elle est desirée?
Vous estes en des lieux où les champs tousjours vers;
Pource qu'ils n'ont jamais que de tiedes hyvers,
Semblent en apparence avoir quelque merite.
Mais si c'est pour cela que vous causez nos pleurs,
Comme faites-vous cas de chose si petite,
Vous qui de chaque pas fait naistre mille fleurs?

Elle a receu de grands honneurs à la Cour, particulierement au Baptéme du Roy Louis XIII. et de ses soeurs, au Sacre et Couronnement de la Reyne Marie de Medicis, et en d'autres ceremonies. Plusieurs livres luy ont esté dediez par plusieurs sçavans hommes, eminens en pieté ou en doctrine, qui est un témoignage de son affection envers les pieux, ou vers les plus chers nourrissons des Muses. Elle a aussi élevé aux écholes de la Theologie plusieurs Docteurs, tant seculiers que reguliers, qui luy ont presenté leurs Theses.
Cette Princesse estant munie de tous les Sacremens, passa de cette vie à l'autre, le 28. d'Aoust de l'an 1629. dans le petit Hostel de Condé à Paris, au grand regret des siens, sur tous de Monseigneur le Prince son fils unique, qui en ayant appris la nouvelle à Pougues, que luy apporta Roland Hebert Archevéque de Bourges, il quitta l'usage des eaux, et se retira à Bourges, où il receut les condoleances du Roy Louys XIII. et des Reines femme et mere de sa Majesté, et de tous les plus grands de la Cour, qui luy furent faites en cette occasion: en laquelle aprés avoir témoigné ses ressentimens en ce funeste accident convenables à la bonté de son naturel, et au devoir d'un fils tres-affectionné envers une tres-bonne mere, il luy fit rendre les honneurs qu'il devoit à sa memoire, et celebrer un Service fort solemnel en la belle Eglise de Saint Estiene de Bourges, auquel l'Office ayant esté fait par le méme Archevéque, le sieur Hebert Doyen de cette Eglise Metropolitaine, et Docteur de Sorbonne, fit une eloquente Oraison funebre en l'honneur de la Princesse. L'affection particuliere qu'avoit son Altesse de rendre tous les honneurs deus à une si illustre Dame, ne luy permit pas [379] d'en demeurer à ce qui s'estoit fait à Bourges; mais encore il donna commandement en méme temps que toutes les ceremonies que l'on a de coustume de pratiquer aux funerailles des Princesses de cette condition là fussent faites à Paris en son Hostel, jusques aux obseques solemnelles, où il assisteroit en personne.
Il y a des relations imprimées ausquelles les curieux pourront avoir recours, pour apprendre toutes les particularitez des ceremonies qui furent observées quand son corps fut mis au lit dans lequel elle estoit decedée, estant habillée et coiffée de la mesme façon qu'elle estoit en sa maladie, les mains jointes tenant une Croix: Sa chambre tendue de méme ameublement qu'elle l'estoit de son vivant. Les Autels qui furent dressez dans sa chambre pour dire des Messes pour le repos de son ame. Les Princes, les Princesses, les Seigneurs, et les Dames qui luy furent donner de l'eau beniste. Les honneurs qui luy furent rendus dans la grande salle de l'Hostel de Condé, qui estoit tapissée d'une riche tapisserie de velours rouge en broderie d'or, en laquelle le cercueil où estoit son corps, et la boëtteboette où estoit son coeur furent apportez la nuit du 20. de Septembre, et mis sous un lit de bois, au dessus duquel estoit un riche dais aussi en broderie, auquel estoient neuf escussons aux armes my-parties de feu Monsieur le Prince de Condé et de la Princesse. L'effigie de la Princesse richement revestue, entre autres d'un manteau de velours violet cramoisy de cinq aulnes, fourré d'hermines, orné de deux rangs de fleurs de Lys en broderie d'or, avec des bastons de gueules de trois en trois fleurs de Lys, et une Couronne d'or sur sa teste, n'y ayant point d'autres fleurons que des fleurs de Lys.
L'effigie ayant esté servie selon la coustume des pompes funebres des Princes et des Princesses par l'espace de trois jours, durant lesquels plusieurs visites furent faites de Princes, de Princesses, de Cardinaux, de Prelats, de Ducs et Pairs, de Mareschaux de France, d'Officiers de la Couronne et autres; la Princesse de Conty vint donner de l'eau beniste le Samedy au soir 22. de Septembre, de la part de la Reine mere du Roy Louis XIII. accompagnée de plusieurs Dames [380] de qualité, où elle fut receue à la sortie de son carosse par le Lieutenant des ceremonies, Roy d'armes, Heraux, et Gentils-hommes, et par Mademoiselle de Bourbon (aujourd'huy Madame la Duchesse de Longueville) à la porte de la salle, entrant dans le balustre. Une demie heure aprés la Princesse de Conty y retourna de la part de la Reine, et fut receue en la mesme ceremonie, reservé que la garniture du prié-Dieu de velours noir fut ostée, et une de velours rouge mise en la place.
Sur les sept heures du soir, le peuple estant retiré, le corps fut porté à l'Eglise des Peres Cordeliers en grande pompe et magnificence, où il fut presenté par le Curé de saint Sulpice au Pere Gardien du Convent, qui estoit accompagné de 300. Religieux tenans tous en main un cierge de cire blanche. Le 26. d'Octobre fut fait le grand Service en l'Eglise de ces Peres là, où Monsieur l'Archevéque de Paris celebra la Messe, estant suivy de sa Musique, auquel assista Monseigneur le Prince qui fut conduit par feu Monseigneur le Comte de Soissons. Philippe Cospean Evéque de Nantes, maintenant de Lizieux prononça l'Oraison funebre à ces obseques, ausquelles assisterent Messieurs de la Cour de Parlement, de la Chambre des Comptes, de la Cour des Aydes, le Prevost des Marchans, et les Eschevins de la ville de Paris, les Recteur et Supposts de l'Université (12).
Et le méme jour 26. d'Octobre sur les sept heures du soir, fut transporté le corps de cette Princesse en l'Eglise des Religieuses de l'Ave-Maria, au méme ordre qu'il avoit esté porté de l'Hostel de Condé en l'Eglise des Peres Cordeliers. Là elle a esté inhumée dans la belle Chappelle que Monseigneur le Prince a fait construire à sa memoire, et dresser un beau monument de marbre noir et de bronze, accompagné de son urne, sur laquelle est sa figure de marbre blanc priante à genoux, avec cet epitaphe en Latin, que je mettray icy en François, en faveur de ceux qui n'ont pas la connoissance de la langue Romaine.

[colonne gauche]
A la memoire de tres-illustre Princesse Charlote-Caterine de la Tremoille, femme d'Henry [381] de Bourbon Prince de Condé, et mere d'Henry I. Prince du Sang, laquelle a surmonté la grandeur de la fortune par celle de son courage, et son inconstance par la fermeté et constance de son esprit: Et aprés avoir vertueusement vécu, elle est trespassée à Paris le 29. D'Aoust l'an 1629. Et n'ayant jamais craint la sortie de cette vie, a commencé à revivre par sa mort. Elle a vescu 61. an, trois mois, et onze jours.
Henry de Bourbon son fils a fait dresser cet epitaphe à sa tres-bonne mere.

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Aeternae memoriae illustrissimae Carlotae Catharinae Trimolliae Henrici Borbonii Con-[381]daei Principis conjugi, Henrici primarii è Regio stemmate Principis matri, quae fortunae amplitudinem vicit animi magnitudine, varietatem constantia peraequavit: ea denique post aetatem piè ac laudabiliter exactam apud Lutetiam Parisiorum, vivere desiit anno M. DC. XXIX. Augusti die XXIX. Imò cujus nullum exitum timeret vivendi initium habuit. vixit annos LXI. menses tres dies XI.
Matri optimae Henricus Borbonius filius.

(1) Henry de Bourbon, Prince de Condé, mary de Charlote de la Tremoille, portoit écartelé de Bourbon et d'Alençon. Mais Henry Prince de Condé, son fils estant le premier Prince du Sang, porte les pleines armes de Bourbon, d'azur à 3. fleurs de lys d'or, à la bande ou au baston, ou au filet de gueules pery en bande, Geliot dit au baston de gueules mis en abisme. La Tremoille ou la Trimouille, d'or, au chevron de gueules, accompagné de trois Aigles d'azur, becquez et membrez de gueules.
(2) Thouars, d'or semé de fleurs de Lys d'azur, au franc quartier de gueules.
(3) Laval, d'or à la Croix de gueules chargé de 5. coquilles d'argent, cantonnée ou accompagnée de 16. alerions d'azur.
(4) Joseph Texera.
(5) Cette Princesse portoit cinq quartiers de la Trimouille, de Bourbon, d'Orleans, de France, et de Milan, soustenus d'autres cinq d'Aragon-Sicile, de Thouars, de Laval, et d'Amboise.
(6) Davila.
(7) Joseph Texera in Elogio Carolotae.
(8) Espinay en Normandie, d'argent au chevron d'azur chargé de dix besans d'or.
(9) Thuanus. Peleus. J. A. de Baif. Aubigné.
(10) C. Baronius. C. du Perron. J. Sirmondus. Thuanus. Balbus. Pithaeus. Jean de saint François.
(11) Joseph Texera in Epitome rerum ab Henrici Protoprincipis Majoribus gestarum.
(12) Son coeur aprés avoir reposé quelques jours à l'Ave Maria, a esté porté à Valeri prés du corps de Monsieur le Prince de Condé son mary.

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