Aliénor d'Aquitaine : Différence entre versions
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− | == Notice de [[Madeleine Jeay]] 2011 == | + | == Notice de [[Madeleine Jeay]], 2011 == |
− | Née entre 1122 et 1124, fille de Guillaume X d’Aquitaine et d’Aénor de Châtellerault, petite-fille du troubadour Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, Aliénor hérite de ces territoires en 1137. La même année, le 25 juillet, elle épouse Louis, fils de Louis VI, qui devient roi en octobre. Sa dot fait progresser d’un quart le royaume de France. Bien qu’ils aient deux filles, Marie (1145-1198) et Alix (1150-1121), l’absence d’héritier mâle est une source de tensions entre les époux. Celles-ci s’aggravent pendant la deuxième croisade (1147-1149), où Aliénor accompagne Louis VII, pour aboutir à l’annulation de leur mariage le 21 mars 1152. À nouveau maîtresse de sa dot, elle épouse dès le 18 mai Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, puis roi d’Angleterre en 1154. Ils auront huit enfants dont Richard Cœur de Lion (1157-1199) et Jean sans Terre (1167-1216). Malgré les limitations qu’imposent ses nombreuses grossesses, Aliénor semble avoir joué un rôle de conseillère auprès d’Henri, plus jeune qu’elle d’une dizaine d’années, qui doit partager l’administration de ses territoires entre l’Angleterre et le continent. En 1168, après la naissance de Jean, Aliénor s’établit à Poitiers, où elle préside à la reconstruction du Grand Hall du palais ducal. Dès lors ses actions sont en grande partie déterminées par la volonté d’assurer ses droits sur l’Aquitaine. À partir de 1173, elle s’allie avec ses fils en révolte contre la politique de centralisation du pouvoir de leur père, ce qui aboutit à sa captivité à Chinon puis à Salisbury où Henri II la détiendra en liberté surveillée pendant quinze ans. Elle est libérée en 1189 à la mort du roi, quand Richard hérite du royaume. Les quinze dernières années de sa vie sont les plus intenses de son activité politique. Elle administre l’Angleterre pendant que Richard assure son autorité sur les territoires continentaux et lors de son séjour en Terre Sainte. Après la capture de celui-ci en septembre 1192 à son retour de croisade, elle défend l’empire Plantagenêt contre les menées de Jean sans Terre et rassemble la rançon pour sa libération. À la mort de Richard, sans enfant légitime, en 1199, elle s’active en faveur de son fils Jean contre les visées de son petit-fils Arthur de Bretagne. Elle se retire à l’abbaye de Fontevraud en 1202 où elle fait exécuter les gisants d’Henri II, de Richard Cœur de Lion et le sien. Elle y meurt le 31 mai ou le 1er avril 1204, après avoir appris la conquête de la Normandie par le roi de France Philippe Auguste. | + | Née entre 1122 et 1124, fille de Guillaume X d’Aquitaine et d’Aénor de Châtellerault, petite-fille du troubadour Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, Aliénor hérite de ces territoires en 1137. La même année, le 25 juillet, elle épouse Louis, fils de Louis VI, qui devient roi en octobre. Sa dot fait progresser d’un quart le royaume de France. Bien qu’ils aient deux filles, Marie (1145-1198) et Alix (1150-1121), l’absence d’héritier mâle est une source de tensions entre les époux. Celles-ci s’aggravent pendant la deuxième croisade (1147-1149), où Aliénor accompagne Louis VII, pour aboutir à l’annulation de leur mariage le 21 mars 1152. À nouveau maîtresse de sa dot, elle épouse dès le 18 mai Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, puis roi d’Angleterre en 1154. Ils auront huit enfants dont Richard Cœur de Lion (1157-1199) et Jean sans Terre (1167-1216). Malgré les limitations qu’imposent ses nombreuses grossesses, Aliénor semble avoir joué un rôle de conseillère auprès d’Henri, plus jeune qu’elle d’une dizaine d’années, qui doit partager l’administration de ses territoires entre l’Angleterre et le continent. En 1168, après la naissance de Jean, Aliénor s’établit à Poitiers, où elle préside à la reconstruction du Grand Hall du palais ducal. Dès lors ses actions sont en grande partie déterminées par la volonté d’assurer ses droits sur l’Aquitaine. À partir de 1173, elle s’allie avec ses fils en révolte contre la politique de centralisation du pouvoir de leur père, ce qui aboutit à sa captivité à Chinon puis à Salisbury où Henri II la détiendra en liberté surveillée pendant quinze ans. Elle est libérée en 1189 à la mort du roi, quand Richard hérite du royaume. Les quinze dernières années de sa vie sont les plus intenses de son activité politique. Elle administre l’Angleterre pendant que Richard assure son autorité sur les territoires continentaux et lors de son séjour en Terre Sainte. Après la capture de celui-ci en septembre 1192 à son retour de croisade, elle défend l’empire Plantagenêt contre les menées de Jean sans Terre et rassemble la rançon pour sa libération. À la mort de Richard, sans enfant légitime, en 1199, elle s’active en faveur de son fils Jean contre les visées de son petit-fils Arthur de Bretagne. Elle se retire à l’abbaye de Fontevraud en 1202 où elle fait exécuter les gisants d’Henri II, de Richard Cœur de Lion et le sien. Elle y meurt le 31 mai ou le 1er avril 1204, après avoir appris la conquête de la Normandie par le roi de France Philippe Auguste. |
− | Aliénor d’Aquitaine a fait, dès son vivant, l’objet d’une légende noire, liée à sa forte personnalité et aux enjeux que représentait sa puissance territoriale. Sa répudiation, désastreuse pour le royaume de France, comme les divisions internes à la famille royale anglaise ont conduit certains de ses contemporains à l’accuser de divers adultères, et les chroniqueurs des époques suivantes à poursuivre l’entreprise. Elle aurait trompé Louis d’abord en Terre Sainte, avec son oncle paternel Raymond de Poitiers, avec Saladin, pourtant alors âgé d’une dizaine d’années, puis avec Geoffroi d’Anjou, le père d’Henri son futur époux, et avec Bernard de Ventadour. Sa mauvaise conduite aurait été la cause de son «infécondité», de l’échec de son premier mariage et même de la croisade. Elle aurait aussi trompé Henri II: son impudicité expliquerait les dissensions entre Henri et ses fils qu’elle aurait attisées. On est allé jusqu’à la rendre responsable de la mort de la maîtresse d’Henri II, Rosemonde Clifford. Les historiens des siècles suivants, jusqu’au XXe siècle, ont souvent repris ces accusations, dont beaucoup sont aujourd’hui remises en cause. D’un autre côté, on a mis en valeur son influence sur la production littéraire, comme inspiratrice et comme protectrice des artistes et des écrivains. Sous le pseudonyme d’Aziman, Bernard de Ventadour lui consacre pourtant plusieurs chansons, Wace lui dédicace le Roman de Brut et fait son éloge dans la dédicace du Roman de Rou, de même que Benoît de Sainte-Maure dans le Roman de Troie; Philippe de Thaon lui dédie une copie de son Bestiaire. On peut aussi se demander si elle n’aurait pas inspiré Marie de France ou Chrétien de Troyes pour le personnage de la reine Guenièvre. Dans son Traité de l’amour courtois, André le Chapelain lui attribue plusieurs jugements d’amour qui affirment avec force la doctrine courtoise de l’amour en dehors du mariage. | + | Aliénor d’Aquitaine a fait, dès son vivant, l’objet d’une légende noire, liée à sa forte personnalité et aux enjeux que représentait sa puissance territoriale. Sa répudiation, désastreuse pour le royaume de France, comme les divisions internes à la famille royale anglaise ont conduit certains de ses contemporains à l’accuser de divers adultères, et les chroniqueurs des époques suivantes à poursuivre l’entreprise. Elle aurait trompé Louis d’abord en Terre Sainte, avec son oncle paternel Raymond de Poitiers, avec Saladin, pourtant alors âgé d’une dizaine d’années, puis avec Geoffroi d’Anjou, le père d’Henri son futur époux, et avec Bernard de Ventadour. Sa mauvaise conduite aurait été la cause de son «infécondité», de l’échec de son premier mariage et même de la croisade. Elle aurait aussi trompé Henri II: son impudicité expliquerait les dissensions entre Henri et ses fils qu’elle aurait attisées. On est allé jusqu’à la rendre responsable de la mort de la maîtresse d’Henri II, Rosemonde Clifford. Les historiens des siècles suivants, jusqu’au XXe siècle, ont souvent repris ces accusations, dont beaucoup sont aujourd’hui remises en cause. D’un autre côté, on a mis en valeur son influence sur la production littéraire, comme inspiratrice et comme protectrice des artistes et des écrivains. Sous le pseudonyme d’Aziman, Bernard de Ventadour lui consacre pourtant plusieurs chansons, Wace lui dédicace le ''Roman de Brut'' et fait son éloge dans la dédicace du ''Roman de Rou'', de même que Benoît de Sainte-Maure dans le ''Roman de Troie''; Philippe de Thaon lui dédie une copie de son ''Bestiaire''. On peut aussi se demander si elle n’aurait pas inspiré Marie de France ou Chrétien de Troyes pour le personnage de la reine Guenièvre. Dans son ''Traité de l’amour courtois'', André le Chapelain lui attribue plusieurs jugements d’amour qui affirment avec force la doctrine courtoise de l’amour en dehors du mariage. |
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== Choix bibliographique == | == Choix bibliographique == | ||
− | + | * ''Cahiers de civilisation médiévale'', 29, 1986 et 37, 1994.<br /> | |
− | + | * Aurell, Martin (éd.), ''Culture politique des Plantagenêt (1154-1224)'', Poitiers, Université de Poitiers, 2003.<br /> | |
− | + | * Aurell, Martin et Noël-Yves Tonnerre (éds.), ''Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages'', Turnhout, Brepols, 2006.<br /> | |
− | + | * Aurell, Martin et al., «Aliénor d’Aquitaine», ''Revue 303, arts, recherches et créations'', 2004.<br /> | |
− | + | * Flori, Jean, ''Aliénor d’Aquitaine. La reine insoumise'', Paris, Payot, 2004. | |
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+ | == Choix iconographique == | ||
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+ | * XIIe s.: Aliénor d’Aquitaine représentée en donatrice, Vitrail de la Crucifixion de saint Pierre, Poitiers, cathédrale Saint-Pierre -- [http://www.catho-poitiers-centre.fr/dossiers/dossiers.php?val=178_vitrail+crucifixion].<br/> | ||
+ | * XIIe s.: Aliénor d’Aquitaine, peinture murale, chapelle Sainte-Radegonde, Chinon.<br/> | ||
+ | * XIIIe s.: Gisant d’Aliénor d’Aquitaine, Abbaye de Fontevraud (Département du Maine-et-Loire) -- [http://cliophoto.clionautes.org/picture.php?/2489/category/416]. | ||
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+ | == Choix électronique == | ||
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+ | * Site consacré à Aliénor d’Aquitaine avec une riche bibliographie: [http://www.alienor-aquitaine.org] <br/> | ||
+ | * Site anglo-saxon consacré à Aliénor d’Aquitaine: [http://www.the-orb.net/bibliographies/eleanor.html] | ||
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+ | == Jugements == | ||
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+ | * Guillaume de Tyr (fin XIIe s.): «Dès que Raymond vit qu’il n’aboutissait à rien, il changea de propos et se mit ouvertement à tendre des embûches au roi. Il se proposa en effet d’enlever, soit de force, soit par d’obscures intrigues, l’épouse de celui-ci, laquelle y consentait: elle était du nombre des femmes folles. Oui, dis-je, c’était une femme inconsidérée, ainsi qu’elle le manifesta avant et après cela de façon évidente ; contrairement à la dignité royale, elle fit peu de cas des lois du mariage et elle oublia le lit conjugal» (Marie-Aline de Mascureau, «La légende noire d’Aliénor d’Aquitaine», ''Revue 303'', 81, 2004, p.210).<br/> | ||
+ | * Richard de Devizes (fin XIIe s.): «La reine Aliénor, une femme incomparable, belle et pudique, puissante et modeste, humble et éloquente, qualités qui sont très rarement réunies chez une femme» (J. Flori, ''Aliénor d’Aquitaine'', Voir ''supra'' Choix bibliographique, p.49).<br/> | ||
+ | * Gervais de Canterbury (fin XIIe s.): «Tandis que la reine Aliénor s’enfuyait, après avoir abandonné ses vêtements féminins, elle fut capturée et mise sous bonne garde. On disait en effet que tout cela [la révolte de ses fils] avait été fomenté par ses machinations et selon son conseil. Elle était en effet une femme très sage, de noble naissance, mais inconstante» (J. Flori, ''Aliénor d’Aquitaine'', Voir ''supra'' Choix bibliographique, p.153).<br/> | ||
+ | * Giraud le Cambrien (ca. 1215): «Le comte d’Anjou, Geoffroi, alors qu’il était sénéchal de France, avait abusé de la reine Aliénor. On dit qu’à plusieurs reprises, il interdit à son fils de la posséder, parce qu’elle était l’épouse de son seigneur et parce qu’il l’avait lui-même connue auparavant. Pour comble de ces énormités, le roi Henri, comme le veut la rumeur, osa salir cette soi-disant reine de France par une relation adultérine. Il l’enleva donc à son propre seigneur et s’unit à elle maritalement. Comment, je me demande, d’un tel mariage, pourrait-il naître une descendance heureuse ?» (Marie-Aline de Mascureau, «La légende noire d’Aliénor d’Aquitaine», ''Revue 303'', p.211).<br/> | ||
+ | * Étienne de Bourdon (1250-61): «J’ai entendu dire ceci: une reine de France désirait un maître nommé Gilbert de la Porrée ; elle le fit venir près d’elle et se jeta sur lui de la manière suivante: voyant qu’il avait de belles mains, elle lui dit en le prenant pas les mains: “Ô, comme ces doigts seraient dignes de presser mes flancs”» (J. Flori, ''Aliénor d’Aquitaine'', Voir ''supra'' Choix bibliographique, p.314).<br/> | ||
+ | * Jules Michelet (1869): «La jalouse Éléonore, passionnée et vindicative comme une femme du Midi, cultiva l’indocilité et l’impatience de ses fils, les dressa au parricide. […] Éléonore elle-même eut pour amant le père même d’Henri II, et les fils qu’elle avait d’Henri risquaient fort d’être les frères de leur père. […] La véritable Mélusine, mêlée de natures contradictoires, mère et fille d’une génération diabolique, c’est Éléonore de Guienne. Son mari la punit des rébellions de ses fils en la tenant prisonnière dans un château fort, elle qui lui avait donné tant d’État.» (''Histoire de France, Moyen Âge'' (1833), ''Œuvres complètes'', Paris, Flammarion, 1893, tome 2, p.292-294). | ||
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+ | [[Catégorie:Royauté, régence, exercice du pouvoir]] | ||
+ | [[Catégorie:Mécénat artistique]] | ||
+ | [[Catégorie:Activités politiques]] | ||
+ | [[Catégorie:Correspondance]] | ||
+ | [[Catégorie:Patronage religieux]] |
Version actuelle en date du 1 mars 2013 à 11:00
Aliénor d'Aquitaine | ||
Titre(s) | Duchesse d'Aquitaine Reine de France Reine d'Angleterre | |
---|---|---|
Conjoint(s) | Louis VII, roi de France Henri II Plantagenêt, roi d'Angleterre | |
Dénomination(s) | Eléonore de Guyenne Eléanore « l'autre Aénor » | |
Biographie | ||
Date de naissance | Vers 1122-1224 | |
Date de décès | 1204 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) |
Sommaire
Notice de Madeleine Jeay, 2011
Née entre 1122 et 1124, fille de Guillaume X d’Aquitaine et d’Aénor de Châtellerault, petite-fille du troubadour Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, Aliénor hérite de ces territoires en 1137. La même année, le 25 juillet, elle épouse Louis, fils de Louis VI, qui devient roi en octobre. Sa dot fait progresser d’un quart le royaume de France. Bien qu’ils aient deux filles, Marie (1145-1198) et Alix (1150-1121), l’absence d’héritier mâle est une source de tensions entre les époux. Celles-ci s’aggravent pendant la deuxième croisade (1147-1149), où Aliénor accompagne Louis VII, pour aboutir à l’annulation de leur mariage le 21 mars 1152. À nouveau maîtresse de sa dot, elle épouse dès le 18 mai Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc de Normandie, puis roi d’Angleterre en 1154. Ils auront huit enfants dont Richard Cœur de Lion (1157-1199) et Jean sans Terre (1167-1216). Malgré les limitations qu’imposent ses nombreuses grossesses, Aliénor semble avoir joué un rôle de conseillère auprès d’Henri, plus jeune qu’elle d’une dizaine d’années, qui doit partager l’administration de ses territoires entre l’Angleterre et le continent. En 1168, après la naissance de Jean, Aliénor s’établit à Poitiers, où elle préside à la reconstruction du Grand Hall du palais ducal. Dès lors ses actions sont en grande partie déterminées par la volonté d’assurer ses droits sur l’Aquitaine. À partir de 1173, elle s’allie avec ses fils en révolte contre la politique de centralisation du pouvoir de leur père, ce qui aboutit à sa captivité à Chinon puis à Salisbury où Henri II la détiendra en liberté surveillée pendant quinze ans. Elle est libérée en 1189 à la mort du roi, quand Richard hérite du royaume. Les quinze dernières années de sa vie sont les plus intenses de son activité politique. Elle administre l’Angleterre pendant que Richard assure son autorité sur les territoires continentaux et lors de son séjour en Terre Sainte. Après la capture de celui-ci en septembre 1192 à son retour de croisade, elle défend l’empire Plantagenêt contre les menées de Jean sans Terre et rassemble la rançon pour sa libération. À la mort de Richard, sans enfant légitime, en 1199, elle s’active en faveur de son fils Jean contre les visées de son petit-fils Arthur de Bretagne. Elle se retire à l’abbaye de Fontevraud en 1202 où elle fait exécuter les gisants d’Henri II, de Richard Cœur de Lion et le sien. Elle y meurt le 31 mai ou le 1er avril 1204, après avoir appris la conquête de la Normandie par le roi de France Philippe Auguste.
Aliénor d’Aquitaine a fait, dès son vivant, l’objet d’une légende noire, liée à sa forte personnalité et aux enjeux que représentait sa puissance territoriale. Sa répudiation, désastreuse pour le royaume de France, comme les divisions internes à la famille royale anglaise ont conduit certains de ses contemporains à l’accuser de divers adultères, et les chroniqueurs des époques suivantes à poursuivre l’entreprise. Elle aurait trompé Louis d’abord en Terre Sainte, avec son oncle paternel Raymond de Poitiers, avec Saladin, pourtant alors âgé d’une dizaine d’années, puis avec Geoffroi d’Anjou, le père d’Henri son futur époux, et avec Bernard de Ventadour. Sa mauvaise conduite aurait été la cause de son «infécondité», de l’échec de son premier mariage et même de la croisade. Elle aurait aussi trompé Henri II: son impudicité expliquerait les dissensions entre Henri et ses fils qu’elle aurait attisées. On est allé jusqu’à la rendre responsable de la mort de la maîtresse d’Henri II, Rosemonde Clifford. Les historiens des siècles suivants, jusqu’au XXe siècle, ont souvent repris ces accusations, dont beaucoup sont aujourd’hui remises en cause. D’un autre côté, on a mis en valeur son influence sur la production littéraire, comme inspiratrice et comme protectrice des artistes et des écrivains. Sous le pseudonyme d’Aziman, Bernard de Ventadour lui consacre pourtant plusieurs chansons, Wace lui dédicace le Roman de Brut et fait son éloge dans la dédicace du Roman de Rou, de même que Benoît de Sainte-Maure dans le Roman de Troie; Philippe de Thaon lui dédie une copie de son Bestiaire. On peut aussi se demander si elle n’aurait pas inspiré Marie de France ou Chrétien de Troyes pour le personnage de la reine Guenièvre. Dans son Traité de l’amour courtois, André le Chapelain lui attribue plusieurs jugements d’amour qui affirment avec force la doctrine courtoise de l’amour en dehors du mariage.
Choix bibliographique
- Cahiers de civilisation médiévale, 29, 1986 et 37, 1994.
- Aurell, Martin (éd.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1224), Poitiers, Université de Poitiers, 2003.
- Aurell, Martin et Noël-Yves Tonnerre (éds.), Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, Turnhout, Brepols, 2006.
- Aurell, Martin et al., «Aliénor d’Aquitaine», Revue 303, arts, recherches et créations, 2004.
- Flori, Jean, Aliénor d’Aquitaine. La reine insoumise, Paris, Payot, 2004.
Choix iconographique
- XIIe s.: Aliénor d’Aquitaine représentée en donatrice, Vitrail de la Crucifixion de saint Pierre, Poitiers, cathédrale Saint-Pierre -- [1].
- XIIe s.: Aliénor d’Aquitaine, peinture murale, chapelle Sainte-Radegonde, Chinon.
- XIIIe s.: Gisant d’Aliénor d’Aquitaine, Abbaye de Fontevraud (Département du Maine-et-Loire) -- [2].
Choix électronique
- Site consacré à Aliénor d’Aquitaine avec une riche bibliographie: [3]
- Site anglo-saxon consacré à Aliénor d’Aquitaine: [4]
Jugements
- Guillaume de Tyr (fin XIIe s.): «Dès que Raymond vit qu’il n’aboutissait à rien, il changea de propos et se mit ouvertement à tendre des embûches au roi. Il se proposa en effet d’enlever, soit de force, soit par d’obscures intrigues, l’épouse de celui-ci, laquelle y consentait: elle était du nombre des femmes folles. Oui, dis-je, c’était une femme inconsidérée, ainsi qu’elle le manifesta avant et après cela de façon évidente ; contrairement à la dignité royale, elle fit peu de cas des lois du mariage et elle oublia le lit conjugal» (Marie-Aline de Mascureau, «La légende noire d’Aliénor d’Aquitaine», Revue 303, 81, 2004, p.210).
- Richard de Devizes (fin XIIe s.): «La reine Aliénor, une femme incomparable, belle et pudique, puissante et modeste, humble et éloquente, qualités qui sont très rarement réunies chez une femme» (J. Flori, Aliénor d’Aquitaine, Voir supra Choix bibliographique, p.49).
- Gervais de Canterbury (fin XIIe s.): «Tandis que la reine Aliénor s’enfuyait, après avoir abandonné ses vêtements féminins, elle fut capturée et mise sous bonne garde. On disait en effet que tout cela [la révolte de ses fils] avait été fomenté par ses machinations et selon son conseil. Elle était en effet une femme très sage, de noble naissance, mais inconstante» (J. Flori, Aliénor d’Aquitaine, Voir supra Choix bibliographique, p.153).
- Giraud le Cambrien (ca. 1215): «Le comte d’Anjou, Geoffroi, alors qu’il était sénéchal de France, avait abusé de la reine Aliénor. On dit qu’à plusieurs reprises, il interdit à son fils de la posséder, parce qu’elle était l’épouse de son seigneur et parce qu’il l’avait lui-même connue auparavant. Pour comble de ces énormités, le roi Henri, comme le veut la rumeur, osa salir cette soi-disant reine de France par une relation adultérine. Il l’enleva donc à son propre seigneur et s’unit à elle maritalement. Comment, je me demande, d’un tel mariage, pourrait-il naître une descendance heureuse ?» (Marie-Aline de Mascureau, «La légende noire d’Aliénor d’Aquitaine», Revue 303, p.211).
- Étienne de Bourdon (1250-61): «J’ai entendu dire ceci: une reine de France désirait un maître nommé Gilbert de la Porrée ; elle le fit venir près d’elle et se jeta sur lui de la manière suivante: voyant qu’il avait de belles mains, elle lui dit en le prenant pas les mains: “Ô, comme ces doigts seraient dignes de presser mes flancs”» (J. Flori, Aliénor d’Aquitaine, Voir supra Choix bibliographique, p.314).
- Jules Michelet (1869): «La jalouse Éléonore, passionnée et vindicative comme une femme du Midi, cultiva l’indocilité et l’impatience de ses fils, les dressa au parricide. […] Éléonore elle-même eut pour amant le père même d’Henri II, et les fils qu’elle avait d’Henri risquaient fort d’être les frères de leur père. […] La véritable Mélusine, mêlée de natures contradictoires, mère et fille d’une génération diabolique, c’est Éléonore de Guienne. Son mari la punit des rébellions de ses fils en la tenant prisonnière dans un château fort, elle qui lui avait donné tant d’État.» (Histoire de France, Moyen Âge (1833), Œuvres complètes, Paris, Flammarion, 1893, tome 2, p.292-294).