Marguerite de Véni d'Arbouze/Hilarion de Coste : Différence entre versions

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(10) Roche-Chouart, ''selon Monsieur d'Hozier'', porte anté de six pieces de gueules, et d'argent: ''Monsieur de la Colombiere, et autres blazonnent'' de gueules, à trois fasces entées ou nebulées d'argent. Quelques-uns brisent celle du chef d'une ballete de sable.<br />
 
(10) Roche-Chouart, ''selon Monsieur d'Hozier'', porte anté de six pieces de gueules, et d'argent: ''Monsieur de la Colombiere, et autres blazonnent'' de gueules, à trois fasces entées ou nebulées d'argent. Quelques-uns brisent celle du chef d'une ballete de sable.<br />
 
(11) L'Autheur de sa vie rapporte des miracles que Dieu a fait par son intercession.<br />
 
(11) L'Autheur de sa vie rapporte des miracles que Dieu a fait par son intercession.<br />
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[[Catégorie:Dictionnaire Hilarion de Coste]]

Version actuelle en date du 20 mai 2011 à 19:47

[II,408] MARGUERITE DE VENI D'ARBOUZE, DITE DE SAINTE GERTRUDE, Abbesse de Nostre-Dame du Val de Grace (1).

JE croy estre obligé de faire l'Eloge de cette devote Abbesse, dont la memoire est en benediction pour sa pieté, qui l'a fait honorer durant sa vie et aprés son decés, par tous ceux qui ont eu le bon-heur de la connoistre.
L'Auvergne, Province fertile en bons esprits (comme j'ay remarqué en l'Eloge des Dames des Roches) a esté le païs natal de cette digne fille de saint Benoist et de sainte Scholastique, au Chasteau de Villemont, en la Parroisse de Venssot, au Diocese de Clermont le 15. Aoust, feste de l'Assomption de Nostre-Dame, de l'an 1583. Elle estoit alliée à plusieurs illustres Maisons; entre autres à celles d'Albon ou de Saint André, de Pinac, de Lux ou de Malain (2), du Prat (3), de Marillac, de la Volpiliere, et d'autres: Car elle estoit fille de Gilbert de Veni d'Arbouze, Chevalier, Seigneur de Villemont, Gentil-homme ordinaire de la Chambre du Roy Henry III. et Lieutenant de cent hommes d'armes, et de Jeanne de Pinac, fille de Pierre de Pinac, Chevalier, et Lieutenant pour le Roy en Bourgongne, et de Guicharde d'Albon, fille du sieur de Saint Forget.
Elle fut baptisée trois ans aprés sa naissance, et eut pour parrain son oncle Claude de Chavigny, dit de Blot, Chevalier de l'Ordre du Roy; et pour marraine sa tante maternelle Marguerite de Pinac, Dame de Luz en Bourgongne, soeur aisnée de sa mere. Ce fut en l'Eglise de Venssot qu'elle receut les ceremonies. Souvent elle remercioit Dieu de ce qu'il avoit pleu à sa divine Majesté, que Madame de Luz sa tante et sa marraine luy avoit donné le nom de Margue-[409]rite au Sacrement de Baptéme, tant pour la devotion qu'elle avoit à cette sainte Vierge et Martyre d'Antioche, qu'à plusieurs Princesses et Religieuses illustres en sainteté, qui ont porté ce mesme nom. Tous les ans, le jour de la feste de cette Vierge et Martyre, et és veilles de Pasques et de la Pentecoste, elle consideroit ces trois poincts: le 1. comme elle s'acquitoit de l'obligation qu'elle avoit de remercier Dieu, en tant qu'Autheur de la nature: le 2. comme elle estoit reconnoissante, ou ingrate de la grace qu'elle avoit receue au Baptéme: et le 3. quel souvenir, ou quelle oubliance elle avoit de l'estat de la gloire que Dieu garde à ceux qui le servent et l'ayment parfaitement. Ces trois points importants l'ont animée, non seulement ces trois jours, mais aussi tous les autres, durant lesquels elle a vécu comme les Anges dans son Cloistre.
Lors qu'on la porta du Chasteau de Villemont à l'Eglise de Vensot pour estre baptisée, l'on remarqua qu'elle ne voulut jamais estre portée par son parrain, mais par un homme qu'elle appelloit Dieu, disant, Je veux que Dieu me porte, et ne fut pas possible de la faire taire autrement: ce qui n'est rien consideré en soy, mais le peut estre pourtant comme un presage, que celuy qui soustient tout le monde, devoit porter cette fille à de saintes actions, et à un grand amour des choses divines. Elle en donna des marques dés sa plus tendre jeunesse, en laquelle elle s'adonna à la lecture des bons livres, et par les vertus qu'elle fit paroistre estant parfaitement obeissante à ses parens, et affectionnant cordialement les domestiques de sa maison, ausquels elle taschoit de complaire, ayant deslors une grande aversion des rapports et des mensonges.
Son pere estant decedé, elle fut mise de son consentement dans l'Abbaye de Saint Pierre de Lyon, qui est un Monastere de Benedictines, estant aagée de neuf ans, comme plusieurs jeunes Princesses ou filles de bonne Maison, ausquelles on a donné le voile dans l'Ordre de ce Patriarche des Ordres dés leurs plus jeunes ans, où elles ont plustost ignoré le monde qu'elles ne l'ont pas connu. En ce Convent renommé par l'Abbesse sainte Saleberge, elle y fit son [410] Noviciat et la Profession avec des sentimens et des desirs d'estre bonne Religieuse, et y véquit quelques années comme les autres, selon l'observance et les coustumes de ce Monastere là; jusques à ce qu'entendant par les predications du Reverend Pere de Lingendes, celebre Predicateur et Theologien de la Compagnie de JESUS, et du Reverend Pere Bernard Carme deschaussé, et d'autres serviteurs de Dieu (avec lesquels elle eut de particulieres conferences) l'obligation qu'elle avoit de tendre à la perfection Religieuse, elle prit resolution de garder tres-estroitement la Regle de saint Benoist; c'est pourquoy elle commença à quitter le linge, à faire des penitences tres-austeres, à lire des livres de devotion, et à frequenter plus souvent les Sacremens. Et mesme pour tendre à une plus grande perfection, elle desira quitter ce Monastere là, pour se retirer en quelque autre du mesme Ordre, où elle fust plus esloignée de ses parens, et entrer chez les Capucines ou les Carmelites, dont la vie sainte et exemplaire répand une bonne odeur, non seulement dans Paris, mais dans toute la France.
Dieu qui voyoit de toute eternité ce qu'elle devoit estre, et à quoy il l'avoit destinée, ne permit pas qu'elle fust receue par les Capucines, et les Carmelites; car ces Religieuses gardants exactement leurs Constitutions (qui defendent de ne recevoir point de filles qui ayent fait profession en un autre Ordre) ne la purent pas admettre en leurs saintes Familles. O Dieu (disoit-elle) que mes pechez sont grands, puisque tous les bons me refusent!
Il y a prés de Paris une Abbaye de Benedictines, qui est un Monastere venerable, non tant pour sa fondation Royale (4), que pour la sainteté du lieu, qui rend cette Maison et sa Montagne toute sainte, laquelle est le Sanir et l'Hermon de la France, l'Olympe du Parisis, le sejour, non des Muses, des Nymphes, et des Graces, mais des Vierges, et des Saintes. Marguerite d'Arbouze jetta ses yeux sur ce saint Mont pour y faire sa residence, comme le Sinai de sa Loy, le Moria de sa vision, et la Hierusalem de sa paix et de son repos. Trois choses l'obligerent à faire cette élection: La 1. la devotion vers saint Denys, le Patron de nos Rois, et ces Bienheureux [411] Compagnons saint Rustic et saint Eleuthere, et les autres saints Martyrs qui ont empourpré ce Mont de leur sang, pour n'y avoir pas voulu donner de l'encens aux idoles de Mars et de Mercure, que les Gaulois adoroient durant leur Paganisme: aussi cette Montagne est justement appellée le Mont des Martyrs. La 2. c'est la devotion qu'elle avoit aux dix premiers Peres de la Compagnie de JESUS; entre autres aux deux saints Ignace et François Xavier, et au Reverend Pere Pierre le Fevre, premier Prestre de cet Ordre, dont elle honoroit la memoire, qui celebra la Messe en la Chapelle des Martyrs le 15. d'Aoust, feste de l'Assomption de la Vierge de l'an 1534. et communia les autres, aprés avoir receu leurs voeux d'aller à la Terre sainte, et aux autres lieux porter l'Evangile de JESUS-CHRIST aux Barbares et aux Infidelles: Et la 3. et la principale estoit, que cette Maison estoit reformée, et qui répand aussi une bonne odeur dans Paris, et par toutes les Provinces de ce Royaume, depuis que Madame Marie de Beauvilier (qui a esté la premiere des Abbesses de France, laquelle a reformé des Monasteres depuis les guerres civiles) a eu la conduite de cette Maison dés l'aage de 23. ans qu'elle fut retirée de l'Abbaye de Beaumont prés de Tours, et qui a maintenant pour Coadjutrice une Princesse tres-pieuse et tres-illustre, qui a quitté une autre Abbaye tres-celebre, pour venir demeurer en cette sainte Montagne (5).
Ce fut en cette devote Maison que cette Religieuse fit un second Noviciat, et ensuite une seconde Profession en l'Ordre de saint Benoist, dans lequel ses vertus parurent avec tant d'éclat, que Madame de Mont-Martre Abbesse l'establit Prieure du nouveau Monastere de Nostre-Dame de Grace ou de la Ville-l'Evéque prés de Paris, que ces deux pieuses Princesses Caterine et Marguerite d'Orleans de Longueville fonderent en ce temps là, et où une Dame de rare vertu (6) s'estoit retirée, pour y passer doucement les dernieres années de sa vie au service de nostre Seigneur, aprés avoir edifié Paris et toute la France par ses rares exemples. Je me reserve d'en parler dans la 8. Partie de ce livre. Cette devote Dame demeurant à la Ville-Evéque, a remarqué les [412] vertus de la Reverende Mere Marguerite d'Arbouze: 1. qu'elle estoit tres-observante de la Regle: 2. tres-affectionnée au Service divin: 3. qu'elle a grandement chery les ames qui estoient sous sa conduite: 4. fort charitable vers les Soeurs, luy ayant veu laver les jambes à une Soeur Converse malade: et 5. fort zelée à la perfection où son estat et sa profession l'obligeoient.
Aprés avoir exercé la charge de Prieure à la Ville-l'Evéque, elle retourna à Mont-Martre pour estre sujete, mais elle ne demeura pas long temps en cét estat là: car l'Abbaye de Nostre-Dame du Val de Grace prés de Bievre le Chastel, à trois lieues de Paris, au lieu dit Val profond, venant à vacquer par la mort de la Mere Brunet, Abbesse de ce Monastere là, le feu Roy Louys XIII. Prince qui a tousjours aymé la pieté et les bonnes ames, aprés avoir refusé cette Abbaye à plusieurs Seigneurs qui la demandoient pour leurs parentes, demanda à Monsieur le Cardinal de Raiz Evéque de Paris (ce Monastere estant dans ce Diocese et sous sa direction) s'il sçavoit quelque Religieuse capable d'y mettre la reforme, et en bannir les desordres. Ce grand Prelat et Ministre d'Estat, qui ne respiroit que le salut des ames et la gloire de Dieu, (aussi pendant son gouvernement l'Eglise recouvra sa liberté dans ce Royaume, et l'heresie qui avoit tousjours fait un party dans la France, fut contrainte de ceder aux armes de ce juste Monarque) dit au Roy qu'il en sçavoit une qui donneroit toute sorte de contentement aux devots desseins de sa Majesté mais qu'il doutoit fort qu'elle la voulust accepter, tant elle estoit humble; car elle estoit plus portée à obeir qu'à commander; que le moyen pour la luy faire accepter, estoit, que le Pape luy commandast dans ses Bulles de faire la reforme, et d'y garder l'observance. Monsieur de Marillac Conseiller d'Estat, (qui depuis a esté Garde des Seaux de France) s'estant trouvé là, receut en mesme temps commandement du feu Roy de faire cet affaire le plus promptement qu'il pourroit, dont il s'acquitta fidellement; en sorte que la Mere Marguerite de Veni d'Arbouze estant simple Religieuse à sainte Ursule et saint Denys de Mont-Martre, apprit avec un grand [413] étonnement qu'elle estoit nommée Abbesse par le Roy, choisie par le Cardinal de Raiz, et pourveue par le Pape Paul V. Monsieur l'Evéque de Grenoble (les autres disent de Geneve) se transporta à cette devote Abbaye du Mont des Martyrs, pour luy faire entendre les volontez du Roy Louys XIII. et d'autres Prelats et Religieux eminents en pieté et en doctrine y furent pour la resoudre à l'accepter, à quoy elle resistoit fort. Voyant qu'on l'avoit nommée Abbesse, elle tomba malade, pensant au compte exact, qu'elle devoit rendre des ames rachetées du Sang espandu du Sauveur. Et prenant garde qu'à cause de ses resistances, on la menaçoit d'excommunication, elle consentit, les larmes aux yeux, et les regrets au coeur, avec défiance d'elle-mesme, et avec une entiere confiance en la Bonté divine; et à l'imitation de saint Charles Borromée, jetta aussi tost ses yeux sur des hommes capables de l'ayder en ces saints desseins. Elle songea soudain au Reverend Pere Dom Laurent Bernard, Religieux Benedictin, et Docteur en Theologie, dont la memoire est en benediction pour sa pieté et sa doctrine: et aprés au Reverend Pere Eustache Asseline, dit de saint Paul, Religieux de la Congregation des Feuillens, et Docteur de Sorbonne, recommandable pour sa devotion et ses qualitez extraordinaires (7). Et de fait elle a tousjours eu des Docteurs en Theologie pour ses Confesseurs et ses Visiteurs. Elle jetta encor les yeux sur la Reverende Mere Louyse Milly, dite de saint Estiene, et la Reverende Mere Marie de Bourges, dite de saint Benoist, qui ont esté pour leur pieté et leur zele à l'observance reguliere éleues Superieures au Val de grace.
Elle sortit de l'Abbaye de Mont-Martre avec ces deux Religieuses le 30. de Janvier de l'an 1619. et vint demeurer quelque temps au Convent des Filles Penitentes, où elle a laissé des marques de sa pieté, de son humilité et de sa charité, selon le rapport de la Mere de JESUS, qui a mis un bon ordre en cette Maison de Repenties.
Elle quitta ce Monastere le 19. Mars feste de saint Joseph de la méme année, pour aller avec ses deux Compagnes en celuy des Meres Carmelites, pour estre benite en l'Eglise du Convent de ces bonnes Religieuses du Carmel, dites de [414] l'Incarnation, ou Nostre-Dame des Champs. Elle sentit un grand repos dans le doux et profond silence de cette sainte Maison de Filles de sainte Terese. Aussi elle a tousjours depuis grandement honoré la Congregation des Carmelites, disant que c'estoit un Ordre grand en toute sorte de biens, que Dieu s'y communiquoit fort, et qu'il y répandoit de grandes benedictions. Elle n'en parloit jamais sans eloge. Cette affection vers l'Ordre des Religieuses du Mont Carmel fut si ardente, que plusieurs creurent qu'elle estoit Carmelite: et pour ce sujet quelques Religieux de son Ordre prirent la peine de s'informer de la verité; mais sur tout lors qu'elle eut pris l'habit tané ou minime, couleur la plus ancienne qui ait esté affectée à l'Ordre de saint Benoist, comme il se void par la robe de saint Mayeul, et par la pratique des Ordres de Cluny et des Celestins, où l'on ne doit point recevoir de Novice à profession qu'il ne soit habillé de tané; et ceux de l'Ordre de Vallombreuse, fondé en l'Eglise par saint Jean Galbert, aussi disciple de saint Benoist, portent cette couleur.
Ce fut le 21. de Mars, feste du Pere saint Benoist, l'an 1619. que cette Religieuse Benedictine fut benite Abbesse dans l'Eglise des Carmelites par Charles Miron Evéque d'Angers, qui depuis a esté Archevéque de Lyon, afin que le lieu respondist aussi au jour et aux personnes; car cette Eglise (où saint Denys premier Evéque de Paris a fait sa demeure, et a offert le Sacrifice de JESUS-CHRIST au Pere Eternel, pour la conversion de la Gaule idolatre) a esté jadis servie par les Religieux de l'Ordre de saint Benoist, et est un Prieuré dépendant de l'Abbaye de Marmoustier prés de Tours, où ces Religieux Benedictins ont receu et logé quelque temps saint Dominique de Gusman Fondateur du celebre Ordre des Prescheurs, et les premiers Peres de son Ordre, quand ils vinrent s'establir à Paris, et où plusieurs ont receu les honneurs de la sepulture, entre autres le bienheureux Regnaud de saint Gille, le grand devot de la Vierge, qu'elle appella à cet Ordre estant Doyen de Saint Aignan d'Orleans, illustre en miracles durant sa vie et aprés sa mort.
La Reyne accompagnée de plusieurs Princesses, assista [415] à la benediction de cette Abbesse. Toutes les Princesses et les Dames furent touchées de la modestie, de la pieté, et des autres bonnes qualitez de cette Religieuse; mais particulierement sa Majesté, qui l'a tousjours depuis aymée et honorée comme une Sainte, et cette affection a passé de la Mere aux Filles, et aux Religieuses avec lesquelles elle est bien aise de demeurer quelquesfois, et d'avoir une Cellule dans ce Val de Grace et de douceur, pour y gouster le repos qu'on ne trouve pas souvent dans la Cour. Deslors la Reyne donna charge qu'on sceust quand elle iroit prendre possession de son Abbaye: et ayant esté advertie que ce seroit le 23. de Mars, sa Majesté vint au grand Convent des Carmelites, où l'Abbesse du Val de Grace estoit, la fit monter en son carosse, et la mena au Val de Grace, où elle receut une grande devotion et satisfaction de la voir mettre en possession de son Monastere, où la ceremonie fut faite par le sieur Bartés, Vicaire general de Monsieur le Cardinal de Raiz Evéque de Paris: et sa Majesté se declara la Fondatrice de cette Maison, et la principale Protectrice, pour y assister cette nouvelle Abbesse au saint dessein qu'elle avoit de mettre la reforme en cette Abbaye.
La Reverende Mere Marguerite de sainte Gertrude ne fut pas si tost arrivée, qu'elle resolut devant Dieu deux choses dignes de remarque.
La premiere, de ne chasser pas une fille du Convent, mais de les souffrir toutes en toutes leurs infirmitez, tant d'esprit que du corps: de ne les obliger à rien qu'au voeu et à la closture, dont elle ne pouvoit pas dispenser: de les exempter de toutes sortes d'austeritez, et de les laisser en paix, pourveu qu'elles aussi luy laissassent faire la reforme, à quoy elle estoit obligée par la Bulle du Pape Paul V. qu'elles se levassent et couchassent à l'heure qu'elles voudroient, qu'elles mangeassent de la viande tous les jours, excepté ceux ausquels l'Eglise le defend: qu'elles parlassent aux heures qu'elles voudroient: et qu'elle les supplioit de laisser dans l'abstinence entiere celles qui la voudroient prendre, sans controller rien.
L'autre fut, qu'elle desiroit prendre quelques filles pau-[416]vres à ce commencement, afin que Dieu donnast sa benediction à sa sainte entreprise. Action louable, digne du zele d'une fervente Religieuse, et de plus agreable à celuy qui est l'Epoux, le Roy, et la Couronne des Vierges, comme j'ay remarqué en l'Eloge d'Eleonor de Tolede Duchesse de Florence.
Ayant fait ses prieres, et la Reyne s'estant retirée, et Complies estant dites, les Religieuses la conduisirent en une chambre qu'elles avoient tapissée et parée comme pour loger une Reyne ou une Princesse, et non pas une Religieuse de saint Benoist. C'est pourquoy dés qu'elle vid ces vains ameublemens, elle demanda une eschelle, et avec les Meres Louyse de saint Estiene et Marie de saint Benoist, elle détendit toute la tapisserie, défit les lits, tira les chaires, les tables et les tapis, pliant le tout pour en faire des ornemens à l'Eglise; aprés avoir monstré par ses charitables discours, qu'une vraye Religieuse Benedictine doit imiter le Sauveur en sa pauvreté, et se contenter de ce qui est le plus vil, et avoir en horreur toutes ces superfluitez. Aussi il n'y a rien qui rende une personne Religieuse plus digne de mépris, que quand elle s'amuse à ces bagatelles, et à ces vains honneurs et plaisirs du monde: car si les Religieux ont quitté de grands biens et des honneurs, à quoy bon de courir aprés qu'il y ont renoncé? et s'ils sont de basse naissance, ou de pauvres parens, ils veulent faire les Grands sous un habit de Moine, et dans une Cellule. Saint Bernard, ardent et acre contre ceux qui ayans quitté le siecle, le reprennent et portent la Cour et les delices du monde au Cloistre, avance ce discours en l'Homelie 4. des louanges de la Vierge: Je voy, dit-il, avec horreur des gens, lesquels aprés avoir promis à Dieu de quitter les vanitez du monde, apprennent mieux la gloire et l'orgueil en l'école de l'humilité, qu'ils ne l'avoient apprise au monde. Ils deviennent plus insolens sous la discipline, et plus delicats et fantasques au Monastere, qu'ils ne l'estoient dans le siecle; et ce qui est le comble de malheur, c'est que la pluspart de ceux qui ne peuvent souffrir d'estre méprisez en la Maison de Dieu, n'eussent pû tirer la moindre gloire, et le plus petit avantage de leur propre ny de leur sang. Ils s'empressent de tout, ils font les muguets, et vi-[417]vent à la mode; et c'est de la sorte qu'ils se sont crucifiez au monde, et que le monde leur est crucifié, qui n'estans pas connus en leur village plus loin que la volée d'un pigeon, ils ont une passion d'estre connus des Grands, et veulent faire les compagnons avec les Princes.
Mais pour revenir à la Reverende Mere Marguerite du Val de Grace, elle ne prit pas seulement la charge d'Abbesse, mais aussi celle de Maistresse des Novices, et d'éveiller à Matines; elle institua un Novitiat qu'elle fit faire à toutes les Religieuses, tant aux Meres qu'aux Soeurs, leur enseignant à lire distinctement, à chanter nettement, à officier devotieusement, à garder ponctuellement les ceremonies avec un esprit de devotion et d'edification; ce qui sert grandement pour élever l'esprit en Dieu, et adorer la souveraine Majesté. Mais son principal soin estoit de les instruire, pour approcher dignement des Sacremens de Penitence et de l'Eucharistie.
Ayant reconnu que plusieurs de ces anciennes Religieuses ne sçavoient pas le Catechisme, elle le fit faire toutes les semaines une fois, autant au dedans qu'au dehors; car elle avoit grand soin de tous. Elle choisit celuy du Cardinal Bellarmin pour le donner à ses Filles, comme le plus utile et le plus facile à apprendre, et le leur faisoit dire souvent à la recreation: car elle disoit que la Religieuse estoit, ou devoit estre une parfaite Chrestienne, et que partant elle devoit sçavoir plus parfaitement comme il falloit croire, esperer, aymer, et entendre le Symbole, comprendre l'oraison Dominicale, sçavoir les Commandemens de Dieu, afin que par ces mysteres de Foy, elles fussent unies à la premiere verité: par ceux de l'Esperance, à la Bonté divine: par les preceptes divins, elles aymassent Dieu sur toutes choses, et leur prochain comme elles-mesmes: et par les conseils de leur sainte Regle, elles épurassent leur esprit et leur volonté pour servir parfaitement Dieu. Elle leur enseigna l'oraison mentale, leur monstra exemplairement comme il falloit s'humilier: et ayant proposé en son esprit de suivre JESUS-CHRIST, la vie des viateurs, la voye des pelerins, et la verité des fidelles amans, qui le suivent avec courage et avec [418] zele; elle considera attentivement la leçon qu'il avoit faite à tous, mais specialement aux Superieurs: Apprenez de moy qui suis doux et humble de coeur.
Elle proceda en cette reforme avec toute sorte de douceur et d'humilité, en faisant paroistre en quoy que ce fust qu'elle voulust dominer, mais servir et aymer: Aussi, disoit-elle, que les esprits contentieux et imperieux gastoient tout, et les mornes faisoient douter de tout, et les simples guarissoient l'une et l'autre maladie. L'Autheur de sa Vie (8) rapporte au long les souffrances, les contradictions, et les peines qu'elle eut à établir la Reforme dans son Abbaye de Bievre ou du Val profond, avant que de s'establir à Paris au Val de Grace, dont elle vint à bout par l'assistance Divine; aussi estoit-elle si remplie de l'esprit de Charité, et son coeur tellement plongé dans les saintes pratiques, que de l'abondance du coeur sa bouche parloit: sa langue et ses paroles en estoient animées, ses discours si pleins de traits de l'Ecriture sainte, ses entretiens si doux et si enflammez, que si quelque sujet legitime ne l'en eust retirée, elle n'eust jamais dit c'est assez. Aussi aprés le temps qui est destiné à l'Office divin, et aux affaires de la Communauté, elle s'adonnoit à la lecture des bons livres. Elle lisoit et admiroit tout ensemble saint Thomas d'Aquin, et disoit qu'elle s'estonnoit que les Theologiens ne fussent tous des Saints, puisque ce Docteur Angelique leur avoit preparé des sujets de meditation si riches et si relevez: elle admiroit la fecondité de l'esprit de ce grand Saint, et les richesses de ses incomparables écrits. Aux Advents et aux Caresmes elle donnoit des sujets de meditation à ses Religieuses conformes au temps: pour l'Advent la 3. partie de la Somme de cet Ange de l'école luy en fournissoit de tres-excellens, et son esprit agençoit si bien toutes choses, que les Filles l'admiroient, et s'animoient à la poursuite de la perfection, à la mortification, et au mépris de toutes choses, voyant par les pensées sublimes de leur Mere, l'amour, la pauvreté, et l'aneantissement d'un Dieu incarné: elle faisoit si bien voir l'obligation qu'elles avoient au Pere Eternel de l'avoir donné, et au Saint Esprit de l'avoir accompagné par les feux de son [419] amour, aussi bien au gibet qu'au desert; la franche acceptation que JESUS-CHRIST avoit faite de mourir d'amour, souffrant pour l'amour de ses cheres amantes ses épouses, qu'il s'estoit comme oublié soy-mesme pour ne se souvenir que de cela. Pour le Caresme la fin de la mesme partie de la mesme Somme luy en fournissoit les sujets, avec les sublimes pensées mystiques qu'elle prenoit des oeuvres de saint Augustin, et sur tout des traitez sur saint Jean. Pour s'exciter à l'Amour divin, et pour animer ses Religieuses, et s'espurer et desnuer toutes, elle se servoit de saint Denys Areopagite, de saint Bernard, de saint Pierre Chrysologue, et des Homelies d'Origene sur l'Evangile de la Magdelaine, et sur les Cantiques: et pour reformer ses moeurs, et de celles qui luy estoient commises, elle lisoit le grand saint Gregoire, saint Bonaventure, Louys de Blois Abbé de Lieties, l'Abbé Dacrianus, Henry Harphius, et cet excellent livre de l'Imitation de JESUS-CHRIST, que les uns attribuent à Jean Gessen, Religieux de l'Ordre de saint Benoist: les autres à Jean Carlier, natif de Gerson en Champagne, Docteur de la Faculté de Paris, de la Maison de Navarre: et les autres à Thomas Maleol, dit des Champs, Chanoine Regulier de saint Augustin: mais sur tout elle lisoit la sainte Ecriture le vieil et le nouveau Testament, et à grand peine l'eust-on trouvée mesme par la maison, comme une autre sainte Cecile, sans un nouveau Testament sur elle. Les Epistres de saint Paul, et les quatre Evangiles luy estoient si agreables, qu'elle eust, pour ainsi dire, frappé tous les Ecclesiastiques et les Religieux qui ne les portoient pas sur eux, comme ce Grec celuy qu'il trouva sans Homere. La Regle de son Pere saint Benoist luy estoit aussi en singuliere veneration, elle la lisoit et relisoit souvent, et la portoit tousjours sur elle avec un Nouveau Testament, et le livre de l'Imitation de JESUS-CHRIST. Elle cherissoit ces trois livres autant que le devot Jean Berchmans de la Compagnie de JESUS le Crucifix, son Chapelet, et ses Regles.
Elle avoit ce don que Jesus fils de Sirach appelle la science des Saints; ce qu'elle fit paroistre, non seulement en la conduite de ses Religieuses; mais aussi aux occasions qui se [420] presenterent; entre autres celle-cy. Il y avoit à l'ancien Val de Grace un Prestre aagé de 64. ans, auquel elle ne pouvoit se confesser ny communiquer, en ayant une grande aversion, et ne trouvoit pas bon qu'on luy donnast les petites Hosties pour les consacrer; elle en fut reprise de son Confesseur, et comme elle estoit tres-obeissante, elle aneantit et chassa toutes les pensées qu'elle en avoit. Mais Dieu qui inspire des sentiments de verité, qui donne aux Superieurs tout ce qui est necessaire pour l'administration de leur charge, principalement quand ils s'en rendent dignes, fit que cette Abbesse, ayant sceu que Monsieur le Cardinal de Raiz avoit ordonné pour le bien de son Diocese, que les Prestres Etrangers monstreroient en vertu dequoy ils disoient la Messe, et administroient les Sacremens, pressa vivement et fortement ce Prestre de monstrer ses Lettres de Prestrise à l'Ordinaire, et obeir comme l'autre Prestre avoit fait; il dit qu'il le feroit, et disoit tantost qu'il estoit Prestre d'Orleans, tantost de Paris: et enfin voyant que son fait estoit découvert, il prit la fuite; on creut avec raison qu'il n'estoit pas Prestre. Ce qui fit voir que l'aversion qu'elle en avoit estoit bien fondée, et que c'estoit une revelation que Dieu luy avoit faite, pour obvier et remedier au plus grand malheur de cette Maison, qu'elle alloit de jour en jour reformant avec les armes fortes et puissantes de douceur, de patience, d'amour, de souffrance, et plus par exemple que par parole, quoy qu'elle l'eust tres-efficace.
Ce digne Prelat Monsieur le Cardinal de Raiz estant en Guyenne, où il assistoit de ses conseils le feu Roy Louys XIII. durant la guerre contre les Religionnaires rebelles, receut une grande consolation de sçavoir le bon ordre que la Mere Marguerite de sainte Gertrude avoit étably en son Abbaye, que l'on pouvoit appeller veritablement le Val de Grace; et luy commanda de transferer son Convent prés du bourg de Bievre au faux-bourg de Saint Jaques prés de Paris au petit Bourbon, où avoit commencé la Congregation des Reverends Peres de l'Oratoire. Ce fut le 20. de Septembre, veille de l'Apostre et Evangeliste saint Mathieu, de l'an 1621. que nonobstant les contradictions de quelques-uns [421] cette translation se fit, qui depuis a esté confirmée par une Bulle expresse du Pape Gregoire XV. le 30. de Septembre de l'an 1622. et par un Arrest de la Cour de Parlement le 26. de Juin de l'an 1624. Le troisiéme de Juillet de la méme année, la Reyne qui s'estoit constituée Fondatrice de cette Abbaye, mit la premiere pierre du bastiment de ce devot Monastere, et depuis sa Majesté a tousjours honoré de sa faveur, de sa protection, et de ses liberalitez cette Maison, où lors plusieurs Demoiselles prirent le voile, qui depuis ont fait profession de l'Ordre de saint Benoist, dans ce tres-devot Monastere, fondé sous le titre de Nostre-Dame de la Creche; où aussi plusieurs Princesses et Religieuses du mesme Ordre, et d'autres Congregations; (entre autres Madame Caterine de Lorraine, fille du Duc Charles III. et de Claude de France, Abbesse et Dame de Remiremont; Madame d'Elbeuf, maintenant Abbesse de Nostre-Dame de Soissons; la Prieure de la Magdelaine, et autres Dames) ont demeuré quelque temps pour voir les observances qui estoient pratiquées dans ce Val de grace par les ordres de la Reverende Mere Marguerite de sainte Gertrude; et où Madame Benedicte de Mantoue, Abbesse d'Avenay, fille de Charles I. Duc de Mantoue, et soeur de la Reyne de Pologne, a voulu recevoir les honneurs de la sepulture, pour la devotion qu'elle avoit à cette Abbesse du Val de grace.
Quoy que le Novitiat soit comme la pepiniere des Ordres, et qu'ils ne puissent subsister que par les Novices qu'on y reçoit; cette prudente Abbesse estoit extrémement reservée à les recevoir, tant à la vesture qu'à la profession, et n'en admettoit pas une qui ne fust bien appellée, et qui n'eust toutes les qualitez requises pour la Religion. Elle les esprouvoit pendant quelque temps, leur representoit mesme durant leur Noviciat, l'austerité de la vie des Benedictines qu'elles desiroient suivre, et vouloit avoir quelque preuve de leur perseverance. Elle avoit neantmoins souvent des veues du conseil de Dieu sur quelques ames, qui l'obligeoient d'en user autrement, et de presser celles dont elle connoissoit la vocation par une lumiere surnaturelle. Elle le fit voir en la personne d'une Novice, qui estant dans [422] le monde avoit esté épouvantée par les artifices du diable, et qui depuis avoit receu le voile. Car ayant demandé de sortir, elle l'appella le jour de la feste de sainte Caterine de Sienne; et luy dit ces paroles: "Ma fille, vous estes venue ceans pour l'amour de Dieu; il en faut sortir pour le méme amour. Il me semble que vous devez quitter toute sorte de troubles, et vous tenir en paix. Nous envoyerons prier Monsieur vostre pere de vous venir querir: vivez comme si vous estiez ceans pour n'estre point Religieuse. L'Eglise fait aujourd'huy la feste d'une Vierge et fidelle amante du Sauveur; disposez-vous à communier avec devotion et humilité; aprés cela faites ce que Dieu vous inspirera, et selon le sentiment que vous aurez de sa sainte volonté." Et luy donna sa benediction. Cette fille estant appaisée, se confessa et communia ce jour là: aprés la Communion elle fut si bien unie avec Dieu, qu'elle demeura plus qu'elle ne pensoit pas en l'action de graces, où elle prit un si grand contentement, qu'elle eust donné tout le monde pour rien: et eut un si grand desir d'estre Religieuse, un tel mépris du monde, fut si bien remise en sa pleine et entiere santé, qu'elle fit aprés tout son Noviciat, sans manquer un seul poinct à l'observance.
La Reverende Mere Marguerite d'Arbouze ayant mis la reforme en la perfection dans son Monastere, obtint du feu Roy Louys XIII. le Benefice de l'élection, selon l'ancienne coustume de l'Ordre de saint Benoist, et se démit franchement et librement de sa charge et dignité d'Abbesse, à l'exemple de saint Maur, de sainte Gertrude, et d'autres Saints; renonçant de plus au droit de pouvoir estre esleue au trienne qui suivoit pour les motifs que rapporte le Sieur Ferraige au Chapitre 17. de sa vie: et aprés avoir fait voir à ses Religieuses par ses discours et ses raisonnemens, que c'estoit la volonté de Dieu, le bien de la Maison, l'affermissement de la Reforme, l'avancement des ames; et en un mot, qu'il n'y restoit rien plus pour l'entiere perfection de son Monastere, que l'élection triennale: Dom Eustache de saint Paul, en presence de Dom Jean Goulu, dit de saint François, et du sieur Ferraige Docteur en Theologie, accepta cette demission et cession vo-[423]lontaire, dont il dressa un acte authentique le 7. de Janvier de l'an 1626.
Estant ainsi devenue simple Religieuse aprés sa demission, elle fut eleue Maistresse des Novices, au grand contentement des jeunes Professes, et des Novices, qui furent aussi aises de l'avoir pour Maistresse, qu'elles avoient esté affligées par la demission volontaire qu'elle avoit faite de la dignité d'Abbesse.
Ce fut en cette charge importante, et de qui dépend la sainteté des Ordres et des Maisons Religieuses, que l'on vid éclater les vertus de la Reverende Mere Marguerite de sainte Gertrude. Ce fut là qu'on remarqua sa prudence à conduire chaque Novice selon sa voye, et selon son besoin et sa portée. Ce fut là qu'on reconnut son humilité dans le soin qu'elle prenoit de cacher ses graces et ses vertus aux ames qu'elle conduisoit, ne voulant tenir aucun lieu dans leurs esprits, et souhaitant que nostre Seigneur fust toute leur plenitude. Ce fut là qu'on admira la force invincible de sa charité à supporter les travaux qui accompagnent ces penibles exercices, d'apprendre à lire, à chanter, à monstrer les ceremonies, à peigner les jeunes seculieres, et à des oeuvres manuelles, bien qu'elle fust appellée de Dieu à de grandes et de sublimes contemplations. Ce fut là enfin qu'on découvrit son extréme douceur à consoler ses Soeurs dans leurs peines, dont on sçait bien que les voyes de Dieu ne sont pas exemptes. Elle estoit fort exacte à faire la leçon à ses Novices, où les anciennes et Professes mesmes assistoient avec la permission de la Reverende Mere Louyse Milley leur nouvelle Abbesse, pour la satisfaction spirituelle qu'elles recevoient des discours de cette pieuse et sçavante Mere, laquelle s'adonna lors grandement à la lecture des Autheurs que j'ay nommez cy-dessus; et conferoit souvent de vive voix, et par écrit avec Monsieur du Val, Docteur de Sorbonne; Dom Auger, Chartreux; les Reverens Peres Binet et Granger de la Compagnie de JESUS, et son cousin le Reverend Pere Louys d'Atichy, Religieux Minime, maintenant Evéque de Riez, auquel elle écrivoit à Rome où il estoit pour lors.
Durant qu'elle fut Maistresse des Novices, elle ne profita [424] pas seulement aux Novices et aux Religieuses de son Monastere, mais aussi à plusieurs Religieux et Religieuses de l'Ordre de son Pere saint Benoist, et aussi à plusieurs Ecclesiastiques et seculiers. Ceux qui ont eu le bon-heur de la connoistre, sçavent qu'elle a appaisé de grandes dissensions, retiré du vice plusieurs pecheurs, et animé par ses discours et ses lettres une quantité de personnes à tendre à la perfection. Ce qui la fit demander en divers lieux pour establir ou reformer des Maisons de Benedictines. Mais Dieu qui marche par d'autres voyes, et qui ne suit pas tousjours les sentimens des hommes, en disposa d'autre sorte; toutesfois par une grace particuliere, et pour augmenter ses merites, permit que feu Monsieur l'Evéque d'Auxerre Gille de Souvré (9), tant pour le desir qu'il avoit d'avoir une si parfaite Religieuse en son Diocese, que pour satisfaire aux prieres des habitans de la ville de la Charité sur Loire, et de la Reverende Mere Magdelaine de Roche-Chouart (10), dite de JESUS, obtint du Pape Urbain VIII. que le Grand Vicaire de M. l'Archevéque de Paris luy donnast une obedience le 20. d'Avril de l'an 1626. et la Reverende Mere Louyse de saint Estiene une autre du 30. du mesme mois, pour établir ou reformer en la ville de la Charité un Monastere de son Ordre, appellé le Mont de Pieté; comme celuy du Val de grace du faux-bourg de Saint Jaques à Paris est appellé Nostre-Dame de la Creche. Elle arriva à la Charité le troisiéme jour de May, feste de l'Invention de sainte Croix, où elle fut receue de Messieurs de cette ville là avec autant de joye que l'on eust pû esperer. Le mesme jour elle arbora la Croix en ce Mont de Pieté, et imprima le desir au coeur de ses Filles pour l'embrasser, et cueillir les fruits des merites de JESUS-CHRIST, et y fut creée Prieure par le Reverend Pere Dom François Rapine, Benedictin et Prieur de saint Pierre le Monstier, et Grand Vicaire de M. l'Evéque d'Auxerre, qui y celebra la Messe en presence des premiers de la ville.
Ayant mis l'ordre necessaire à cette nouvelle Maison, où la Reverende Mere Magdelaine de JESUS, et les autres filles qui estoient avec elle furent mises au Novitiat, elle fut demandée en plusieurs lieux pour reformer des Monasteres, et [425] nommément par l'Abbesse de Charenton en Bourbonnois, sa Coadjutrice, et quelques autres Religieuses de cette Abbaye, qui luy en ayant écrit plusieurs fois, implorerent la faveur de Madame la Mareschale de Montigny: elle y alla par l'obedience écrite de son Superieur, et avec le consentement de Roland Hebert Archevéque de Bourges. Elle travailla si bien à la reforme, (quoy qu'elle fust extrémement malade) que l'Abbesse, la Coadjutrice, la Prieure, et les Meres plus ferventes et les principales, prirent la resolution de la suivre: elle y accorda quelques dissensions, et y avança le salut des ames.
Aprés avoir étably la reforme en cette Abbaye, elle sortit de Charenton avec un regret incroyable de l'Abbesse et de ses Religieuses. Elle passa par Dom-le-Roy, où elle se fit, pour son indisposition, porter à l'Eglise pour entendre la Messe, et recevoir la sainte Eucharistie. Elle arriva au Chasteau de Sery le jour de sainte Magdelaine, où elle fut bien receue de Madame la Mareschale de Montigny. Cette Dame tres-charitable voyant l'indisposition de la Reverende Mere Marguerite de sainte Gertrude, envoya querir les plus experts Medecins et Chirurgiens de ce pays là pour la servir durant sa maladie; mais toutes leurs peines furent inutiles, Dieu la voulant retirer à soy le 16. d'Aoust, ayant vécu 33. ans, estant née le 15. d'Aoust, feste de l'Assomption de la Vierge de l'an 1583. (comme j'ay rapporté au commencement de cet Eloge) et estant decedée le 16. du mesme mois de l'an 1626. le lendemain de cette principale feste de Nostre-Dame. Elle avoit dit à plusieurs, (entre autres au feu Reverend Pere Dominique de JESUS, Theologien de l'Ordre des Carmes deschaussez) qu'elle mourroit durant l'octave de l'Assomption.
Durant sa maladie, et à son depart de ce monde, elle edifia grandement tous les assistans: quand le sieur Ferraige luy porta l'Extréme-Onction, elle recita les sept Pseaumes aprés luy; mais au premier verset du Miserere mei Deus, elle fit une grande exclamation, d'un sentiment tres-profond, et d'une contrition amoureuse, disant; Ouy, Seigneur, à la grande pecheresse donnez, s'il vous plaist, la grande [426] misericorde! Et lors elle dit à ce bon Prestre (qui l'avoit tousjours assistée avec Monsieur de Chabanes durant sa maladie) Hastez-vous, car je m'en vais; vous n'aurez pas le temps de faire tout ce que vous desirez: Puis elle receut avec une grande ferveur le saint Viatique, disant et repetant souvent, qu'il me soit la vie eternelle; puis ayant, par le commandement de son Confesseur et Directeur, donné la benediction à la Reverende Mere Marie de Bourges Sousprieure, à Madame de la Chapelle, à Madame la Mareschale de Montigny, et aux assistans; elle passa saintement de cette vie à l'eternelle, tenant la Croix entre ses mains, et produisant un acte de contrition.
Son corps fut porté premierement de Sery à l'Eglise de Nostre-Dame de la Charité, puis en celle de son Monastere du Mont de Pieté dans la mesme ville, où aprés avoir reposé prés de deux jours (et où on laissa son foye, son poulmon et ses entrailles, pour gages de son amour vers cette Maison) il fut porté avec son coeur à Paris, où la Mere Abbesse et les Religieuses du Val de Grace le receurent, avec les honneurs qu'ils devoient à la memoire de cette Religieuse leur Mere et premiere Abbesse et Fondatrice, que les Reynes de France, de la Grand' Bretagne, et de Cypre ont cherie et honorée comme leur Mere, particulierement nostre Reyne, qui fait bastir la magnifique Eglise, à laquelle le Roy Louys XIV. son fils a mis la premiere pierre, le premier jour d'Aoust de l'an 1645. avec toute la magnificence qui se pouvoit souhaiter en cette action. Depuis ce temps là on n'a point discontinué de bastir cette Eglise et Monastere de Benedictines reformées, qui sera plus magnifique que ceux que Marguerite Reyne d'Espagne, mere de sa Majesté, a bastis et fondez pour les Cordelieres et les Augustines reformées à Valladolid et à Madrid.
Jaques Ferraige, Docteur en Theologie, et Predicateur de la Reyne, a écrit en cinq livres la vie et les vertus de cette pieuse Abbesse du Val de Grace (11), qu'il a dediée à sa Majesté. Cette Vie a esté approuvée par plusieurs grands Prelats et Docteurs; entre autres par Monsieur l'Archevéque de Paris, Messieurs les Evéques de Nantes (à present de Lizieux) d'Auxerre, de Limoges, et de Riez. Plusieurs [427] Docteurs et Religieux l'ont louée durant sa vie et aprés sa mort; sçavoir, Estiene Binet, Jesuite: Dom Robert Mauvielle, Sousprieur et Reformateur des Religieux de Cluny, du Prieuré de Nostre-Dame de la Charité: et Dom Athanase Mougin, aussi Religieux de l'Ordre de saint Benoist de la reforme de Verdun, homme bien versé en la science des Saints. Monsieur du Saussay, Official de Paris dans le Corollaire de son Martyrologe de France; et Louys Jacob, Carme, dans sa Bibliotheque des Femmes illustres par leurs écrits, ont fait l'Eloge en Latin de la Reverende Mere Marguerite d'Arbouze, dont la cousine la Reverende Mere Seraphique de saint François, de la Maison de la Volpiliere, a estably le Monastere des Religieuses Recoletes au faux-bourg de Saint Germain de Paris, où elle est decedée saintement au mois de Fevrier de l'an 1644.

(1) Veni, d'or, à l'arbre de sinople. Je les ay veu ainsi blazonnées à l'Eglise de Cluny en Bourgongne, et à la Chapelle de Nostre-Dame de la Consolation, dans l'Eglise des Minimes de Nigeon prés Paris, où est inhumée Françoise de Veni, femme du Chancelier du Prat.
(2) Malain, party d'azur, à un Sauvage tenant sa massue levée d'or, party d'argent, au lyon de gueules.
(3) Du Prat, d'or, à la fasce de sable, accompagnée de trois treffles de sinople, 2. en chef, et 1. en pointe.
(4) La Reyne Alix de Savoye, femme du Roy Louys le Gros.
(5) Madame Françoise Renée de Lorraine de Guyse, Abbesse de Saint Pierre de Reims.
(6) Madame du Jardin.
(7) J'aprens que l'on imprime la vie de ce Pere, illustre par ses écrits de Theologie et de Philosophie.
(8) Jaques Ferraige.
(9) Souvré, d'azur, à une cottice de cinq pieces d'or: Les autres disent cotticé d'or et d'azur de dix pieces.
(10) Roche-Chouart, selon Monsieur d'Hozier, porte anté de six pieces de gueules, et d'argent: Monsieur de la Colombiere, et autres blazonnent de gueules, à trois fasces entées ou nebulées d'argent. Quelques-uns brisent celle du chef d'une ballete de sable.
(11) L'Autheur de sa vie rapporte des miracles que Dieu a fait par son intercession.

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