Marie de Lorraine (1515-1560)/Hilarion de Coste

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[II,535] MARIE DE LORRAINE, REYNE D'ESCOSSE (1)

DEVANT que de sortir des Royaumes et de l'Isle de la Grand' Bretagne, il faut que je loue les merites, les perfections, et le courage de cette genereuse Marie de Lorraine Reyne d'Escosse, digne mere d'une autre Reyne Marie Tres-Chrestienne et Tres-Catholique, que l'heresie a fait passer du lit d'un Roy de France, et du Trosne du Royaume d'Escosse sur l'eschaffaut, et sous la hache d'un infame bourreau, laquelle s'est acquis plus de gloire par la Couronne de Martyre, que par celle de Reyne.
Cette Princesse estoit fille aisnée de Claude de Lorraine, premier Duc de Guyse et d'Antoinette de Bourbon de la Maison de Vendosme.
Ce ne fut pas un petit bon-heur à Marie de Lorraine Reyne d'Escosse d'estre issue de parens si vertueux et si nobles; mais celuy-là estoit tout autre d'avoir esté eslevée à la pieté, premierement par sa mere Antoinette de Bourbon, qui estoit, sans flatterie, l'une des saintes Princesses de son siecles; et puis par Philippe de Gueldre Reyne de Sicile sa grand' mere paternelle, qui par un exemple prodigieux d'humilité avoit quitté les Couronnes, pour se confiner dans le pauvre Monastere de sainte Claire du Pont à Mouzon, où elle a vécu, et est decedée en opinion de sainteté. Ce fut en cette devote Maison que Marie de Lorraine fut nourrie et instruite en la Loy de Dieu. Ce fut en cette bonne escole qu'elle apprit dés sa jeunesse l'amour et la crainte de sa divine Majesté. Antoine Duc de Lorraine, dit le Bon, et la Duchesse Renée de Bourbon sa femme, allans visiter la Reyne de Sicile leur mere au Pont, estoient ravis de voir les vertus qui reluisoient en cette jeune Princesse: De sorte que les charmes de son bon naturel les obligerent à la re-[536]tirer de ce Monastere là pour la mener en leur Cour, où ils la nourrirent et esleverent comme leur propre enfant, jusques à ce qu'ayant atteint l'aage de se marier, elle fut conduite en la Cour de France, la premiere du monde. Elle n'y fut pas si tost arrivée, qu'elle fut pour sa modestie et sa sagesse choisie et demandée en mariage par Louys d'Orleans Duc de Longueville, Comte de Dunois, Connestable hereditaire de Normandie, et grand Chambellan de France; laquelle pour sa vertu le Roy François I. dota avec le Duc de Guyse son pere: mais le plus ample dot qu'elle apporta, fut, comme dit jadis Spurie Ligustin, Gentil-homme Romain, au rapport de Tite-Live (2); la generosité, la chasteté, la fecondité telle que son mary, lors le plus riche Prince de France, pouvoit souhaiter.
Cette Princesse ayant épousé le Duc de Longueville, et tiré de sa Maison plus de vertus que de biens, luy porta un singulier amour et respect, n'ayant point un plus grand contentement que d'obeir à toutes ses volontez. Mais comme la sainte Reyne Ester portoit sa Couronne és jours qu'elle se monstroit à son peuple, et ne se paroit jamais quand elle demeuroit dans son Palais comme femme privée: aussi cette Princesse faisoit ses entrées és lieux appartenans au Duc son mary, selon la grandeur et la noblesse de ce Prince là: mais ces pompes et ces solemnitez n'estoient pas si tost passées,qu'elle visitoit, estant assistée de ses Demoiselles, les Eglises, les Monasteres, les Hospitaux, les prisons, les Maladeries, et les autres lieux pitoyables, pour y servir et assister en personne les malades et les affligez. Elle n'avoit point de plus grande passion, que de s'informer des miseres des veuves, des pupils et des orfelins, qui demeuroient dans ses terres, pour les ayder et secourir. L'on voyoit presque tous les jours cette jeune Duchesse de Longueville suivre les saintes actions de la Duchesse de Guyse sa mere, et de la Reyne de Sicile son ayeule paternelle; elle achetoit elle-mesme des draps pour faire des robes aux necessiteux, elle marioit les pauvres filles, elle entretenoit les jeunes escoliers aux estudes; bref elle s'exerçoit en toute sorte d'oeuvres de pieté, dont le Sau-[537]veur du monde en son Jugement nous demandera compte.
Marie de Lorraine ne fut pas beaucoup d'années mariée en premieres noces avec Louis d'Orleans II. du nom Duc de Longueville, duquel elle eut deux fils, François d'Orleans III. du nom Duc de Longueville, et grand Chambellan de France, lequel quand Marie de Lorraine sa mere fut en Escossse, demeura sous la tutelle et le gouvernement de Claude de Guyse son ayeul maternel, et mourut à Amiens au mois de Septembre de l'an 1551. estant lors aagé de seize ans seulement; l'autre fut Louis d'Orleans posthume né l'an 1537. qui deceda peu de mois aprés sa naissacne, au grand regret de cette vertueuse Princesse sa mere qui se vid en la méme année privée d'un bon mary, et de son second fils.
Marie Duchesse douairiere de Longueville estant demeurée veuve fort jeune, garda une telle conduite en sa viduité, qu'elle ne voulut jamais partir de sa Maison de Chasteaudun, ou de ses autres terres, qu'en la compagnie de la Duchesse de Guyse sa mere. Puis n'ayant rien moins en sa pensée que de se remarier, elle s'esloigna de la Cour, et se retira à cet effet dans ses Maisons champestres avec son fils unique François Duc de Longueville, pour y passer le reste de son aage, quelque grand party que l'on luy proposast: ayant esté demandée pour femme par les Rois Henry VIII. d'Angleterre, et Jaques V. d'Escosse, dont elle s'excusa plusieurs fois, persistant de demeurer en veufvage, jusques à ce que le Roy François I. luy ordonnast par commandement exprés d'entendre à l'un des deux partis: à quoy cette Princesse consentit, par l'obeissance qu'elle devoit à ce grand Monarque, qui avoit tant obligé le Duc de Guyse son pere.
Jaques V. Roy d'Escosse, fils du Roy Jaques IV. et de Marguerite d'Angleterre sa femme, estant veuf de Magdelaine de France, fille du grand Roy François, fit supplier ce Monarque Tres-Chrestien son beau-pere, de luy accorder une Princesse de son Royaume, laquelle encore qu'elle ne fust pas d'une si haute Maison que la feue Reyne Magdelaine sa fille; toutefois sa grandeur en toutes vertus, la rendoit capable de succeder à une fille de France; et ayant [538] sceu que Marie de Bourbon, fille aisnée de Charles Duc de Vendosme et de François d'Alençon, qu'il avoit aimée et honorée pour sa vertu et sa beauté, estoit decedée, il jetta les yeux sur Marie de Lorraine Duchesse douairiere de Longueville, qui avoit esté demandée en mariage par Henry VIII. Roy d'Angleterre, n'ignorant pas qu'elle estoit l'une des sages Princesses de France: car estant jeune elle avoit esté soigneusement eslevée à la pieté et aux bonnes moeurs par trois vertueuses Princesses (comme j'ay rapporté cy-dessus.) Depuis elle fut mariée à Louis Duc de Longueville, et aprés le decés de ce Prince de la Maison d'Orleans, Henry de France Daufin de Viennois (qui depuis a esté nostre Roy Henry II.) en estant passionnément amoureux pour sa vertu et sa beauté, la desira pour femme, lors que l'on parla de repudier et de renvoyer en Italie Caterine de Medicis, que l'on croyoit sterile (3).
Quand Henry VIII. Roy d'Angleterre eut appris par son Ambassadeur qu'il avoit en France, que la Daufine Caterine estoit grosse, il voulut épouser cette Marie Duchesse de Longueville, et luy changer sa Couronne Ducale à une Royale: mais cette recherche n'ayant point eu de suitte, Jaques V. Roy d'Escosse, qui estoit veuf de Magdelaine de France, fille du Roy François le Grand, en fit la recherche. Claude Duc de Guyse pere de la Duchesse de Longueville estoit un Prince trop avisé pour refuser cet avantage, et eut ce contentement de voir sa fille aisnée épouser un brave Monarque, qui pour sa douceur, sa valeur et sa bonté estoit honoré par les trois premiers Rois de la Chrestienté, François I. Roy de France, Charles V. Empereur et Roy d'Espagne, et Henry VIII. Roy d'Angleterre; outre qu'il faisoit profession de la Religion Catholique, ce qui manquoit au Roy Anglois qui l'avoit recherchée, lequel avoit changé la Religion de son Royaume, se separant du Chef de l'Eglise par un malheureux schisme, et estoit décrié par tout le monde pour ses mariages avec de simples Demoiselles Anne de Bolen et Jeanne de Seymer.
Le grand Roy François qui aimoit Jean Cardinal de Lorraine, et Claude Duc de Guyse, dont l'un estoit l'on-[539]cle, et l'autre pere de la Duchesse de Longueville, fut fort aise du choix que cette sage Princesse avoit fait, preferant le Roy d'Escosse, encore qu'il fust moindre en biens que le Roy d'Angleterre tres-puissant et tres-riche, mais qui avoit renoncé à l'Eglise Romaine, et excité pour ce sujet tant de persecutions dans son Estat. Ce Monarque Tres-Chrestien et tres-Catholique fit paroistre l'estime qu'il faisoit de cette Princesse, pour avoir choisi plustost l'Escossois que l'Anglois: car il la favorisa grandement, luy faisant l'honneur de l'adopter pour fille, et bailler mesme mariage en dot, qu'avoit eu sa fille Magdelaine de France (4). Et outre tous les joyaux et les meubles delaissez par cette fille de France decedée sans enfans. Il la fit conduire en Escosse avec tant d'honneur, et une si grande suite de Noblesse, que l'on n'en pouvoit faire davantage pour une fille de Roy. En effet elle fut estimée et receue en cette qualité dans ces païs-là, et traitée par le Roy son Seigneur et mary en toute douceur et amitié, tandis qu'ils ont esté ensemble. Car aussi elle vivoit avec ce Monarque en l'obeissance, et dans la plus grande retenue qu'une femme peut rendre à un mary pour en avoir le coeur.
Henry VIII. Roy d'Angleterre fut fort picqué contre nostre Roy François I. de ce qu'il avoit permis à la veuve d'un Duc de Longueville d'épouser le Roy d'Escosse, qui estoit lors son ennemy; car l'Anglois avoit ardemment desiré pour femme cette sage et belle Princesse, et en avoit fait de grande instances; jusque là, qu'aprés ne l'avoit pû obtenir, il rechercha sa soeur Louyse de Lorraine, qui fut mariée au Prince de Cimay de la Maison de Croy. Les plus confidens serviteurs de Henry Roy d'Angleterre, disoient à l'Ambassadeur de nostre Roy que c'estoit le vray moyen de perpetuer la paix entre les François et les Anglois, et de rompre les pratiques que l'Empereur Charles V. faisoit en ce Royaume insulaire aprés la mort de la Reyne Caterine d'Espagne sa tante. Le Roy d'Angleterre mesme en fit souvent des plaintes à Castillon Ambassadeur de France; et un jour entre autres que ce Seigneur donnoit des asseurances au Roy Henry de la constance et sincerité de l'affection [540] du Roy François I. son Maistre envers sa Majesté Britanique; il repartit avec cette candeur et franchise Royale: Je ne sçay comme vous croire, Monsieur l'Ambassadeur; car encore que depuis le commencement de mon regne j'aye plus cherché de bien entretenir la paix et l'amitié entre le Roy mon frere et moy, qu'avec nul autre Prince du monde, et mesme jusques à vouloir prendre femme en France, neantmoins il a tousjours preferé à moy le Pape et le Roy d'Escosse mes ennemis. L'Ambassadeur répondit; Pour le Pape la raison le veut: et quant au Roy d'Escosse, Madame de Longueville luy estoit promise devant la mort de la Reyne vostre femme, et pour recompense le Roy vous offre celle qu'il vous plaira choisir en son Royaume, de quelque Estat ou Maison qu'elle soit: C'est bien se mettre à la raison de vouloir bailler pour une le choix de cent mille: Ouy, dit le Roy d'Angleterre; mais celle-là est d'une si gente race, qu'on n'en trouve pas tousjours de telle. Pour elle, repartit l'Ambassadeur, il n'en faut plus parler, elle est dépeschée: mais si vous en estimez tant la race (comme certes elle est à estimer) elle a une soeur aussi belle qu'elle, d'aussi belle taille, et autant pour vous complaire et obeïr en toutes choses, que nulle autre que vous sçauriez choisir. Prenez la, elle est pucelle, vous aurez cet avantage que vous la dresserez à vos humeurs et à vostre mode.
Ce discours de l'Ambassadeur de France pleut tellement à l'Anglois, que peu de jours aprés il envoya Brian, un de ses plus affidez serviteurs (comme sçavent ceux qui ont bien leu l'Histoire de la Grand' Bretagne) vers le Roy François I. pour continuer cette proposition, et l'asseurer que par ce mariage, il romproit avec l'Empereur Charles V. Cela fut negligé, Louyse de Lorraine de Guyse ayant esté mariée à un Seigneur du Païs-bas, et nostre Marie sa soeur aisnée mariée au Monarque Escossois.
Marie de Lorraine estant arrivée en Escosse, fut aymée et respectée de tous les sujets du Roy son mary, avec lequel elle véquit en bonne intelligence et amitié. Dieu benit leur mariage de deux masles qui moururent jeunes à 24. heures l'un de l'autre, et une fille nommée Marie, qui nâquit huit jours avant que le Roy Jaques V. son pere decedast à Falkant de tristesse et fascherie, dequoy les Escos-[541]sois avoient esté battus par les Anglois à la Journée de Solavomos (5).
Le Roy Jaques decedé au mois de Novemb. de l'an 1542. la Reyne Marie Regente d'Escosse fut encore recherchée par ce tres-puissant Roy d'Angleterre Henry VIII. mais persistant en sa premiere resolution, et ne voulant point se remarier, elle demeura avec la Reyne sa fille en son Royaume, entretenant son peuple par un soin incroyable, et une adresse admirable, en bonne paix et union avec la Couronne de France, à laquelle (comme nous allons voir) elle s'est tousjours monstrée tres-affectionnée. Ce qui irrita doublement contre elle le Roy d'Angleterre, lequel dépité que cette Regente d'Escosse ne le vouloit pas avoir pour mary, et que son coeur et son inclination estoit toute Françoise, luy fit une forte guerre: de maniere que voyant le Royaume d'Escosse oppressé par ce Monarque des Anglois, elle envoya vers nostre grand Roy François, pour avoir de l'ayde et du secours, qui à l'instant, suivant la louable coustume de nos Rois (dont la Maison est le refuge asseuré des Princes affligez) l'assista d'argent et d'artillerie. Ce mesme Monarque, non content d'ayder Marie Regente d'Escosse de ses deniers, dépescha encore un bon nombre d'hommes (6) sous le conduite du Comte de Lenox, de la Maison de Stuart, menveu du Mareschal d'Aubigny, tant renommé en nostre Histoire et en nos guerres d'Italie, pour contenir le peuple Escossois en l'obeïssance de la Reyne douairiere. Mais ce jeune Comte aussi brutal et aussi estourdy que son oncle avoit esté sage et avisé, employa l'argent du Roy en despenses superflues, et craignant d'estre accusé de peculat, se retira vers Henry VIII. Roy d'Angleterre, lequel desireux d'en tirer du service, et de l'obliger par une estroite alliance, luy fit épouser une de ses nieces, fille de sa soeur Marguerite, et du Comte d'Angus ou d'Anguse son second mary. Dequoy nostre grand Roy François informé, envoya soudain la Brosse Gentil-homme vaillant et fort retenu, qui estoit amy et fidele serviteur de Messieurs de Guyse, pour donner conseil et consolation à la Reyne veuve (7): et peu de temps aprés, pour resister aux entreprises de l'Anglois, le [542] Seigneur de Lorges Comte de Montmorency.
Mais pour cela les divisions et les partialitez des Princes d'Escosse ne laisserent pas de susciter des mutineries et des revoltes par le pays. Car les Gentils-hommes Escossois, qui aprés leur prise de Solavomos, furent bien traitez et caressez en Angleterre, demeurerent partisans de l'Anglois. Au contraire le Cardinal David de Beton ou de Bethune (8), Archevéque de Saint André, qui avoit de bons benefices en France, demeura ferme avec la Regente Marie de Lorraine dans le party François. Ce bon Prelat Escossois, amy de la fleur de Lys, ayant esté pris par les Escossois Anglisez qui vouloient marier leur jeune Reyne Marie à Edouard Prince de Galles, fils unique du Roy Henry VIII. ils assiegerent la Regente dans un Chasteau, et cependant firent dépescher des lettres, par lesquelles ils approuverent et confirmerent ce mariage. Mais le Roy Henry II. ayant succedé aux vertus et à l'affection à l'Escosse, comme au Sceptre du Roy son pere, s'opposa à leur entreprise (9), et la Noblesse Escossoise prenant à coeur le pauvre estat de la courageuse Regente, l'accord fut rompu: et pour cela la guerre recommença avec plus d'ardeur entre les Escossois et les Anglois.
Cette genereuse Princesse Marie de Lorraine fit paroistre son courage et sa valeur en cette guerre, et souvent anima les Escossois par ses harangues à demeurer bien unis et alliez avec les François contre les Anglois leurs anciens ennemis. Elle receut en cette saison de nouvelles forces du Roy Tres-Chrestien Henry II. qui luy envoya du secours sous la conduite du Seigneur d'Essé. Pierre Strozzi General des Bandes Italiennes (depuis Mareschal de France,) le Seigneur d'Andelot Colonnel de l'Infanterie Françoise, et le Ringrave Chef des Lansquenets, l'accompagnerent, afin d'ayder cette guerriere Camille, à contrequarrer par terre les armes Angloises. Le Prieur de Capoue de la Maison de Strozzi de Florence les assaillit par mer: ce qui leur succeda si heureusement, qu'en bref ils reconquirent tout ce que les Anglois avoient occupé sur l'Escosse, et se vengerent des affronts que les Escossois avoient receu à Lethe [543] et à Edimbourg, au grand contentement de cette magnanime Heroïne Marie de Lorraine-de-Guyse, laquelle fit assembler les trois Estats, premierement à Striveling, et depuis en la ville d'Hadinton, qui ordonnerent que la Reyne Marie Stuart sa fille seroit amenée en France par les Seigneurs de la Brosse et de Villegaignon, pour oster et retrancher toute esperance aux Anglois et à leur jeune Roy Edouard VI. d'en avoir jamais la disposition. Cela fut executé avec promptitude et diligence: car la Reyne Marie Stuart, aagée seulement de six ans, fut conduite à la Cour du Roy Henry II. où cette belle Princesse fut nourrie et eslevée avec un grand soin, et comme nous avons remarqué en sa Vie, mariée quelques années aprés (par le moyen de ses oncles, Charles Cardinal de Lorraine, et François Duc de Guyse, freres de Marie Reyne douairiere d'Escosse) à François Daufin de Viennois, fils aisné du Roy Henry II.
Ce ne fut pas une petite joye et consolation à la courageuse Marie Regente d'Escosse, de voir sa fille, la plus belle Princesse de l'Univers, nourrie en la Maison de nos Rois, et avoir épousé le Daufin de France, lequel peu de temps aprés, le decés de son pere survenant, monta sur la Trosne des fleurs de Lys; et par consequent que sa fille n'estoit pas seulement Reyne d'Escosse, mais aussi de France, le premier Royaume de la Chrestienté. Que cette jeune Princesse avoit par ses perfections acquis l'amitié et la bien-veillance de deux grands Monarques, le Roy François II. son époux, et le Roy Henry son beau-pere, auprés desquels ses freres le Duc de Guyse et le Cardinal de Lorraine estoient en grand credit, qui estoient bien unis et en bonne intelligence avec leurs autres freres le Duc d'Aumale grand Capitaine, le Cardinal de Guyse bon Courtisan (10), le Marquis d'Elbeuf, et le Grand Prieur de France, General des galeres, auquel la mort en la fleur de son aage a ravy l'honneur d'une infinité de beaux desseins. Les quatre de ces Princes Lorrains qui faisoient profession des armes, avoient acquis pour leur valeur et leur courage tant de reputation par toute l'Europe, qu'ils estoient estimez des plus vaillans et des [544] plus genereux Capitaines du monde: ce qui faisoit chanter à nostre Poëte,

Je suis en doute, ô guerriere Camille,

Duquel des deux plus d'honneur tu auras,
Ou pour avoir une si belle fille,

Ou pour avoir les freres que tu as. (11)

Mais cette joye et ce contentement furent meslez de tristesse et de déplaisir: car Elizabet Reyne d'Angleterre faschée que Marie Reyne de France et d'Escosse eust pris par le commandement du Roy Henry II. son beau-pere, et par la sollicitation du Cardinal de Lorraine son oncle maternel, la qualité de Reyne d'Angleterre, et les armes de ce Royaume là, contre l'advis de François de Lorraine Duc de Guyse, Prince fort retenu, tascha de ruiner l'Escosse, et traverser la Regente Marie de Lorraine en son Gouvernement, laquelle estoit pour sa douceur, sa modestie, et sa bonté, grandement aymée de tous les Escossois. Mais ce qui irrita le plus l'Angloise, fut quand elle sceut, par le moyen des Calvinistes couverts qui estoient à la Cour de France, que le Roy Henry II. avoit fait prier le Pape Paul IV. qui estoit affectionné au bien de cet Estat, afin que suivant la Bulle de Clement VII. le droit des Royaumes d'Angleterre et d'Irlande fust par sa Sainteté adjugé à la Royne d'Escosse sa belle-fille, qui estoit celle qui par toutes les Loix divines et humaines le pouvoit justement acquerir (12); et que les Anglois, à raison de la haine qu'ils luy portoient pour avoir, par l'advis de Marie de Lorraine sa mere, preferé l'alliance de France à celle d'Angleterre, n'avoient pas proclamée Reyne aprés le decés de leur Reyne Marie Teuder ou Tither. Elizabet, aprés toutes ces choses bien considerées, proposa d'y remedier de bonne heure, et renvoyer l'orage qui pendoit sur sa teste sur les Royaumes de France et d'Escosse: pour cet effet elle pratique des intelligences en France, ayant la pluspart des Huguenots à sa devotion, qui entreprirent de surprendre le Roy François II. et la Reyne Marie sa femme à Amboise. En Escosse elle suscita Jaques Stuart Prieur de Saint André, fils naturel du Roy Jaques V. [545] qui a esté l'autheur de la ruine de l'Estat et de le vraye Religion en son païs. Mais cette femme rusée sçachant bien que ce bastard n'avoit pas tant de credit pour renverser du commencement l'Estat d'Escosse, elle pratiqua Jaques Hamilton Comte d'Aram, fils aisné du Seigneur Hamilton premier Prince du Royaume d'Escosse, habitué en France, auquel le Roy avoit donné le Duché de Chastelleraud: elle sceut par ses artifices si bien seduire ce jeune Prince, plus vaillant et magnanime, que sage et avisé, qu'elle luy promit de l'épouser, et le rendre Roy des Royaumes d'Angleterre et d'Escosse, pourveu qu'il se liguast contre le Roy Tres-Chrestien avec les Huguenots: mais la trahison d'Amboise découverte, et plusieurs autres mauvais desseins évantez, il fut contraint de quitter la France, et de perdre le Duché de Chastelleraud, avec les honneurs et les biens qu'il y avoit, et de ses sauver en Angleterre, où s'estant joint avec les Anglois et les Escossois rebelles, aprés avoir fait contre Dieu et contre les Reynes d'Escosse, tant la Regnante que la Regente, tout ce qu'un fol et enragé pouvoit faire pour contenter celle qui luy avoit promis mariage, elle se mocqua de luy, et le méprisa comme un traistre; enfin il mourut miserable, privé de tous ses moyens.
Marie de Lorraine Reyne Douairiere et Regente d'Escosse, aprés que sa fille unique Marie Reyne de France et d'Escosse eut pris la qualité de Reyne d'Angleterre, voyant que les Anglois naturellement ennemis des François, craignans de tomber sous la domination de nostre Roy François II. son gendre, troubloient l'Estat d'Escosse, tascha par tous moyens de le maintenir en paix, suivant le conseil de Henry Clutin Seigneur d'Oisel, de Ville-Parisis, et de Saint Aignan au Maine, Ambassadeur de France (13), dont elle est louée par quelques Historiens, et blasmée par les autres.
Ceux-là (14) disent qu'elle estoit douée d'un excellent esprit, grandement portée à la douceur et à l'equité, estant de mé-[546]me humeur et naturel que son frere le Duc de Guyse; que pendant sa Regence elle gouverna (nonobstant les pratiques de la Reyne d'Angleterre) avec telle prudence les Escossois, que, si elle eust vécu, et administré les affaires de son propre mouvement, ce Royaume n'eust point esté affligé de troubles ny de guerres civiles, comme il fut bientost aprés son decés sous la domination de la Reyne Marie Stuart sa fille, Princesse d'un esprit grand et inquieté, comme celuy de Charles Cardinal de Lorraine son oncle, ausquels ont succedé la pluspart des choses contraires à leurs deliberations.
Ceux-cy (15) disent que le Duc de Guyse et le Cardinal de Lorraine envoyerent en Escosse Nicolas de Pellevé Evéque d'Amiens (16), Nonce du Pape (qui depuis a esté Cardinal) et le Seigneur Jaques de la Brosse, Gentil-homme de Bourbonnois, Ambassadeur au lieu de Monsieur d'Oisel, que les ennemis de ce Seigneur de la Maison de Clutin à Paris disoient avoir de l'inclination au Calvinisme, pour faire des remonstrances à la Reyne leur soeur, et la blasmer de sa trop grande facilité, luy dire qu'elle devoit faire punir ceux qui avoient quitté la vraye Religion, et embrassé l'heresie, avec des peines tres-griefves, et la confiscation de leurs biens, et contraindre un chacun d'aller à la Messe.
La Reyne Marie de Lorraine ne pût pas gouster leurs raisons au commencement, bien qu'elle fust du tout Catholique, connoissant l'humeur et le naturel des Escossois, qu'il falloit avoir et gagner par la douceur, et non par la force. Mais ayant acquiescé à leur advis, ou bien comme les autres écrivent, n'ayant point esté creue, la pluspart de la Noblesse Escossoise courageuse, et grand nombre de ces peuples prompts et remuants, commencerent à se mutiner; non pas tant pour la Religion, que parce qu'ils disoient que l'on les vouloit gouverner par la force, et asservir leur liberté aux François, disans pour pretexte, qu'à la fin ils emporteroient les plus grandes charges et offices du Royaume; ainsi ceux qui se veulent mutiner ne manquent jamais de pretextes. Cependant la Reyne d'Angleterre faschée de la réponse qu'on avoit faite à Paris à son Ambassadeur, sur [547] la plainte de ce que nostre Roy François II. et la Reyne Marie Stuart prenoient ces titres, François et Marie par la grace de Dieu Roy et Reyne de France, d'Escosse, d'Angleterre et d'Hibernie (17), et animée par ses Conseillers, qui craignoient d'estre un jour commandez par les François, ne perd pas l'occasion de nourrir et augmenter cette division et revolte des Escossois mal contens et Huguenots, qui se joignans les uns avec les autres prindrent les armes, et commencerent à donner la chasse aux Ecclesiastiques et aux François, qui se retirerent au petit Lit, où ils les assiegerent, ayans fait venir les Anglois à leur secours, les François furent contraints de sortir de cette place; l'armée navale commandée par le Grand Prieur de France, frere de la Reyne Marie, que le Roy François II. envoyoit à leur secours ayant fait naufrage: ce qui affligea tellement cette genereuse Princesse, qu'elle mourut de déplaisir et de regret au Chasteau d'Edimbourg, ville capitale d'Escosse, le 10. Juin 1560. estant aafée de quarante cinq ans. Son corps fut porté en France, comme elle avoit ordonné par son testament, et receut les honneurs de la sepulture dans l'Eglise de Saint Pierre de Reims, dont Renée de Lorraine sa soeur estoit Abbesse. Le Roy François II. son gendre luy fit rendre les derniers devoirs dans l'Eglise de Nostre-Dame de Paris, où Monsieur d'Espense Docteur de la Faculté de Paris de la Maison de Navarre, et Gentil-homme de bonne Maison (18), prononça l'Oraison funebre, qui depuis fut imprimée ainsique celles de Monsiseur Vigot Archevéque de Narbonne, faite aux obseques d'Elizabet de France Reyne d'Espagne, de Monsieur de Sainte-Foy Evéque de Nevers, aux Services de Marguerite de France Duchesse de Savoye, et de Claude de France Duchesse de Lorraine.
Cette Princesse n'avoit point d'autre devise qu'une Couronne posée sur un rocher, que les vents et les flots battoient de tous costez, avec ces mots Latins, ADHUC STAT, par laquelle elle faisoit voir son courage, sa constance, et [548] sa resolution parmy les consolations et les desolations, les prosperitez, et les adversitez de cette vie mortelle, le rocher estant le symbole de l'ame forte et constante. Je rapporteray sur ce sujet un exemple d'un des plus doctes Peres Grecs, c'est de saint Gregoire de Nazianze, lequel se promenant sur le rivage de la mer, consideroit comme les ondes s'advançans sur la rive, laissoient des coquilles et des petits cornets, des tiges d'herbes, de petites huitres, et semblables brouilleries que la mer rejettoit, et par maniere de dire crachoit dessus le bord; puis revenant par d'autres vagues, elle reprenoit et engloutissoit derechef une partie de cela, tandis que les rochers des environs demeuroient fermes et immobiles, quoy que les eaux vinssent rudement batre contre iceux. Cet homme de Dieu, qui faisoit profit de tout, tira l'occasion de faire remarquer au peuple de son Diocese, que les ames foibles comme ces coquilles, et ces tiges d'herbes, se laissent emporter tantost à l'affliction, tantost à la consolation, à la mercy des ondres et vagues de la fortune: mais que les grands esprits demeurent fermes et immobiles à toute sorte d'orage.
Par ces mots, elle et le Roy son mary vouloient peut-estre declarer que le Royaume et la Couronne d'Escosse estoient encor en son entier malgré les efforts des Anglois. Ce qui est veritable, car la Couronne d'Escosse est encor en sa Maison, et leurs enfans possedent celle d'Angleterre. Elle eust pû prendre aussi bien que sa fille les deux devises que nous avons données à cette Reyne Martyre; devises que nous n'avons pas trouvées chez Jaques Tipot, Hierôme Ruscelli, Raphaël Sadeler, Pierre Dinet, Gabriel Simeon, Paule Jove, et semblables Autheurs qui ont écrit des devises, mais chez les Sainte-Marthes, en l'Eloge du Roy François II.

(1) Escosse, blazonné en l'Eloge de la Reyne sa fille. Lorraine, d'or, à la bande de gueules, chargée de trois alerions d'argent.
(2) Livius lib. 45.
(3) Voyez la Vie de la Reyne Caterine au I. Tome.
(4) Claude d'Espense.
(5) Leslaus. A. du Chesne en son Histoire de la Grand' Bretagne.
(6) Du Chesne.
(7) Du Chesne.
(8) Ce Prelat portoit au I. et 4. d'argent, à la fasce de gueules, qui est de Beton ou de Bethune: au 2. et 3. d'argent, à un chevron de sable, chargé sur la pointe d'une teste de loup marin d'argent, qui est ded Balfour.
(9) Thuanus. Du Chesne.
(10) Mauvisiere.
(11) Ronsard.
(12) Histoire du martyre de Marie Stuart Reyne d'Escosse.
(13) Ce Seigneur d'une ancienne Maison de Paris, est depuis mort Ambassadeur du Roy Charles IX. à Rome, et a maintenu l'honneur de sa Majesté contre les Espagnols, sous le Pontificat de Pie IV. et V. et est enterré à Saint Louys, où sa veuve Jeanne de Chasteigner de la Maison d'Abain et de la Rochepozay (qui depuis épousa Gaspar de Schomberg Comte de Nanteuil en Valois) luy a fait dresser un epitaphe.
(14) Thuanus. Mauvisiere. Du Chesne. Sainte Marthe.
(15) Belcarius. Petramelarius. Du Pleix.
(16) Ce Prelat portoit au I. et 4. de gueules, à une teste d'homme en porfil d'argent, ayant son poil et ses cheveux levez en haut d'or, qui est de Pellevé: Au 2. et3. d'argent, aux fleurs de lys de sable, qui est du Fay.
(17) Mauvisiere.
(18) D'Espense, de gueules, à trois chevres couchées et posées l'une sur l'autre. Par le testament de ce Docteur, issu des Maisons d'Espense et des Ursins, il semble qu'il soit Docteur de la Maison de Sorbonne; mais par la lecture de ses oeuvres, et de l'Oraison qu'il a faite en l'honneur de saint Louys dans l'Eglise du College de Navarre, j'ay reconnu qu'il estoit Docteur de cette Maison Royale.

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