Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin

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Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin
Titre(s) Marquise de Tencin, Baronne de Saint-Martin de l'Isle de Ré
Dénomination(s) Madame de Tencin
Biographie
Date de naissance 1681
Date de décès 1749
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)


Notice de Marie-Pierre Legrand

Née le 27 avril 1682 à Grenoble, cadette d’une famille de petite noblesse de robe, Claudine-Alexandrine Guérin de Tencin est, comme telle, destinée au cloître. Jolie, vive et intelligente, elle se montre suffisamment déterminée pour faire casser des voeux prononcés sous la contrainte, en affirmant à son père, devant témoin, son refus de devenir religieuse et en circonvenant son confesseur. Elle a plus de trente ans quand elle peut enfin rejoindre à Paris sa soeur aînée, Mme de Ferriol. Pour s’imposer dans le monde, il lui faut faire fortune: elle se révèle une femme d’affaires et une spéculatrice redoutablement avisée. Associée à la réforme financière de Law, elle monte une entreprise, rue Quincampoix, avec, entre autres, son frère Pierre, futur cardinal, le président Hénault et le chevalier Destouches avec qui elle aura un fils, le fameux mathématicien D’Alembert, qu’elle abandonnera le lendemain de sa naissance (1717). En 1720, elle réussit à tirer son épingle du jeu de la retentissante faillite de Law et à augmenter substantiellement sa fortune. Dans le même temps, elle s’attache à pousser son frère Pierre dans la carrière ecclésiastique. Elle-même est devenue la maîtresse, l’égérie et l’espionne du cardinal Dubois, ce qu’elle restera jusqu’à la mort de celui-ci en 1723. En 1726, un de ses amants, Charles-Joseph de La Fresnaye, très endetté, y compris envers elle, croit sauver le reste de sa fortune en le mettant légalement au nom de Mme de Tencin. Elle s’en empare. Il se suicide chez elle en laissant une lettre dans laquelle il l’accuse d’avoir voulu l’assassiner. Mme de Tencin est enfermée à la Bastille. Le scandale et les angoisses de cette sinistre affaire entament à la fois sa réputation et sa santé. Elle en sort cependant innocentée et détentrice des biens de La Fresnaye, dont la cession est jugée régulière.

Avec son frère devenu archevêque d’Embrun et partisan des jésuites, elle intrigue activement dans les milieux ultramontains, s’en prenant aux jansénistes, dans l’affaire du concile d’Embrun qui oppose son frère au vieil évêque Jean Soanen en 1727.,Le successeur de Dubois, Fleury, excédé de ses cabales, l’exile momentanément de Paris en juin 1730. Elle est vite graciée, mais elle doit s’engager à ne plus se mêler des affaires publiques. En 1733, après la mort de Mme de Lambert, elle réunit chez elle les habitués du salon de la disparue, Fontenelle, Montesquieu, Marivaux, Piron, Duclos, les physiciens Mairan ou Réaumur. Dans le même temps, elle publie sous le couvert de l’anonymat ses deux premiers romans: Les Mémoires du comte de Comminge et Le siège de Calais, qu’on attribuera d’abord à son neveu Pont de Veyle. Elle continue à oeuvrer, quoique plus discrètement, pour obtenir le cardinalat à son frère, rentré en grâce auprès de Fleury en 1736. Ne pouvant, en tant que femme, accéder directement aux affaires, elle pousse donc d’autres femmes dans les bras de Louis XV et grâce à la duchesse de Châteauroux, elle obtient enfin en 1740 le chapeau de cardinal pour son frère.

En 1742, elle emploie toute son influence pour faire élire Marivaux à l’Académie française. Mais avec le décès de Fleury, en 1743, et celui de Mme de Châteauroux, l’année suivante, Mme de Tencin perd ses appuis à la cour et ne réussit pas à faire nommer son frère premier ministre en remplacement de Fleury. Elle se consacre alors entièrement à son salon que viennent rejoindre Helvétius et Marmontel, et qu’elle appelle affectueusement sa «ménagerie». En 1747, elle écrit un dernier roman: Les malheurs de l’amour. Elle meurt le 8 décembre 1749 à Paris, regrettée de ses amis et particulièrement de Marivaux. Vilipendée pour son goût de l’intrigue, et surtout sa manière de défier les hommes sur leur propre terrain, Mme de Tencin a tout à la fois été femme d’affaires, habile tête politique, romancière et intellectuelle. Marivaux a fait un très beau et sensible portrait d’elle sous les traits de Mme Dorsin dans la Vie de Marianne.

Oeuvres

  • 1735 : Mémoires du comte de Comminge, La Haye, chez Jean Néaulme (publié sous les noms de Pont de Veyle, Mme de Tencin et d’Argental) -- éd. Michel Delon, Paris, Desjonquères, 1996.
  • 1739 : Le siège de Calais, La Haye, chez Jean Néaulme -- éd. Pierre-Jean Rémy, Paris, Desjonquères, 1983.
  • 1747 : Les malheurs de l’amour, Amsterdam, sn (publié sous les noms de Mme de Tencin et Pont de Veyle) -- éd. Erik Leborgne, Paris, Desjonquères, 2001.
  • Anecdotes de la cour et du règne d’Edouard II, roi d’Angleterre, Paris, chez Pissot, 1776 (le libraire indique que la troisième et dernière partie a été écrite par Mme Elie de Beaumont).
  • OEuvres complètes, publiées par Delandine, Amsterdam/Paris, rue et hôtel Serpente, 1786, 7 vol.
  • Correspondance du Cardinal de Tencin et de Mme de Tencin, sa soeur, avec le duc de Richelieu, sur les intrigues de la cour de France depuis 1742 jusque en 1757..., publiée par J. B. de La Borde avec la coll. de Soulavie, d'après Barbier, sl, sn, «Collection des mémoires historiques du règne de Louis XV», 1790 -- Letters of Madame de Tencin and the cardinal de Tencin to the duc de Richelieu, éd. Johnston, Paris, Editions Mazarine, 1967.
  • Lettres de Mmes de Villars, de La Fayette, de Tencin, de Coulanges, de Ninon de L'Enclos et de Mlle Aïssé, accompagnées de notices biographiques, de notes explicatives et de la Coquette vengée par Ninon de L'Enclos, Paris, L. Collin, 1806, 3 vol.

autrefois attribué à Mme de Tencin:

  • Histoire d’une religieuse par elle-même, récit publié anonymement dans la Bibliothèque Universelle des Romans en mai 1786, à Paris (il semblerait aujourd’hui que ce texte ait été écrit par Bastide).

Choix bibliographique

  • Dulmet, Florica, «L’Amour, la politique, l’esprit, tiercé d’une femme libre, Madame de Tencin», Ecrits, 415, juillet-août 1981, p.7-104.
  • Jones, Shirley, «Madame de Tencin: An Eighteenth-Century Woman Novelist», dans Woman and Society in Eighteenth-Century France, Essays in Honour of John Stephenson Spink, dir. Eva Jacobs et al., Londres, The Athlone Press, 1979, p.207-217.
  • Masson, Pierre-Maurice, Une Vie de femme au XVIIIe siècle: Madame de Tencin (1682-1749), 3e édition, augmentée et corrigée, Genève, Slatkine, 1970 [Paris, Hachette, 1910].
  • Sareil, Jean, Les Tencin. Histoire d'une famille au XVIIIe siècle, Droz, Genève, 1969.
  • Sartori, Eva-Maria, «Tencin», dans French Women Writers. A Biobibliographical Source Book, dir. Eva Maria Sartori et Dorothy Wynne Zimmermann, New York, Westport/London, Greenwood Press, 1991, p.473-483.

Choix iconographique

  • 1er quart XVIIIe du siècle: Jean Guynier, dit Gueynier (attribué à), Portrait présumé de Madame de Tencin (huile sur toile, 77 x 62 cm), Grenoble, Musée dauphinois -- [1].
  • XVIIIe siècle: Anonyme (d'après Jacques André Joseph Aved), Portrait présumé de Mme de Tencin vieillissante (huile sur toile, 91 x 74,5 cm), Valenciennes, musée des Beaux-Arts -- [2].

Jugements

  • «Nous avons un petit roman intitulé le Siège de Calais, qui est de Mme de Tencin, soeur du cardinal de ce nom, fameuse par sa figure, son esprit, ses liaisons, ses aventures, ses intrigues et ses vices. Lorsqu’elle mourut, il y a environ seize ans, on fit son épitaphe que voici, et dont il n’est point possible de supprimer quelques mots trop énergiques: Elle est enfin gisant dans le tombeau, / Cette Tencin dont l’âme vérolée / Accumulait les vices en monceau; / Fripons, putains, la troupe est désolée. / Consolez-vous, novices en noirceurs: / Le grand Astruc vous apprendra l’usure; / La Grosleyl’art de vendre vos faveurs; / Le cardinal, l’inceste et le parjure.» (Grimm et al., Correspondance littéraire, philosophique et critique [Février 1765], tel que cité dans Voltaire intégral, CD-Rom, Naintré, Association Voltaire intégral éditeur, 2005 [texte établi d’après l’édition de Paris, Moland/Garnier, 1875, (page)])
  • «La littérature française vient de faire une très grande perte par la mort de Mme de Tencin. Cette femme si célèbre passa ses premières années dans l’obscurité du cloître. Elle eut assez de courage pour tenter de rompre des engagements que nous regardons ici comme indissolubles, et assez d’adresse pour y réussir. Rendue au monde, elle s’y fit remarquer par un caractère qui réunissait toutes les extrémités; audacieuse et timide, ambitieuse et voluptueuse, profonde et frivole, dissimulée et confiante, prodigue et avare; on était tenté de lui croire tous les vices et toutes les vertus. Elle débuta presque par vouloir gouverner le royaume. M. le duc d’Orléans, qui était alors régent de France, se laissa persuader de la voir, mais il ne la garda que vingt-quatre heures. On a prétendu que ce prince avait redouté ses intrigues, et un vieux courtisan m’a conté que le régent, parlant de Mme de Tencin, avait dit qu’il ne voulait point de maîtresse qui, dans le tête-à-tête, parlait d’affaires.» («Mort de Mme de Tencin; particularités sur sa vie», dans Grimm et al., Correspondance littéraire, philosophique et critique. Nouvelles Littéraires (LXI - LXV), LXI (?) (1749), cité dans Voltaire intégral, CD-Rom, Naintré, Association Voltaire intégral éditeur, 2005 [texte établi d’après l’édition de Paris, Moland/Garnier, 1875).
  • «[Mme de Tencin] fit beaucoup de bruit par son esprit et ses aventures sous le nom de la religieuse Tencin [...]. On ferait un livre de cette créature, qui ne laissa pas de se faire des amis par les charmes de son corps et même plus par ceux de son artificieux esprit. [...] la Tencin devenue le pilier et le ralliement de la saine doctrine et le centre de la petite Eglise cachée, si excellemment orthodoxe, eut tacite permission de demeurer à Paris, où elle continua d’être le creuset d’où sortirent les plus violents partis et les plus dangereuses pratiques des ambitieux sous le voile de la Constitution. Les Jésuites, le cardinal de Bissy et les plus signalés d’entre les évêques ne lui refusaient rien et cette créature fut constamment le canal le plus assuré de leurs grâces.» (Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, «Additions au journal de Dangeau», dans Mémoires, Paris, Gallimard, «Pléiade», 1987, t.VII, p.918-919, p.921)
  • «Te passerai-je sous silence / Soeur de Tencin? / Monstre enrichi par l’impudence / Et le larcin / Vestale peu rebelle aux lois/ De Cythérée / Combien méritas-tu de fois / D’être vive brûlée?»(Chansonnier historique du XVIIIe siècle, éd. Emile Raunié, Paris, A. Quantin, 1882, t.VII)
  • «Il n’est pas question, Madame, de la liste de toutes les personnes que vous voyez; et je n’ai rien à dire contre personne en particulier: je les crois tous gens de mérite et de probité; mais vous me permettrez de vous dire qu’il s’en faut beaucoup que vous meniez une vie retirée et que vous ne vous mêliez de rien. Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit et d’être de bonne compagnie; et la prudence demande qu’on ne se mêle -et surtout une personne de votre sexe- que des choses qui sont de sa sphère. Le Roi est informé avec certitude que vous ne vous refermez pas dans ces bornes; et c’est pourquoi je vous prie instamment, comme je l’ai déjà fait, d’éviter tout soupçon et tout prétexte de vous accuser de manquement aux ordres du Roi là-dessus.» («Lettre du cardinal de Fleury à Mme de Tencin, du 15 juin 1730», dans Pierre-Maurice Masson, Une vie de femme..., voir supra, choix bibliographique, p.81)
  • «Enfin je dus au voisinage de la maison de campagne où j’étais et de celle de Mme de Tencin à Passy, l’avantage de voir quelquefois en tête à tête cette femme extraordinaire. [...] je ne puis exprimer l’illusion que me faisait son air de nonchalance et d’abandon. Mme de Tencin, la femme du royaume qui dans sa politique remuait le plus de ressorts et à la ville et à la cour, n’était pour moi qu’une vieille indolente. [...] Ah! que de finesse d’esprit, de souplesse et d’activité cet air naïf, cette apparence de calme et de loisir ne me cachaient-ils pas? Je ris encore de la simplicité avec laquelle je m’écriais en la quittant: «La bonne femme!». Le fruit que je tirai de ces conversations sans m’en apercevoir, fut une connaissance du monde plus saine et plus approfondie.» (Jean-François Marmontel, Mémoires, éd. Jean-Pierre Giuccardi et Gilles Thierrat, Paris, Mercure de France, 1999, p.151)
  • «Madame Dorsin était belle, encore n’est-ce pas là dire de qu’elle était [...]. Ajoutez à présent une âme qui passe à tout moment sur cette physionomie, qui va y peindre tout ce qu’elle sent, qui y répand l’air de tout ce qu’elle est, qui la rend aussi spirituelle, aussi délicate, aussi vive, aussi fière, aussi sérieuse, aussi badine qu’elle l’est tour à tour elle-même; et jugez par là des accidents de force, de grâce, de finesse, et de l’infinité des expressions rapides qu’on voyait sur ce visage [...]. La plupart des femmes qui ont beaucoup d’esprit ont une certaine façon d’en avoir qu’elles n’ont pas naturellement, mais qu’elles se donnent [...]. Mme Dorsin ne débitait rien de ce qu’elle disait dans aucune de ces petites manières de femme: c’était le caractère de ses pensées qui réglait bien franchement le ton dont elle parlait. Elle ne songeait à avoir aucune sorte d’esprit, mais elle avait de l’esprit avec lequel on en a de toutes les sortes, suivant que le hasard des matières l’exige [...]. Il n’y a point de jolie femme qui n’ait un peu trop d’envie de plaire; de là naissent ces petites minauderies plus ou moins adroites par lesquelles elle vous dit: Regardez-moi. Et toutes ces singeries n’étaient point à l’usage de Mme Dorsin; elle avait une fierté d’amour-propre qui ne lui permettait pas de s’y abaisser et qui la dégoûtait des avantages qu’on peut en tirer; ou si dans la journée elle se relâchait un instant là-dessus, il n’y avait qu’elle qui le savait. Mais, en général, elle aimait mieux qu’on pensât bien de sa raison que de ses charmes; elle ne se confondait pas avec ses grâces; c’était elle que vous honoriez en la trouvant raisonnable; vous n’honoriez que sa figure en la trouvant aimable.» (Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, La vie de Marianne, éd. Michel Gilot, Paris, Garnier-Flammarion, 1978, p.206-207).
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