Catherine de Nogaret-La Vallette/Hilarion de Coste

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[I,335] CATERINE DE NOGARET DE LA VALETTE, Comtesse du Bouchage (1).

CATERINE de Nogaret de la Valette, illustre tant pour sa noblesse que pour sa vertu, estoit fille de Jean de Nogaret, Seigneur de la Valette, et de Jeanne de Saint Lary sa femme, soeur de Monsieur de Bellegarde Mareschal de France.
La tres-illustre Heroïne Caterine n'a point degeneré de la vertu de ses ancestres paternels et maternels. Ceux-cy sont renommez dans nos Annales, où souvent il est parlé du courage et de la valeur des Seigneurs des Maisons de Termes et de Belle-garde, qui ont employé leur vie, et répandu leur sang pour le service de nos Rois, tant contre les Etrangers que contre les rebelles. Ceux-là se sont rendus recommandables pour leur generosité: car chacun sçait que la noble et l'illustre Maison de Nogaret a esté une pepiniere des plus vaillans, des plus avisez, et des plus heureux Cavaliers de ce Royaume, issue d'un Nogaret de Saint Felix, qui fut Lieutenant general en Italie de l'armée du Roy Philippe IV. dit le Bel, et de Guillaume de Nogaret Chancelier de France.
Dieu benit le mariage du Seigneur de la Valette, et de Jeanne de Saint Lary, de la Maison de Belle-garde, de 5. enfans, deux fils, et trois filles, dignes certes de sortir de tels parens.
L'aisné des fils fut Bernard de la Valette Amiral de France, Lieutenant general pour nos Rois Henry III. et IV. en Provence, qu'il a par sa valeur, sa prudence, et son bon-heur conservée à la fleur de Lys, l'arrachant des mains du Duc de Savoye qui en tenoit les meilleures villes, secondé de la re-[336]volte de la pluspart de ceux du pays; qui n'a point eu d'enfans de sa femme Jeanne de Batarnay, Baronne d'Anton en Daufiné, de la Maison du Bouchage, Dame fort vertueuse et devote.
L'autre a esté Jean-Louys de Nogaret de la Valette, Duc d'Espernon, Pair et Colonel general de l'Infanterie de France, et Gouverneur de Mets et de la Guyenne, qui a eu trois enfans de Marguerite de Foix, heritiere de Candale sa femme; sçavoir Henry de Foix Duc de Candale: Bernard Duc d'Espernon, et de la Valette, aussi Pair et Colonel de la Cavalerie legere, et Gouverneur de Guyenne, qui a esté marié deux fois, la premiere à Gabrielle legitimée de France, dont il a des enfans; la seconde à la soeur aisnée de la Comtesse de Harcourt, de la Maison du Cambout: Jean-Louys Cardinal de la Valette.
Les filles furent Helene de Nogaret de la Valette, Baronne d'Anton, mariée à Jacques Got Marquis de Rouillac: Anne de Nogaret de la Valette, femme de Charles de Luxembourg Comte de Ligny, premier Duc de Brienne: et Caterine, à laquelle pour sa pieté je consacre cet Eloge, ayant esté tous les jours de sa vie l'une des plus devotes, et des plus pieuses Dames de nostre temps.
L'Amiral de la Valette, et le Duc d'Espernon, à l'exemple du Seigneur de la Valette leur pere, qui se fit remarquer au rencontre de Nerac, où il tua genereusement deux Gentils-hommes qui le vouloient assassiner, et en la retraite de Houdan, qui fut l'action la plus signalée du siecle, firent de bonne heure profession des armes sous un si digne pere et Capitaine, lequel fut en recompense de ses bons services, Lieutenant General pour le Roy en toute la Guyenne, lorsqu'elle s'estendoit depuis les Pirenées jusques à la riviere de la Creuse au Port de Pile, et Colonel de la Cavalerie legere de France. Helene, Anne, et Caterine de Nogaret, furent instruites à la vertu et à la pieté par la Marquise de la Valette leur mere, laquelle a esté une des plus vertueuses Dames de son âge, comme sçavent ceux qui ont leu l'Oraison funebre qu'a faite sur sa mort Blaise de Saquens, Avocat au Parlement de Tolose: de sorte qu'eslevées par une si sage mere, elles n'ont point [337] degeneré de sa devotion et de sa vertu. Helene a eu du Seigneur de Rouillac son mary de la Maison de Got (2), l'une des nobles et anciennes de Guyenne (de laquelle estoit le Pape Clement V.) Monsieur le Marquis de Rouillac, Ambassadeur extraordinaire en Portugal vers le Roy Jean IV. et Monsieur le Baron d'Anthon en Daufiné, et Madame Zamet. Anne ayant épousé un Prince de la Royale et Imperiale Maison de Luxembourg, et Caterine le genereux et magnanime Henry de Joyeuse, Comte du Bouchage en Daufiné, Chevalier des Ordres du Roy, Grand Maistre de sa garde-robe, Gouverneur pour sa Majesté des pays d'Anjou, de Touraine, du Maine et du Perche, frere d'Anne Duc de Joyeuse, Pair et Amiral de France, l'amour et les delices du Roy Henry III. son maistre, et fils de Guillaume Seigneur de Joyeuse Mareschal de France, et de Marie de Batarnay ou du Bouchage.
Ce ne fut pas sans une speciale providence de Dieu que le mariage de Caterine de Nogaret de la Valette, et d'Henry Comte du Bouchage, fut fait et accomply: Car si Henry de Joyeuse estoit un des plus genereux, des plus beaux, et des plus honnestes Seigneurs de la Cour; Caterine estoit le lustre des Demoiselles de son temps, et la merveille de son sexe. Je n'ay point d'assez bonne ancre pour décrire dignement les saines affections de ces chastes amans. Que ce que le Ciel assemble est heureusement conjoint! que les mariages sont bien fortunez qui se trouvent fondez sur la seule vertu, exempte de tout mélange caduque, et capable de lier un noeud d'une estreinte eternelle! Je ne sçaurois mieux representer le bon-heur et la felicité de cet Hymen, que par ceux de nostre Roy Louys VIII. dit le Continent, et de la Reine Blanche de Castille; de René Duc d'Alençon, et de Marguerite de Lorraine; de Hierôme Marquis de Pallavicin et de Camille Pallavicine. Car si le Comte du Bouchage avoit de l'amour pour l'Eternité bien-heureuse; la Comtesse sa chaste épouse estoit enflammée du méme feu: si Henry estoit ennemy des plaisirs et des delices perissables de la terre, et avoit en horreur la vanité; Caterine la haïssoit comme le venin et la peste des Dames: si ce genereux Seigneur de l'illu-[338]stre et ancienne Maison de Joyeuse, issue du grand Gaudentius, auquel pour sa sainteté on a dressé des Autels, suivant le train des hommes bien sensez, faisoit peu de cas de la trompeuse beauté; Caterine, la gloire et l'honneur de la noble Maison de la Valette, contre l'ordinaire de celles de son sexe, detestoit le fard et le vermillon, qui démentant la nature, rend les visages d'autant plus laids aux yeux de Dieu, qu'elles veulent paroistre belles à ceux des hommes: si ce brave Comte imitoit le Bienheureux Elzear de Sabran Comte d'Arian; la Comtesse son épouse suivoit les louables exercices et actions de la belle et chaste Delfine. Heureuse épouse, d'avoir un tel époux: mary encor plus heureux d'avoir une si bonne et si sainte femme. La femme sage et prudente est un signalé don d'en haut.
Caterine Comtesse du Bouchage, menoit une vie digne du Ciel, dans l'aise d'un nouveau ménage, et d'un saint et chaste Hymenée, aimante et aimée par delà ce qui se peut penser, si étroitement unie de coeur et de volonté au Comte son mary, qu'un chacun donnoit des benedictions à leur mariage.
Si avant que se marier ils pratiquoient les oeuvres de devotion et de pieté en cachete, et aux heures dérobées, ils les firent en public aprés leurs noces. Estans de retour du Louvre en leur Hostel ils s'entretenoient, non comme font la pluspart des Courtisans et des Dames, des manquemens de leurs prochains, et des imperfections d'autruy: mais des affaires de leur conscience, de divers discours spirituels, du mépris et de la vanité du monde, de la misere et de la briefveté de cette vie transitoire et perissable, de l'horreur du vice et du peché, de la beauté de la vertu, de l'heureux estat de la grace. Leur lecture ordinaire estoit les Vies des Saints, les IV. livres de l'imitation de JESUS-CHRIST, les oeuvres spirituelles de Louys de Grenade; non les chantres d'amour, les Amadis, et les autres Poëtes et Romans plaisans, mais le plus souvent dangereux divertissemens des jeunes Dames, et Demoiselles innocentes, lesquelles par la lecture de ces livres qui recréent plustost les esprits, qu'ils ne les tourmentent, apprennent trop facilement ce qu'elles ne [339] peuvent aprés oublier qu'avec peine et difficulté.
La Comtesse du Bouchage acquit par sa douceur, sa modestie, sa pieté, son humilité, sa charité, et ses autres vertus, la bien-veillance, et l'amitié de tous ceux qui faisoient ouvertement profession de la solide vertu, et de la vraye devotion. La Reyne Louyse femme du Roy Henry III. l'affectionnoit pour ce sujet, comme aussi toutes les autres Dames, qui à l'exemple de cette tres-pieuse Reine, menoient à la Cour une vie plustost de saintes que de Princesses. Les lieux que la Comtesse visitoit le plus souvent, estoient les Hospitaux et les maisons de Religion qu'elle assistoit de ses aumosnes et liberalitez, sur toutes celles des Peres Cordeliers, Minimes, Capucins, et Feuillans. Elle fit élection du Pere Hierôme Absolu Minime, docte et devot Religieux, bien versé en la science des Saints (qui refusa l'Evesché de la Vaur, lequel son oncle maternel, le grand maistre des langues Pierre Danés (3) luy voulut donner) pour son Confesseur, et Directeur de ses devots et pieux exercices.
Ce fut un grand bon-heur à la Comtesse du Bouchage, (comme aussi au Comte son mary) de rencontrer ce sage serviteur de Dieu, pour remettre le gouvernement de son ame en une si bonne main. Car comme sçavent ceux qui sont bien instruits en la vie devote et spirituelle, éloignée de la bigoterie et de l'hypocrisie, qui souvent se couvrent du specieux manteau de devotion, c'est peu de chose que ce que peut pousser une ame qui n'est point soulagée au train de la vertu et de la pieté; il est bien mal-aisé d'arriver en Ragés, de vaincre les monstres qui se presentent au chemin, de surmonter les embusches des Demons, de remporter le profit des promesses divines faites à ceux qui auront legitimement combatu, de regarder la maison paternelle en sauveté, comme fit le jeune Tobie, sans la conduite d'un Ange. La route de la vie spirituelle est difficile à tenir sans un bon directeur, qui l'a trouvé, en doit plus remercier Dieu que de la découverte d'un tresor.
On ne sçauroit dire combien cette sainte Dame avança en la perfection Chrestienne, et en l'école du Calvaire sous un si devot Pere spirituel, duquel la memoire est en benedi-[340]ction parmy ceux de ma robe. On pouvoit dire avec verité que la conversation de cette devote Dame estoit plus avec Dieu et avec ses Anges qu'avec les hommes, approchant de la sainte Table tous les huit jours, suivant le conseil du grand saint Augustin, et ayant un soin particulier et tres-louable, que ses domestiques frequentassent les Sacremens de Penitence, et de l'Eucharistie. Sa conversation, dis-je, estoit plustost au Ciel qu'en terre: aussi la terre n'estant pas digne de la porter, le Ciel jaloux du bon-heur de la terre l'osta de ce monde, en la plus belle fleur de ses jours, la 22. année de sa vie, le 12. jour du mois d'Aoust, que l'Eglise solemnise la Feste de sainte Claire (à laquelle elle avoit une particuliere devotion) l'an 1587. aprés avoir receu dignement les Sacremens. Son corps fut porté à l'Eglise des Peres Cordeliers de cette ville de Paris, et inhumé en la Chapelle de sainte Caterine derriere le grand Autel, où Henriette Caterine Duchesse de Guyse et de Joyeuse, douairiere de Montpensier son unique et seule fille, heritiere de sa pieté et de sa vertu, comme de ses biens, luy a fait dresser une magnifique sepulture de marbre blanc, avec cette inscription Latine, plusieurs années aprés son decés, n'ayant que 18. mois quand Dieu appella à soy Madame la Comtesse sa mere.
Illustri Heroïne Catarinae Nogaretae Valetae Henrici à Ioyosa, qui tùm Buchagÿ Comes, pòst Dux Ioyosae, Vestiarÿ Regÿ Magister, Andibúsque, Cenomanis, Perchensibus, Turonibus Praefectus erat, coniugi suavissimae incomparabili, heu nimis acerbo fato praereptae aetatis XXII. Pridie eid. Aug. anno CIC.ICLXXXVII. Vir desolatissimus desiderium quaerens insolabiliter, damnato saeculo totum se Deo in Capucinorum instituto mancipavit. Henrica Catarina Guisa Ducissa, concordis conjugÿ unicum pignus, monumentum hoc fieri statuámque marmoream poni curavit. Vale mater dulcissima et quiesce.
A l'illustre Heroïne Caterine de Nogaret de la Valette, l'épouse tres-chere et incomparable d'Henry de Joyeuse, lors Comte du Bouchage, depuis Duc de Joyeuse, grand Maistre de la Garde-robe du Roy, Gouverneur d'Anjou, du Mayne, du Perche, et de Touraine, laquelle fut trop tost ravie par une mort precipitée, en son âge de 22. ans, le 12. [341] d'Aoust de l'an 1587. Son mary tres-desolé n'ayant pû trouver aucune consolation en son affliction, s'est entierement donné à Dieu dans l'Ordre des Capucins, aprés avoir quitté les vanitez du monde. Henriette Caterine Duchesse de Guyse, l'unique gage d'un mariage si paisible, luy a fait dresser ce monument et cette statue de marbre. Adieu ma tres-douce mere, vostre ame demeure en paix.
Henry de Joyeuse Comte du Bouchage estant veuf d'une si douce, si honneste, si chaste, et si sainte femme, demeura tellement touché de cette perte là, que peu de mois aprés il delaissa tous les honneurs, les richesses, et les plaisirs de la terre, et les faveurs d'un grand Roy, pour servir le Roy des Rois, sous l'estendart du Seraphique saint François: il quitta la pourpre, pour se revestir d'un sac et d'une haire, dans l'Ordre des Peres Capucins, parmy lesquels (comme j'ay monstré en mes Eloges des Hommes Illustres en Pieté) il a mené une vie angelique portant le nom d'Ange.

(1) Cette Comtesse portoit party et coupé en chez, le premier party d'argent au noyer de sinople, qui est de Nogaret: au II. party de gueules, la Croix vuidée, et pommetée d'or, qui est de Tolose. Le chef de gueules à la Croix potencée d'argent.
(2) Got d'or à trois fasces de gueules.
(3) Danez, d'azur, au chevron d'or, accompagné de trois Croix nillées de mesme, deux en chef, et une en pointe.

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