Catherine d'Orléans-Longueville/Hilarion de Coste

De SiefarWikiFr

[I,309] CATERINE D'ORLEANS PRINCESSE DE LONGUEVILLE (1), Fondatrice de l'Ordre des Carmelites de sainte Terese enFrance.
LA vertu de Caterine d'Orleans est cause de ma disete, et je ne trouve point de particulieres choses à dire de cette vertueuse et devote Heroïne, parce qu'elle les avoit toutes. Il n'y a point de François qui ignore sa noblesse et son extraction: elle estoit la fille aisnée de Leonor d'Orleans Duc de Longueville, et de Marie de Bourbon Duchesse de [310] Touteville et Comtesse de Saint Paul, qui avoit épousé deux grands Princes avant le Duc de Longueville, sçavoir Jean de Bourbon Comte d'Enguien, qui mourut à la funeste journée de Saint Laurens 1557. François de Cleves I. Duc de Nevers, et que François de Lorraine Grand-Prieur de France, desira avoir pour femme en estant passionnément amoureux pour sa beauté et ses merites. Caterine eut pour marraine la Reyne Caterine de Medicis: Elle fut nourrie à la vertu et à la pieté par sa mere Marie de Bourbon Duchesse de Longueville: Elle eut pour freres Henry Duc de Longueville; François Comte de saint Paul, et Leonor Prince de Chastelaillon; et pour soeurs, Antoinette Marquise de Belle-isle (de laquelle j'ay fait l'Eloge en ce Livre) Marguerite Princesse de Touteville, et Leonor Comtesse de Matignon et de Thorigny.
Estant encor fort jeune, elle fut arrestée prisonniere en la ville d'Amiens au commencement de l'an 1589. avec sa mere, le Comte de Saint Paul son frere, et ses autres soeurs (2): Quelques Historiens disent aussi avec la Duchesse de Longueville, Caterine de Gonzague sa belle soeur; mais le President de Thou, et Adrien de la Morliere n'en parlent point, et Monsieur de Thou ne fait mention que de Mademoiselle de Longueville. Ils sont tous d'accord que l'on admira la constance et la generosité de ces Princesses; car la solitude, l'affliction, et l'indignité du traitement ne les firent jamais changer de resolution ny de langage: et que la liberté ne leur fut pas donnée pour rien, Henry de Lorraine Comte de Chaligny frere de la Reyne Louise, duquel je parleray en l'Eloge de sa femme, ayant esté eschangé avec elles.
Caterine estant prisonniere à Amiens y passa prés de trois ans en des exercices de devotion et de pieté, ainsi que nous lisons d'un grand Prince Jean de Valois ou d'Orleans, Comte d'Angoulesme, petit fils et ayeul de nos Rois (duquel le nom est venerable pour sa pieté, qui l'a fait cherir et aymer de Dieu, qui l'a honoré de plusieurs miracles durant sa vie, et aprés sa mort) lors qu'il estoit prisonnier en Angleterre avec son frere Charles Duc d'Orleans, aprés la bataille d'Azincour. La Princesse de Longueville estant sortie de prison receut [311] encor de l'affliction par la mort du Duc de Longueville son frere aisné, et de sa mere Marie de Bourbon, qui aprés avoir demeuré 28. ans en viduité, passa de cette vie à l'autre dans la ville de Pontoise, le 7. les autres disent le 18. d'Avril de l'an 1601. estant âgée de 62. ans, aprés avoir receu tous les Sacremens, et fait une exacte confession de sa vie au Reverend Pere Gilles Camart, Predicateur de l'Ordre des Minimes, qui depuis est decedé General de l'Ordre. Cette Duchesse de Longueville estoit fille du genereux François de Bourbon Comte de Saint Paul, Gouverneur de Daufiné, et d'Adrienne d'Estouteville sa femme. Elle estoit née à la Fere en Picardie le 30. de May de l'an 1539. Estant devenue heritiere par le decés de son frere François II. Duc de Touteville et Comte de Saint Paul, elle épousa trois Princes (comme j'ay remarqué cy-dessus) desquels le troisiéme fut Leonor d'Orleans Duc de Longueville, auquel elle apporta le Duché de Touteville, le Comté de Saint Paul, Trie, et d'autres belles terres.
Caterine d'Orleans n'a point voulu d'autre époux que celuy qui est l'Epoux et la Couronne des Vierges, et a vécu 74. ans fort exemplairement, employant tous ses moyens en des oeuvres de charité, sçavoir à nourrir de pauvres honteux, à racheter des prisonniers, et à soulager les orfelins et les veuves, à faire instruire de jeunes filles à la pieté, et à fonder des Monasteres de Religieuses. Un jour Mademoiselle Acarie l'allant visiter pour luy recommander de pauvres honteux, se sentit inspirée de luy recommander l'établissement et la fondation des Carmelites de sainte Terese en France, ce qu'elle accepta volontiers, et la trouva toute disposée à faire ce bon oeuvre. C'est pourquoy je l'appelle la Fondatrice des Meres Carmelites de France, sans oster cette gloire aux Venerables Meres Anne de Jesus, Anne Garcie Mancane, dite de Saint Bartelemy: Magdelaine du Bois, dite de Saint Joseph: et à Barbe Avrillot, dite soeur Marie de l'Incarnation: car en effect c'est cette Princesse qui obtint la permission du Roy Henry le Grand d'establir cet Ordre en ce Royaume, qui envoya à Rome le sieur de Santeuil (3) pour obtenir les Bulles du Pape Clement VIII. et se rendit la premiere [312] Fondatrice du premier Monastere, et qui écrivit des lettres aux Peres Definiteurs des Carmes Deschaussez par Messieurs de Berule (depuis premier Superieur de la Congregation de l'Oratoire et Cardinal) et Gaultier Avocat general au Grand Conseil, par lesquelles joignant l'authorité avec l'humilité, elle les supplioit d'envoyer des Religieuses en France, leur proposant (comme remarque le Pere Chrysostome Henriqués Espagnol, Religieux de l'Ordre de Cisteaux, en la vie de la Mere Anne de Saint Barthelemy) des raisons assez pressantes, et se monstrant si pieuse en ses paroles, qu'il eust semblé y avoir de l'impieté à la refuser. Aubert le Mire Doyen d'Anvers, et Maistre de la Chapelle de la feue Infante en son Livre de l'origine de l'Ordre du Carmel, et particulierement des Teresienes, dit ces paroles:
"Passons en la France à l'instance de la tres-noble Princesse Caterine d'Orleans, fille du Duc de Longueville six Religieuses deschaussées vinrent premierement d'Espagne à Paris l'an 1604. par l'approbation du Pape Clement VIII. et d'Henry IV. Roy de France: Ces Religieuses estoient Anne de Jesus, et Anne de Saint Barthelemy qui ont esté les compagnes de la Bienheureuse Terese, Isabelle des Anges, Beatrix de la Conception, Isabelle de Saint Paul native d'Anvers, et Leonor de Saint Bernard. L'on leur donna l'Eglise de Nostre-Dame des Champs, et des bastimens propres et necessaires pour les fonctions religieuses, par la liberalité de la méme Princesse de Longueville: l'on donna la charge de Prieure à la Mere Anne de Jesus; plusieurs Vierges nobles d'extraction et de vertus se rangerent peu aprés sous cet institut là."
Ceux qui ont leu les livres d'André du Val, Docteur et Professeur du Roy en Theologie au College de Sorbone, Chysostome Henriqués, et les Autheurs qui ont écrit de l'establissement de l'Ordre des Carmelites en France, n'ignorent pas que le Reverend Pere General des Carmes Deschaussez donna ces six Religieuses Carmelites, pour venir en France fonder le Carmel selon la reforme de sainte Terese de Cepede, dite de Jesus, pour satisfaire aux desirs et à la pieté de cette Princesse, fille, soeur et tante des Ducs de Longueville; que la Mere Anne de Jesus Prieure fut tirée du Convent de Sala-[313]manque avec les Meres Isabelle des Anges, et Beatrix de la Conception; on prit en celuy de Luechez la Mere Leonor de Saint Bernard; la Mere Isabelle de Saint Paul en celuy de Burgos, et la Mere Anne de Saint Barthelemy, qui n'estoit encore que Converse en celuy d'Avila. L'Assemblée se tint au Monastere d'Avila le jour de Saint Barthelemy 24. d'Aoust de l'an 1604. d'où elles partirent le 29. accompagnées de MM. de Berulle, de Bretigny et Gaultier, du Reverend Pere Joseph de Jesus Marie, Provincial de la nouvelle Castille, et de trois femmes Françoises, et arriverent heureusement à Paris le jour de l'octave de saint Denys, le 16. Octobre 1604. La Princesse de Longueville les conduisit à Saint Denys, et au Mont des Martyrs, où aprés avoir rendu leurs hommages à ce grand Saint, et mis sous sa protection et sous celle de ses Compagnons cette Religion naissante dans la France; elles furent le 17. amenées de l'Abbaye de Mont-martre par cette devote Princesse dans leur Monastere, dedié à l'honneur du mystere de l'Incarnation. Le lendemain jour de saint Luc, le tres-saint Sacrement y fut solemnellement posé, non sans une permission de la Providence divine: Car ce grand Saint a décrit particulierement le mystere de l'Incarnation, il a esté le Peintre et l'Evangeliste de la Mere de Dieu: Aprés avoir tiré son visage, il a représenté son Esprit, et il a esté choisi du Ciel pour nous apprendre le colloque divin, qu'elle eut avec l'Ange Gabriel qui luy annonça l'Evangile du Pere Eternel. De sorte, comme a fort bien remarqué l'Autheur de la vie de la Mere Magdelaine du Bois, dite de Saint Joseph, nous avons sujet de croire que l'establissement des Carmelites en ce Royaume, est tombé au jour de sa Feste, pour leur recommander la pieté vers le Verbe incarné, et vers la Vierge sa Mere, qui sont les devotions essentielles de leur Ordre. Mais comme il est aussi particulierement dedié à la Croix de JESUS-CHRIST, et que toutes les Carmelites doivent estre crucifiées au monde, et mortes à elles mesmes pour n'estre vivantes qu'en JESUS-CHRIST; Dieu a voulu que leur establissement se soit rencontré en la feste d'un Evangeliste, signalé par sa penitence, et duquel seul l'Eglise a dit en ses Oraisons, qu'il avoit porté continuellement la [314] mortification de la Croix en son corps. Ainsi le Calvaire se trouve uny avec le Carmel, et les mesmes ames qui appartiennent à l'Incarnation du Verbe, sont aussi consacrées à sa Passion, et doivent joindre en leurs devotions ces deux mysteres, de la mesme sorte que devant sainte Terese, ont fait un Prince et deux Princesses de la tres-Chrestienne et tres-auguste Maison de France; sçavoir le Roy saint Louys (4), qui visita avec une grande devotion la chambre natale de la Vierge en Nazareth, où le Verbe divin a esté incarné, et fonda la sainte Chappelle de Paris, où sont gardées la vraye Croix, la Couronne d'espines, et les autres Reliques de la Passion: la Reyne Jeanne de France ou de Valois, Duchesse de Berry, Institutrice et premiere Fondatrice de l'Ordre de l'Annonciade, ou des dix Vertus de la Vierge, comme je diray en l'explication de la devise de cette Princesse, fille, soeur et femme de nos Rois: et Gabrielle de Bourbon Princesse de Talmond, et Dame de la Trimouille, laquelle dans ses oeuvres a fait voir sa devotion à ces deux mysteres adorables, dont l'un est le commencement, et l'autre est la fin de la vie voyagere de JESUS-CHRIST nostre Seigneur, qui n'a pas fait une petite faveur et grace à Caterine d'Orleans, aussi Princesse de la Maison de France, d'estre la premiere Fondatrice en ce Royaume tres-Chrestien, d'une sainte Compagnie de Religieuses, qui font profession d'honorer tous les jours de leurs vies ces deux grands mysteres de l'Incarnation, et de la Passion du Sauveur du monde.
Plusieurs bonnes ames avoient desja eu ce desir et cette volonté de fonder l'Ordre des Carmelites de sainte Terese en France, entre autres Marie de Batarnay, Comtesse du Bouchage, femme de Guillaume Vicomte de Joyeuse Mareschal de France, et mere de ces grands Heros en valeur ou en pieté de la Maison de Joyeuse. Cette devote Dame avoit eu dessein d'establir des Carmelites à Tolose, avant les troubles de l'an 1588. et avoit envoyé, comme je diray en son Eloge, le sieur de Bretigny Prestre fort pieux en Espagne: mais les guerres qui diviserent ce Royaume, la priverent de ce contentement, et Dieu qui reservoit ce bon oeuvre à cette tres-illustre Heroïne, Caterine d'Orleans de [315] Longueville, se contenta de sa bonne volonté. Monsieur Sublet (5) sieur de la Guichoniere, qui depuis est mort Religieux dans la Chartreuse de Paris, avoit destiné sa maison de Noyers pour en faire un Monastere de Carmelites, afin d'y recevoir celles qui devoient venir fonder cet Ordre en la France. Jacques Gallement Docteur en Theologie de la Maison de Sorbone, dont la pieté surpassoit encore la doctrine, et qui pour ses rares merites fut choisi depuis avec le Cardinal de Berule, et le Docteur du Val, pour estre un des premiers Superieurs de l'Ordre en ce Royaume, avoit eu la pensée d'establir des Carmelites à Aumale, et y avoit disposé plusieurs filles devotes qui vivoient sous sa conduite. Mais tous ces projets n'ayant pas reussi, Dieu voulut qu'une Princesse de la Maison de France (la premiere et la plus noble de la Chrestienté et de l'Univers) et qu'une petite fille de saint Louis, qui le premier amena de la Terre sainte en ce Royaume, les Religieux de l'Ordre de Nostre-Dame du Mont-Carmel, en fust la premiere Fondatrice en France, et que le premier Monastere fust erigé dans la ville Capitale de ce Royaume, par cette pieuse et liberale Heroïne, qui non seulement obtint la permission du Roy Henry IV. necessaire pour l'establissement; mais elle prit la peine d'en faire verifier mesme les Lettres patentes en la Cour de Parlement, et dotta les Religieuses de deux mil quatre cens livres de rente: Aprés avoir obtenu du Cardinal de Joyeuse, et des Religieux de Marmoutier, l'Eglise du Prieuré de nostre-Dame des Champs, où l'on tient par tradition, que saint Denys premier Evéque de Paris, l'Apostre des Gaulois, et l'un des Patrons de nos Monarques faisoit sa demeure, et offroit le Sacrifice de JESUS-CHRIST au Pere Eternel, pour la conversion de la Gaule encore idolatre.
Si quelqu'un dit que la Princesse de Longueville n'a pas esté la Fondatrice des Carmelites de France, n'ayant pas porté l'habit, ny fait profession dans cet Ordre là, je luy répondray qu'ayant fait pour l'establissement et la fondation de cette Religion du Carmel, tous les biens spirituels et temporels que j'ay rapportez cy dessus, elle est en effect la premiere Fondatrice; ayant liberalement doté le Monastere [316] duquel tous les autres de ce Royaume sont sortis, et que le pape Clement VIII. a declaré par sa Bulle du 13. de Novembre de l'année 1603. qu'il establissoit ce premier Monastere, Chef de tous les autres du mesme Ordre, et de la mesme reforme, qui seroient erigez à l'advenir en France (6); Si bien que tout l'Ordre fut estably en ce Monastere, et ce premier fut comme la pepiniere qui devoit peupler tous les autres. Si elle n'a pas vescu dans un Cloistre de Carmelites, l'on peut dire que sa Maison estoit plustost un Monastere bien reglé, que non pas un Palais de Princesse, son Hostel de la ville l'Evesque (7), estoit un Seminaire de vertu, une pepiniere de devotion, et un Oratoire de l'Oraison aussi parfaitement pratiquée, comme aux familles Religieuses les plus austeres, et les plus reformées. Elle a donné dans sa Maison et à la Cour mille et mille bons exemples de charité, d'humilité, de patience, et de toutes les vertus Chrestiennes et Religieuses.
Elle receut charitablement à la ville l'Evéque prés de son Hostel, des filles et Demoiselles Angloises Catholiques, qui desiroient y mener une vie religieuse; mais quelques empeschemens estans survenus, elle acheta la place, et la donna aux Religieuses Benedictines de la devote Abbaye de Mont-martre, ayant fait eriger ce Prieuré là sous le titre de Nostre-Dame de Grace, pour la devotion qu'elle avoit à la Mere de Dieu. Ses sentimens estoient si tendres et si amoureux envers cette Mere de tendresse et d'amour, et pour l'amour d'elle à son cher et chaste époux saint Joseph, qu'elle ne pouvoit assez ouir parler de la grandeur de l'une, ny de la petitesse de l'autre; et entre autres choses elle recevoit une singuliere consolation, meditant comme ce saint homme gagnoit à la sueur de son visage, la vie de celuy qui estoit la vraye vie.
Elle donna à sa mort son Hostel aux Religieuses de ce Monastere de Nostre-Dame de Grace, dit aussi le petit Mont-martre. Aprés la Vierge et saint Joseph, elle avoit une particuliere devotion à saint Denys et à ses Compagnons saint Rustic, et saint Eleuthere: aux trois saintes Caterines, et autres fideles amantes de JESUS-CHRIST. Je ne parle-[317]ray point de celle qu'elle avoit pour sainte Terese, parce qu'ayant estably et fondé son Ordre en France, elle a fait assez paroistre l'amour et le respect qu'elle luy portoit.
Dieu l'ayant visitée sur les dernieres années de sa vie, ainsi que le Saint homme le vieil Tobie, par la perte de la veue, elle supporta cette affliction avec une patience toute Chrestienne, et digne du Ciel: disant souvent ces belles paroles aux Dames et aux Religieuses ses plus intimes. Si Dieu me donnoit le choix du recouvrement de la veue, ou de demeurer tousjours en cet estat, je trouve un si grand repos d'esprit en cette souffrance, que je le prefererois au recouvrement de la veue. Cette bonne Princesse louoit Dieu en tout temps, autant durant l'adversité et la maladie, qu'en la prosperité et la santé, chantant veritablement avec le Roy Prophete, au Pseaume 33. ainsi que saint Charles Borromée et sainte Terese,

En tout temps et en toute place,

Je veux, quelque saison qu'il face,
Du Seigneur chanter la bonté,
Ma bouche à jamais sera plaine
Du bruit de sa gloire hautaine,
Et du los qu'il a merité (8).

La veue à la verité est l'entendement du corps, et le plus noble et le plus celeste sentiment de tous: mais aussi il est fort dangereux; et la mort entre bien souvent en l'ame par cette fenestre. Et bien souvent un traict d'oeil, et un mauvais regard aveugle l'ame, la privant de la grace et de la lumiere de Dieu, et la fait criminelle de leze-Majesté: Et partant Pierre Abbé de Clairvaux ayant perdu un oeil, disoit avoir perdu un ennemy: et saint Mayeul, Religieux de Cluny, estant aveugle guarissoit les aveugles, et ne se guarissoit pas soy-mesme. Il vaut mieux, dit le Sauveur, entrer borgne en Paradis, qu'aller avec deux yeux en enfer.
Le temps me defaudroit plustost que la matiere, si je voulois publier toutes les vertus et les merites de Caterine d'Orleans de Longueville, et ceux de sa soeur puisnée Marguerite d'Orleans ou de Touteville, avec laquelle elle a vescu avec grande union de coeurs: j'en laisse le soin à ceux qui voudront écrire l'Histoire de leur vie et de leur mort; je [318] diray seulement en passant qu'elles ont toutes deux par leurs bons exemples edifié tout le monde, et fait voir que dans les grands honneurs et les hautes naissances on peut mener une vie aussi pure et aussi sainte que dans les deserts et les Cloistres.
Leur soeur la Marquise de Belle-isle a mené dans les Ordres des Feuillantines, de Font-Evraud, et des Benedictines de la Congregation du Calvaire, une vie plus admirable qu'imitable, estant entierement détachée de l'affection des creatures. Comme un jour durant son année de probation, qu'on luy apporta la nouvelle de la mort d'un de ses enfans qu'elle aymoit tendrement; puis qu'elle avoit de l'affection à ses propres ennemis, s'il est possible que le Chrestien puisse croire d'en avoir: cette sainte ame donna quelque petit moment au sentiment de la nature; mais s'estant apperçeue que cet accident la détachoit de cette ardeur et de cette parfaite union qu'elle avoit avec JESUS-CHRIST son Epoux, elle luy fit comme une excuse; Pourquoy mon fils ne seroit-il pas mort, puisque vous mon Dieu estes mort pour moy? Le Pere Feuillant qui l'assista durant sa derniere maladie à Poitiers, luy parlant du Duc de Rets son fils, luy dit qu'estant sa mere elle estoit obligée de luy donner sa benediction: Je luy desire, dit-elle, toutes sortes de benedictions pour son salut. A méme temps il luy parla de Mademoiselle de Longueville, et autres de ses proches: Je les affectionne, dit-elle, en nostre Seigneur, mais je serois bien aise en l'estat où je suis, de ne point ouir parler des choses qui sentent la nature. Sa vie a esté si austere, que l'on a remarqué que depuis qu'elle estoit sortie des Feuillantines de Tolose, elle ne s'est point couchée que sur les ais tous nuds, et sa couche couverte d'une simple couverture demy usée; on eut bien de la peine de luy faire prendre sur la fin de ses jours une paillasse. Ainsi a vescu, et ainsi a rendu son ame à Dieu Antoinette de sainte Scolastique, de laquelle j'ay desja escrit la vie en ce Livre. Il faut que je parle encore de Caterine d'Orleans sa soeur aisnée, qui est digne de louange pour avoir assisté les siens durant leurs maladies, et en leurs affaires spirituelles, et s'estre acquitée dignement aprés leur mort de tous les devoirs de pieté et [319] d'honneur, dont elle se sentoit redevable pour leur salut.
La Duchesse de Longueville sa belle-soeur estant en couche à Amiens, quand le Duc son frere y mourut, elle prit le soin de le faire assister par les Minimes et les Capucins, et de faire celebrer un grand nombre de Messes pour le repos de son ame en diverses Eglises et Monasteres.
Elle rendit les mémes devoirs à sa mere Marie de Bourbon, Duchesse de Longueville, de laquelle elle fit porter le corps de Pontoise où elle estoit decedée, à l'Eglise de l'Abbaye de Vallemont, située au Duché d'Estouteville (9) en Normandie, où elle luy fit rendre les honneurs de sa sepulture au Tombeau de François de Bourbon Comte de Saint Paul, et Duc d'Estouteville, et d'Adrienne de Touteville, le pere et la mere de cette Duchesse là.
Marguerite d'Orleans Princesse de Touteville sa soeur, avec laquelle elle avoit tousjours vescu en grande paix, et amitié (comme j'ay rapporté cy-dessus) elle l'assista durant sa maladie avec des soins nompareils, et luy rendit tous les devoirs d'une bonne soeur: et aprés sa mort elle la fit inhumer dans le Chapitre des Meres Carmelites du Monastere de l'Incarnation, et dresser sa sepulture avec cet epitaphe.
D.O.M.
A la memoire perpetuelle de Marguerite d'Orleans, Princesse de Longueville et de Touteville, seconde Fondatrice de ce Monastere, laquelle aprés avoir conservé la chasteté jusques à la fin de sa vie, et orné la noblesse de son sang d'une tres-grande modestie, et d'une rare pieté, accompagnée de toutes les vertus, attend icy avec les Vierges prudentes la venue de l'Espoux, pour avec elles le suivre au festin des nopces eternelles. Elle a vescu quarante huict ans, huict mois vingt trois jours, et deceda le vingt-troisiesme jour de Septembre 1615.
Antoinette d'Orleans, Marquise de Belle-isle estant decedée à Poitiers le 25. d'Avril de l'an 1618. et ayant sceu qu'elle avoit desiré d'estre enterrée dans l'Eglise du Monastere des Feuillantines de Tolose, où elle a fait les voeux de Religion, qu'elle a tres-saintement gardez; sa soeur, [320] nostre Caterine d'Orleans, qui se conformoit entierement aux choses où elle faisoit paroistre de l'inclination, ayant reconnu qu'elle avoit dessein aprés son decés que son corps fust porté à Tolose, elle n'en voulut pas seulement faire la despense, mais elle l'eust accompagnée, si elle n'en eust esté empeschée par un commandement du Roy Louys XIII. à cause de ses continuelles maladies. Charlote Flandrine de Nassau, fille et soeur des Princes d'Orenge, Abbesse de sainte Croix de Poitiers, qui aprés avoir fait abjuration de l'heresie, et professé la Religion Catholique, a mené une vie digne du Ciel dans cette Abbaye là, fit de grandes instances à Monsieur l'Evéque de Poitiers, à Monsieur le Duc de Rets, et à Monsieur le Maire de la ville, pour avoir le corps de cette religieuse Princesse, desirant la faire enterrer au milieu du Choeur de son Eglise, et de luy dresser un superbe Tombeau: à quoy les Peres Feuillans s'opposerent pour faire accomplir le desir de cette Dame, qui dist en mourant à ses Religieuses de Poitiers: Mes soeurs j'ai esté avec vous durant ma vie, je desire, s'il vous plaist, qu'aprés ma mort mon corps soit porté avec nos soeurs de Tolose. Je ne sçay pas si on luy a dressé un Epitaphe, mais je placeray icy l'Eloge qu'en a fait en Latin Dom Chrysostome Henriqués, Espagnol, Religieux et Historiographe de l'Ordre de Cisteaux, en son Menologe, le 22. d'Avril, en ces termes;

[colonne gauche]
En France le trespas de la pieuse Dame Antoinette d'Orleans, laquelle estant née tres-illustre et puissante Princesse, douée d'une rare beauté, de richesses et de tres-grands avantages de nature et de fortune, mesprisant tout pour servir JESUS-CHRIST, elle embrassa l'Ordre de Cisteaux en la tres-estroite Congregation des Feuillans; dans laquelle ayant perseveré saintement, elle a institué la Congregation de nostre Dame du Calvaire, sous la re-[321]gle de saint Benoist, et trespassa saintement en nostre Seigneur.

[colonne droite]
In Gallia obdormitio piae feminiae Antoniae de Orleans, quae cùm esset nobilissima et potentissima Princeps, pulcritudine, divitiis, multisque naturae et fortunae donis dotata, cuncta pro Christo contemnens, institutum Cisterciense in rigidissima Fuliensium Congregatione amplexata est; in qua sanctissimè perseverans, Congregationem Beatae Mariae de Calvario sub regula sancti [321] Benedicti instituit, et placido sine obdormivit in Domino.

Cét Autheur rapporte en ses Notes sur le Martyrologe de Cisteaux, le témoignage du Reverend Pere Charles de sainte Marie (10) Prieur du Monastere des Peres Feuillans de Paris (qui depuis a esté General de l'Ordre) lequel en son Livre ou Catalogue des Feuillans illustres en sainteté, ou des Religieuses de cet Ordre là, recommandables pour leur rare pieté, a fait l'Eloge de cette religieuse Princesse Antoinette d'Orleans, où sur la fin il n'a pas oublié de remarquer qu'elle a esté par l'authorité du saint Siege, l'Institutrice et la Fondatrice des Religieuses Benedictines de la premiere regle, sous les noms du Calvaire et de sainte Scholastique. Et pour revenir à Mademoiselle de Longueville sa soeur, elle mourut aussi saintement le 29. de Septembre de l'an 1638. Monseigneur le Duc de Longueville, Mademoiselle sa fille, Madame la Comtesse de saint Paul, Madame la Comtesse de la Rocheguion, et ses plus proches, luy rendirent les mesmes devoirs et assistances qu'elle avoit fait aux autres, et receut les honneurs de la sepulture, dans le Chapitre du Monastere des grandes Carmelites, au méme Tombeau avec sa soeur Mademoiselle de Touteville, sur lequel cet epitaphe est gravé.
Et à la memoire de tres-illustre, et tres-vertueuse Princesse Madamoiselle Catherine d'Orleans, Princesse de Longueville et de Touteville sa soeur aisnée, premiere Fondatrice de ce Monastere, laquelle pour imiter sa soeur, et faire voir au monde ce que la grace peut en une ame si vivement touchée de l'amour de Dieu, a voulu comme elle n'avoir pas icy autre Espoux que JESUS-CHRIST, et aprés avoir consommé sa vie dans une continuelle pratique de vertu, Dieu, sur la fin de ses jours, luy voulant donner une derniere espreuve par la privation de la veue, le plus cher de ses sens, elle porta cette affliction si constamment, qu'on peut dire avec verité qu'elle a laissé en la terre, et notamment à la France, un rare exemple de patience et d'humilité: Elle deceda le 29. de Septembre 1638. aagée de 72. ans, huict mois, neuf jours.

(1) Orleans Longueville, d'azur à trois fleurs de lys d'or, au lambel d'argent de III. pieces, et aussi au baston d'argent pery en bande. Cette Princesse portoit écartelé au I. et II. d'Orleans Longueville, au II. et III. de Bourbon.
(2) Mathieu. Du Pleix.
(3) Santeuil, d'azur à une teste d'Argus d'or de front, semée d'yeux au naturel.
(4) Iodoc. Clitou ser. de S. Ludovic.
(5) Sublet de Noiers, d'azur au pal muraillé de trois pieces à dextre, et d'autant à senestre d'or, chargé d'une vergette de sable qui est le diminutif du pal, comme le baston l'est de la bande.
(6) Du Val. Senault.
(7) Desportes.
(8) Quand Madame la Marquise de Belle-isle prit l'habit de Feuillantine, elle avoit deux fils vivans, et quand elle fit profession, Monsieur le Duc de Rets estoit demeuré unique, quelques uns m'ont dit qu'elle avoit eu IV. enfans.
(9) Estouteville, Burellé d'argent et de gueules de dix pieces, au lyon de sable armé, lampassé et couronné d'or, brochant sur le tout.
(10)Dom Charles de Lauzon, dit de sainte Marie. Lauzon, d'azur, à III. serpens qui se mordent la queue d'argent, II.I.

Outils personnels