Barbara Campanini/Henri Lyonnet

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[45] Au moment même où elle [Mademoiselle Sallé] disparaissait du ciel de l'Opéra, une nouvelle étoile y faisait son apparition: la [46] Barberina, venue de Parme, où elle était née en 1721, et qui débuta le 14 juillet 1739 dans les Fêtes d'Hébé, ballet de Rameau. Le Mercure lui reconnut de suite de la grâce, de la légèreté et des agréments de sa personne, elle et son partenaire, le maître à danser napolitain Rinaldo Fossano, sachant créer des «entrées de pantomime» qu'on ne se lasse pas de voir. Ils font de grosses recettes, et sont appelés à la Cour.

Chez la Barberina, ce n'est pas seulement la danseuse, c'est la femme que l'on admire: des yeux de jais, un teint couleur de pêche, un nez délicat, des lèvres purpurines. Un riche Hollandais met à ses pieds 150.000 florins, mais le prince de Carignan déjoue cette intrigue. Triste sire, en somme, que ce Victor-Amédée de Carignan, prince du sang de Savoie et sultan du corps de ballet de l'Opéra de Paris. Il installe superbement la Barberina rue Vivienne, mais il ne tarde pas à s'apercevoir qu'il est trompé par Mylord Arundell...sans compter les autres. Elle s'affiche avec Durfort, avec le prince de Guébriant, jusqu'au jour où Rich, qui dirigeait le Covent Garden à Londres, l'enlève aux Parisiens...jusqu'au jour où, en compagnie de Lord Stuart de Mackenzie, elle s'enfuit à Venise, pour ne pas se rendre à Berlin où elle est engagée. Le Grand Frédéric ne l'entend pas de cette oreille. Il fait jouer la diplomatie, le Sénat vénitien ordonne d'arrêter la Barberina, et le carrosse qui l'attend en terre ferme est escorté de cavaliers.

A Goritz, à l'auberge de l'Aigle-Noir, où l'on se repose, le jeune Stuart de Mackenzie tâche de l'enlever [47] sans y réussir. Il reçoit l'ordre de quitter la Prusse. L'aventure a fait scandale, et ses débuts ont lieu avec un succès inouï. Frédéric s'éprend d'elle et lui envoie à signer un contrat en blanc. La rusée y inscrit 5.000 rixdales (18.000 livres) portés à 7.000 l'année suivante, mais il est stipulé que l'engagement serait nul, si la Barberina venait à se marier pendant ses congés.

Elle mène un train magnifique, tient des réunions intimes, prend part à de petits soupers avec le roi, danse dans tous les ballets de 1744 à 1748. Antonio Pesne, peintre du roi, en profite pour la représenter en Galathée sur des panneaux de la Musikzimmer. Mais voici qu'au commencement de 1749, Charles-Louis de Corceji, fils du grand chancelier, s'est jeté aux pieds de la déesse, lui offrant son coeur et sa main. Frédéric ordonne à Barberina de quitter Berlin et fait emprisonner l'amoureux au château d'Alt Landsberg où l'on cache son identité. De guerre lasse on le relâche, et il épouse sa ballerine en secret. En vain le grand chancelier supplie le roi de faire annuler ce mariage dès qu'il en a eu connaissance. On ne put découvrir qui l'avait fait.

Charles-Louis était un bon serviteur. On se contenta de le changer de résidence. Il fut nommé à Glogau, ville maussade, sans distractions, où il emmena sa femme. Sept ans plus tard, elle se retirait au château de Berschau, qu'elle avait acheté de ses propres économies.

C'est dans ce château que, divorcée d'avec un homme qui la rendit toujours malheureuse, la Barberina, qui avait obtenu l'autorisation de s'appeler [48] comtesse de Campanini, vécut près de trente ans, jusqu'au 7 juin 1799, se consacrant aux oeuvres pieuses, fondant dans son domaine un Institut pour les pauvres, doté de 100.000 écus. Les prêtres de la Hochkirch inhumèrent la «très noble comtesse» au-dessous de leur autel.

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